Après le résultat attendu des élections européennes, les Français ont eu la surprise d’une dissolution immédiate suivie d’une période riche en bouleversements et psychodrames. Nous écrivons avant le premier tour des législatives : notre propos ici n’est pas de proposer une analyse électorale ou politique partisane, mais d’insister sur le fait que les événements vécus en juin, en eux-mêmes épiphénomènes d’une vie politique sans relief, révèlent la profondeur de la crise démocratique que nous traversons.
Une remarque d’abord pour constater le triste spectacle d’un pays divisé comme jamais, fruit de plus de quarante années de piètres gouvernements qui ont laissé pourrir des situations devenues ingérables, un abîme infranchissable opposant une droite stupide qui se déchire et une gauche de plus en plus extrême qui, malgré des divergences profondes, sait s’unir pour l’emporter ou éviter un désastre.
On se plaint souvent de la médiocrité de nos dirigeants, mais qui les élit sinon le « peuple » ? Cette médiocrité n’est-elle pas le reflet de la réalité de nos sociétés et n’avons-nous pas les gouvernants que nous méritons ?
Qu’est-ce que le peuple ?
Mais qu’entend-on par « peuple » ? Il représente l’ensemble des Français, mais cet ensemble n’apparaît plus uni autour de consensus fondamentaux (s’aimer soi-même dans son être historique, par exemple) nécessaires à la pérennité de la patrie et au bon fonctionnement d’une démocratie, qui a aussi besoin de limites, tout particulièrement d’un point de vue moral. Le peuple n’est pas « souverain » – pas plus qu’un roi – au sens où il pourrait décider de tout. Si ces limites ne sont pas clairement posées et admises, alors tout est possible dès lors qu’une majorité le décrète : c’est la porte ouverte à l’arbitraire et à la tyrannie.
Les politiques menées partout depuis une quarantaine d’années ont contribué à profondément fracturer les peuples des nations occidentales, en France tout particulièrement. On a cherché, en effet, à s’émanciper de toutes limites à tous niveaux : en économie et en finance, avec les dérégulations des années 1980, la financiarisation et la mondialisation qui s’en sont suivies ; en morale où, sur les questions dites « sociétales », l’on a procédé à une déconstruction anthropologique sans précédent qui laisse l’homme perdu et sans repères. Ainsi que le décrit Christophe Guilluy, le pays est fortement divisé entre une « France d’en-bas » et une « France d’en-haut » de plus en plus étrangères l’une à l’autre, ajoutant une division supplémentaire à celle des partis gauche/droite. Et dans ce contexte de fracturation, de destruction du lien social, aggravé par une immigration massive et incontrôlée, majoritairement musulmane, qui contribue à « l’insécurité culturelle », plus rien n’élève, tout se réduit à un effrayant horizontalisme, du fait notamment du recul du christianisme et de toute transcendance : le sens de la vie s’affaisse.
Pour une juste vision politique
En politique, il a toujours existé des tendances à la simplification avec des visions opposées : ou tout part de la tête pour descendre vers la base (pour les royalistes qui voient tout le mal dans les mauvaises institutions républicaines, le retour de la monarchie est le préalable nécessaire) ; ou, au contraire, la base, vue comme le « peuple », est idéalisée et est censée porter l’histoire (marxisme). Ces deux visions sont fausses ou plutôt ont chacune une part de vérité. Car la réalité est bien qu’il existe une interaction complexe et loin d’être uniforme entre la base et le sommet, les deux agissant l’un sur l’autre. Il ne suffit pas d’un bon chef ou de bonnes institutions, de même qu’il ne suffit pas d’un peuple éclairé et de bons corps intermédiaires. C’est l’ensemble qui est nécessaire dans une osmose et un équilibre – un pragmatisme, pourrait-on dire – qu’il est impossible de programmer politiquement.
Ces considérations peuvent paraître abstraites et quelque peu décalées par rapport à ce que nous vivons, elles nous enseignent cependant deux choses essentielles. D’abord, que notre pays, comme toute l’Europe, a un besoin urgent de ressouder son peuple, de recréer une véritable fraternité nationale qui réconcilie la « France d’en-bas » et la « France d’en-haut » et atténue l’inquiétante hétérogénéité du corps social afin de pouvoir faire revivre un Bien commun véritable ; ensuite, qu’il est crucial de sortir de cet horizontalisme sans limites qui nous conduit au nihilisme et finalement à la mort : et là, nous seuls chrétiens pouvons réenchanter ce triste monde pour redonner joie et espérance, sinon c’est l’islam qui s’en chargera et ce sera moins joyeux. L’évangélisation de notre vieux continent est vraiment la priorité vitale.
Bon été à tous. Nous nous retrouverons avec grande joie en septembre.
Christophe Geffroy
© LA NEF n°371 Juillet-Août 2024