Le surprenant best-seller papal de 1994, Entrez dans l’espérance, reste éminemment lisible comme matière à réflexion.
Le 20 octobre 1994, un événement sans précédent dans l’histoire moderne de la papauté s’est produit : le pape en titre a publié un livre qui n’était pas un acte du magistère papal mais plutôt une réflexion personnelle sur la foi chrétienne, la prière, la divinité de Jésus, le problème du mal, le salut et la vie éternelle, les religions du monde, l’œcuménisme chrétien, la nécessité de Vatican II, le droit à la vie, Marie, et d’autres sujets.
Intitulé Entrez dans l’espérance, il s’est vendu en quatre ans à des millions d’exemplaires en quarante langues. Au vu de ce que les rédacteurs de presse ont écrit à son sujet, Entrez dans l’espérance a probablement contribué à faire de Jean-Paul II l’homme de l’année 1994 de Time Magazine : « Au cours d’une année où tant de gens se sont lamentés sur le déclin des valeurs morales ou ont excusé les mauvais comportements, le pape Jean-Paul II a exposé avec force sa vision de la bonne vie et a exhorté le monde à la suivre. »
Curieusement – ou, comme Jean-Paul II aurait insisté, providentiellement –, Entrez dans l’espérance est né d’un événement qui n’a jamais eu lieu. Il était prévu d’organiser la première interview télévisée en direct du pape, au cours de laquelle ce dernier aurait discuté avec le journaliste Vittorio Messori des quinze années de son pontificat, déjà historique. Mais l’implacable calendrier papal s’en est mêlé, l’interview n’a pu être filmée et montée à temps pour le quinzième anniversaire, et Messori, qui avait envoyé au pape les questions qu’il poserait, pensait que c’était la fin de l’affaire.
Il n’en fut rien.
Quelques mois plus tard, le porte-parole de Jean-Paul II, Joaquín Navarro-Valls, a appelé Messori pour lui transmettre ce message du pape, qui mérite d’être cité dans son intégralité pour ce qu’il révèle de Karol Wojtyla, de son respect pour la liberté d’autrui, de son insatiable curiosité et de sa passion pour aider la modernité tardive à trouver des réponses aux questions que beaucoup soulevaient :
« Même s’il n’y avait pas moyen de vous répondre en personne [c’est-à-dire lors de l’interview télévisée annulée], j’ai gardé vos questions sur mon bureau. Elles m’intéressaient. Je n’ai pas pensé qu’il serait sage de les gaspiller. J’y ai donc réfléchi et, au bout d’un certain temps, pendant les brefs moments où j’étais libre de mes obligations, j’y ai répondu par écrit. Vous m’avez posé des questions, vous avez donc droit à des réponses. J’y travaille. Je vous les communiquerai. Faites-en ce que vous voudrez. »
À l’occasion de son trentième anniversaire, Entrez dans l’espérance reste un ouvrage éminemment lisible qui donne à réfléchir. En ce qui concerne les controverses et les conflits contemporains, l’un des passages les plus pénétrants se trouve dans la discussion du pape sur l’islam. Jean-Paul II y a fait l’éloge de la régularité des prières musulmanes et a exhorté les chrétiens déchus, « qui, ayant déserté leurs magnifiques cathédrales, prient peu ou pas du tout », à suivre cet exemple de piété.
Mais il fait aussi une distinction très nette :
« Dans l’islam, toute la richesse de l’autorévélation de Dieu, qui constitue l’héritage de l’Ancien et du Nouveau Testament, a été définitivement mise de côté. Certains des plus beaux noms du langage humain sont donnés au Dieu du Coran, mais il s’agit en fin de compte d’un Dieu hors du monde, d’un Dieu qui n’est que Majesté, jamais Emmanuel, Dieu-avec-nous. L’islam n’est pas une religion de la rédemption. La Croix et la Résurrection n’y ont pas leur place. Jésus est mentionné, mais seulement en tant que prophète qui prépare le dernier prophète, Mahomet. Il est également fait mention de Marie, sa Vierge Mère, mais la tragédie de la rédemption est totalement absente. Pour cette raison, non seulement la théologie mais aussi l’anthropologie de l’islam sont très éloignées du christianisme. »
Et puis il y avait ceci à propos du christianisme et du judaïsme :
« La nouvelle alliance sert à accomplir tout ce qui est enraciné dans la vocation d’Abraham, dans l’alliance de Dieu avec Israël au Sinaï, et dans tout le riche héritage des prophètes inspirés qui, des centaines d’années avant cet accomplissement, ont indiqué dans les Saintes Écritures celui que Dieu enverrait dans la “plénitude des temps” (cf. Gal 4.4). »
Dans Entrez dans l’espérance, Jean-Paul II s’est adressé au monde comme quelqu’un qui, au cours d’une vie de réflexion, a trouvé la vérité qui donne un sens aux autres vérités en Jésus-Christ, l’accomplissement de la révélation que Dieu a faite de lui-même au monde. Il n’a pas parlé comme un oracle dont les opinions sur les questions du jour avaient une importance particulière, grâce à la fonction qu’il occupait, parce qu’il savait que jouer à l’oracle déprécierait son témoignage évangélique.
Or, être témoin de l’Évangile était la première directive que le Seigneur avait donnée à Pierre et à ses successeurs.
George Weigel
Article publié le 16 octobre 2024 dans The Dispatch et © La Nef pour la traduction française réalisée par Jean-Louis Allez et mis en ligne le 16 octobre 2024.