Rémi Carlu et Jacques de Guillebon sont deux des quatre fondateurs de la nouvelle maison d’édition, La Onzième Heure, qui lance une souscription pour sa première parution, un excellent roman de Chesterton, Le Retour de Don Quichotte.
La Nef – D’où vient ce projet, qui en sont les fondateurs ?
Rémi Carlu et Jacques de Guillebon – Nous sommes quatre, comme les mousquetaires : Sylvain de Mullenheim, écrivain et cadre dans l’industrie ; Nicolas Pinet, directeur artistique et dessinateur ; Rémi Carlu et Jacques de Guillebon, journalistes.
Nous avons en commun le goût des livres, l’amour du Christ et le souci du temps : ce petit cocktail devait nécessairement nous conduire à souhaiter rendre aux contemporains un trésor caché, les grands écrits du « catholicisme social », tradition de pensée éminemment riche mais hélas oubliée. Aussi, nous voilà.
Alors que les gens lisent de moins en moins et qu’il existe déjà nombre de petits éditeurs, pourquoi avoir créé une nouvelle maison d’édition, La Onzième Heure, et pourquoi ce nom ?
Justement parce que les gens lisent de moins en moins : nous prétendons pouvoir redonner cette habitude à quelques-uns, qui s’en trouveront forcément mieux. S’il existe de nombreux petits éditeurs, comme La Nef le sait mieux que quiconque, il y a des demeures nombreuses dans la maison du Père, et nous espérons que notre petite case trouvera sa place dans ce biotope. L’une de nos spécificités est de nous consacrer à la réédition des auteurs chrétiens des deux derniers siècles qui ont aidé, entre autres choses, à penser la question sociale, et à rétablir la justice.
La Onzième Heure pour la parabole, où le Maître, parce qu’il est bon, parce qu’il est Dieu, décide de donner autant à chacun, non selon une logique comptable mais selon une surabondance charitable. Le grand John Ruskin en a tiré dans Unto this last une critique surprenante et superbe du monde libéral dans lequel nous vivons. C’est dans ces traces-là que nous souhaitons nous inscrire.
Comment serez-vous diffusés et quel public visez-vous ? Autrement dit, où pourra-t-on se procurer vos ouvrages ?
Nous nous sommes inspirés pour la méthode des jeunes éditions Carmin qui ont démontré qu’il était possible de vendre des livres par internet, notamment par souscription : c’est-à-dire que nous prévendons les livres et ne les imprimons que lorsque le nombre minimal nécessaire est atteint. Pour cela, nous passons pour le moment par la plateforme Tipeee, qui est pratique et sécurisée (1).
Chaque acheteur est ainsi certain de recevoir son livre, ou d’être remboursé si par malheur le quorum n’était pas atteint. Du point de vue de l’éditeur que nous sommes, cela permet de se lancer sans capital autre que notre travail et d’éviter des intermédiaires trop onéreux (cela dit, nous aimons les libraires et espérons pouvoir travailler avec eux dès que possible).
Vous lancez une souscription pour rééditer Le Retour de Don Quichotte de Chesterton : pourquoi ce choix ? Qu’est-ce qui vous semble particulièrement pertinent aujourd’hui dans ce roman ?
Chesterton a la particularité d’être un Anglais aimé en France : il est drôle, profond et catholique. Se placer sous sa protection pour débuter nous semble rassurant, et notre ami Camille Dalmas qui en est un des plus grands spécialistes aujourd’hui, nous a proposé une traduction révisée formidable du Retour de Don Quichotte. Sans déflorer ce roman, on peut dire qu’il s’agit de la quête merveilleuse d’une couleur rouge disparue, couplée avec l’épiphanie d’un bibliothécaire distributiste qui va tenter d’établir un ordre économique plus juste, inspiré du Moyen Âge, dans une Angleterre surprenante. Comme toujours avec Chesterton, on sort de cette lecture plus intelligent et, espérons-le, meilleur.
Quels sont vos autres prochains projets éditoriaux et selon quelles échéances ?
Devrait suivre un Bernanos peu connu, sous la houlette de Sébastien Lapaque, pour la fin de l’année. Pour le reste, ça se bouscule au portillon, entre Barbey d’Aurevilly, Veuillot, Balzac, Ozanam, Carlyle ou Ruskin. On verra bien !
Comment analysez-vous la situation de la lecture et de l’édition en France ?
Comme seul « small is beautiful », les gros éditeurs sont condamnés à publier des choses inintéressantes, ou à mourir de froid. Par ailleurs, les grandes manœuvres capitalistiques autour d’eux menées par des financiers incultes ne présagent rien de bon. C’est pourquoi notre petite méthode nous paraît parfaitement d’actualité.
Propos recueillis par Christophe Geffroy
(1) G.K. Chesterton, Le Retour de Don Quichotte, La Onzième Heure, en souscription sur : https://fr.tipeee.com/la-onzieme-heure-chesterton
© LA NEF n°373 Octobre 2024