10 août 1989 – circonscription du Blount Couty, État du Tennessee, Maryville – « Nous avons maintenant la preuve qu’il ne s’agit ni de pièces détachées où l’on puise selon nos besoins, ni de matériel expérimental qu’on jette après usage, ni de denrées périssables qu’on congèle ou décongèle à son gré, ni de propriété qu’on échange ou qu’on vend. En tant que généticien, je dirais : un tout jeune être humain […] ne peut être la propriété de personne, puisqu’il est le seul au monde à avoir la propriété de s’édifier lui-même. […] La science a une conception fort simple de l’homme ; sitôt qu’il est conçu un homme est un homme » (1). C’est ainsi que Jérôme Lejeune concluait sa démonstration scientifique au juge Dale Young lors d’un procès historique. Il avait été appelé en urgence trois jours plus tôt pour témoigner à la barre dans une affaire qui opposait deux époux en procédure de divorce. Le juge devait trancher la question suivante : leurs sept embryons congelés sont-ils des biens à liquider comme le souhaitait le père, ou bien de très jeunes enfants à confier à garde comme la mère le réclamait ? Jérôme Lejeune n’a pas hésité à venir témoigner de l’humanité de l’embryon devant la justice. Et la défense de ces jeunes êtres humains assurée par le pionnier de la génétique moderne avait porté puisque la Cour jugea que « les embryons humains ne sont pas objets de propriété. La vie humaine débute à la conception. […] Il est manifeste qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant ou des enfants in vitro que leur mère, Mme Davis, se voit accorder la possibilité de les mener à terme par implantation. […] La garde temporaire [lui] est confiée » (2).
Le rôle naturel de la Fondation Jérôme Lejeune
Vingt ans plus tard il fut tout naturel à la Fondation Lejeune de prendre la défense des plus jeunes membres de l’espèce humaine devant la justice française. D’autant que le Conseil d’État lui a reconnu un intérêt à agir – unique en la matière – considérant qu’elle « finance des projets de recherche […] préservant, dans le respect des principes énoncés dans ses statuts, l’intégrité de l’embryon humain » (3).
En 2008, quatre ans après la première révision de la loi de bioéthique, les premières autorisations de recherche sur l’embryon humain et ses cellules souches (CSEh) ont été délivrées par la nouvelle Agence de la biomédecine (ABM). Il faut rappeler que la recherche sur l’embryon humain ou sur les CSEh implique de détruire l’embryon. En plus de ce scandale éthique, la Fondation s’est aperçue du scandale juridique : l’ABM délivrait des autorisations qui ne respectaient pas le cadre légal. C’est ainsi que depuis plus de quinze ans, la Fondation Lejeune veille et décrypte ces autorisations, et les soumet pour certaines au juge administratif. C’est ainsi qu’a émergé une jurisprudence unique sur l’embryon humain.
De mauvaises langues, comme récemment un article du Monde (4), diront qu’il s’agit de harcèlement procédural, de « bricoles » ou que la Fondation perd tous ces recours. En quinze ans, sur 300 autorisations délivrées, 61 ont été soumises au juge, toutes admises (aucun recours abusif donc), et 8 annulées définitivement.
Un travail utile
Ce travail est loin d’être vain. D’abord parce que ces recours ont permis de soulever de nombreuses questions de droit sur un régime juridique de recherche imprécis. Sans la Fondation Lejeune, la justice ne se serait jamais plus préoccupée de l’embryon humain, l’Agence de la biomédecine ne se serait jamais sentie observée ni obligée à plus de rigueur. Le garde-fou est réel. Ensuite, parce que la Fondation Lejeune a permis aux juridictions administratives d’annuler des autorisations manifestement illégales pour divers motifs, et non des moindres : défaut de motivation, absence de traçabilité des CSEh, défaillance dans la vérification du consentement des parents, non-respect de l’obligation de préférer l’alternative à l’embryon, violation de l’interdit de créer des embryons transgéniques, défaut d’autorisations de conservation d’embryons pour la recherche.
Il n’est pas normal qu’une agence d’État manifeste autant de négligences dans ce domaine opaque, réservé à dessein aux experts. La Fondation Lejeune se livre là à un exercice démocratique qui oblige à la transparence. Un travail qui contribue à ce qu’un jour la société française reprenne conscience « qu’un homme est un homme » et qu’il mérite le respect absolu.
Lucie Pacherie*
*Porte-parole, juriste et responsable plaidoyer de la Fondation Jérôme Lejeune.
(1) Jérôme Lejeune, L’enceinte concentrationnaire. D’après les minutes de Maryville, le Sarment-Fayard
(2) Ibid.
(3) Conseil d’État, n°360958, 23 décembre 2014.
(4) Le Monde du 17 septembre 2024, « Comment la fondation Lejeune entrave la recherche ».
© LA NEF n°373 Octobre 2024