Ces fruits qui mûrissent sur l’arbre de l’avortement

Au-delà des problèmes juridiques et moraux, quelles sont les conséquences politiques et sociales de l’inscription de l’avortement dans la Constitution ? Empoisonnement des relations entre hommes et femmes, vision instrumentale du corps, instauration de principes contradictoires, etc.

Un vote presque unanime de nos parlementaires vient d’inscrire la liberté d’avorter dans la Constitution de la France. L’IVG, jugée inhérente à la dignité des femmes, prend place parmi les droits humains que la République considère comme inaliénables. Je ne disputerai pas ici les problèmes juridiques ou moraux que soulève cette décision. Je me bornerai à évoquer ses conséquences sur le plan politique et social. Nos parlementaires n’en ont pas dit un seul mot dans leurs discours. Peut-être ne les voyaient-ils pas ou, plus probablement, refusaient-ils de les voir, pour ne pas gâcher l’ambiance exaltée de ce moment historique. Examinons à leur place quelles réalités se cachent derrière les arguments qui glorifient le droit à l’avortement.

Un enfant si je veux, quand je veux

Ce slogan est repris des féministes qui réclamaient, il y a plus d’un demi-siècle, le droit à la contraception et à l’avortement. Il signifie que la femme reçoit un pouvoir exclusif et absolu sur la vie de l’enfant à naître. Son partenaire masculin n’a aucune légitimité pour s’immiscer dans son choix. Ce droit déséquilibré en faveur des femmes, a déresponsabilisé les hommes. Débarrassé du souci de la procréation, l’homme a été tenté de considérer la relation sexuelle sous l’unique aspect de son plaisir propre. C’est ainsi qu’il a à nouveau dominé la femme qui se voulait émancipée. Déçue, humiliée, cette dernière a fini par se révolter contre sa nouvelle oppression. C’est ce qu’a montré l’augmentation fulgurante des divorces depuis cinquante ans. L’humiliation féminine est aussi à l’origine du mouvement #MeToo dont le seul trait surprenant est qu’il ait mis si longtemps pour apparaître. Mais loin de rapprocher les deux sexes, il les éloigne encore davantage car il substitue la suspicion et la peur d’être dénoncé à l’indispensable confiance de l’homme dans la femme.
Si la femme décide de mener sa grossesse à son terme, sa situation est encore plus aléatoire. Les devoirs d’un père sont laissés à la bonne volonté des hommes. Le goût du bien-être agissant, cette bonne volonté est devenue médiocre. En témoigne le nombre effarant de familles « monoparentales », c’est-à-dire de mères subvenant seules, tant bien que mal, aux besoins de leur progéniture. Cette fois c’est la confiance de la femme dans l’homme qui est malmenée.
Comme il paraît loin, le temps où Françoise Giroud, secrétaire d’État à la condition féminine, constatait : « En France, les hommes et les femmes s’aiment bien ! » Aujourd’hui un lourd malaise empoisonne leurs relations. Placer sa cause première au rang de liberté constitutionnelle ne peut qu’aggraver le mal.

« Mon corps m’appartient »

Encore un slogan qui vient d’un demi-siècle de féminisme. L’expérience, là aussi, nous a appris ce qu’il signifie en pratique.
En contrariant les lois naturelles du corps de la femme, le droit à l’avortement a accrédité l’idée que le corps n’était qu’un instrument à la disposition de l’esprit humain. Il est sa propriété ; l’esprit a le droit d’en faire ce qu’il veut. De nouveaux horizons se sont ouverts aux désirs, caprices et fantasmes des individus. Après le refus de la vie autonome des corps, base de l’IVG, sont venus la négation de la complémentarité naturelle entre corps masculin et corps féminin, d’où est née la légalisation du mariage homosexuel, puis le rejet de son propre corps, qui s’exprime par le droit de changer de sexe et aboutit en ce moment au droit de détruire son corps, en choisissant l’heure et le mode de sa mort. Puisque le corps n’est qu’un outil, il est normal qu’il puisse être acheté et vendu selon sa valeur marchande : la GPA prospère sur cet axiome.
Nous n’avons pas fini de découvrir tout ce que le droit à l’avortement fait venir dans son sillage. L’avenir explicitera certainement la prophétie du rapporteur de la loi Taubira : « Le jour approche où l’on en finira avec la filiation biologique pour en venir à la filiation volontaire. » Élever l’avortement au rang de droit constitutionnel, c’est, par une conséquence logique, y élever aussi toutes les autres formes de séparation entre le corps et l’esprit. Elles ont pour caractère commun de faire surgir de lancinantes interrogations identitaires et, par là, de susciter du désordre dans la société.

Petit rappel historique

« La République française, désormais, ne sera plus jamais la République sans le droit à l’avortement. » C’est la présidente de l’Assemblée nationale qui le proclame.
Rappelons l’origine des lois qui réprimaient jadis l’avortement. En 1920, la France sortait d’une guerre qui l’avait saignée à blanc. Puisque tous les jeunes hommes avaient été appelés à donner leurs vies pour défendre la patrie, il parut équitable que toutes les jeunes femmes fussent appelées à donner vie à une nouvelle génération de Français. Les deux sexes contribuaient ainsi, chacun selon sa vocation, au salut national. Le Parlement vota des peines sévères contre tous les complices d’un avortement, comme il avait auparavant châtié les soldats déserteurs. Cette égalité légale a été entamée en 1974, lorsque la loi Veil dépénalisa l’avortement. Encore faut-il rappeler qu’il s’agissait d’une concession accordée aux femmes en situation « d’extrême détresse ». L’exception est peu à peu devenue un droit sans restriction sous la pression de groupes féministes. La grande détresse a fait place au désir de bien-être. C’est ce droit au confort individuel qui vient de faire son entrée dans notre Constitution.
Mais nos gouvernants vont faire face à un dilemme : si toute femme a le droit constitutionnel de supprimer la vie humaine qu’elle porte en elle pour préserver son bien-être, au nom de quelle obligation supérieure, un homme serait-il appelé à abandonner ce même bien-être jusqu’à donner sa vie pour la communauté ? Il ne s’agit pas d’un problème juridique. Aucune société ne peut perdurer si elle repose sur des principes contradictoires. Tout naturellement, c’est le principe le plus facile, le plus attirant, qui l’emporte sur l’autre. En temps de paix, la question peut être esquivée. Mais si, demain, la France est contrainte à une guerre de grande envergure, elle aura du mal à mobiliser des citoyens pour lesquels le bien-être sera un droit garanti. Devra-t-elle, à la manière de Rome décadente, assurer sa sécurité par l’incorporation de mercenaires étrangers ? On sait la fin lamentable du peuple romain.

Régressions sociales

« Fierté française ; message universel ». C’est par ces quatre mots que le Président Macron a salué le vote des parlementaires. Avait-il, présentes dans sa mémoire, les conséquences que je viens de rappeler brièvement ? Ce n’est pas impossible puisqu’il a aussitôt décidé un pas de plus en légalisant l’euthanasie. Mais la fierté qu’il nous demande d’éprouver, je la repousse parce que ce vote ouvre la voie à des dangers politiques et à des régressions sociales pour notre peuple. Quant au message envoyé à l’humanité entière, il me semble contraire à la vocation internationale de la France. Notre pays aurait recueilli beaucoup plus d’intérêt et d’admiration dans le monde en inscrivant dans sa Constitution son respect intransigeant pour la vie humaine.

Michel Pinton

© LA NEF n° 368 Avril 2024