L’ONG protestante Portes Ouvertes recense et aide les chrétiens de toute obédience persécutés à travers le monde. La publication à la mi-janvier de son Index mondial de persécution des chrétiens a été l’occasion de rencontrer l’un de ses responsables et de faire un point sur ces persécutions. Entretien.
La Nef – Pouvez-vous présenter brièvement Portes Ouvertes ? Comment réagit l’opinion publique à vos rapports ?
Guillaume Guennec – L’ONG Portes Ouvertes a été créée en 1955 par un jeune néerlandais, connu sous le nom de Frère André. Découvrant la persécution des chrétiens dans le bloc de l’Est, il décide de les aider en passant des bibles en contrebande de l’autre côté du Rideau de fer. Une équipe se forme progressivement autour de lui et donne naissance à l’ONG Open Doors, dont fait partie Portes Ouvertes France (ainsi nommés car nous croyons que les portes sont toujours ouvertes pour proclamer Jésus-Christ, même dans les pays les plus « fermés »).
Notre vision est de venir en aide aux chrétiens les plus persécutés à cause de leur foi partout dans le monde, et de fortifier l’Église dans les pays où elle est opprimée. L’association apporte un soutien spirituel, moral et humanitaire aux communautés chrétiennes frappées par la persécution.
Chaque année, nous publions l’Index mondial de persécution des chrétiens, qui fait le classement des 50 pays où les chrétiens sont le plus persécutés. Il est présenté à la presse, aux institutions politiques et aux Églises de France et de Belgique, ce qui sensibilise l’opinion publique. Toutefois, face à l’ampleur du phénomène, beaucoup reste à faire.
Comment définissez-vous les persécutions ? Quelle méthodologie adoptez-vous dans le grand Index que vous publiez ?
Nous définissons la persécution des chrétiens comme « toute hostilité à l’égard d’une personne ou d’une communauté motivée par l’identification de celle-ci à Jésus-Christ ». Nous déterminons ainsi six critères : la violence, ou persécution « marteau », et l’oppression dans la vie quotidienne (la vie privée, la vie familiale, la vie sociale, la vie civile, la vie ecclésiale), qui constitue la persécution « étau ».
En fonction de la gravité des restrictions dans la vie quotidienne, et du nombre de cas de violence (églises ciblées ; chrétiens tués, détenus, violés, passés à tabac…) nous établissons pour chaque pays un score qui permet d’établir ensuite un classement.
Tout au long de l’année, nos réseaux de partenaires locaux collectent et rapportent les données, jusqu’à l’échelle du village. Elles sont ensuite recoupées avec des sources externes et analysées.
Nous nous penchons sur la situation de tous les chrétiens, quelle que soit leur dénomination (catholiques, orthodoxes, protestants, évangéliques, convertis d’un autre arrière-plan religieux…).
Vous faites état d’un essor assez considérable des persécutions contre les chrétiens : comment expliquez-vous que les chrétiens soient autant ciblés dans le monde entier, au point d’être la religion la plus persécutée ?
L’Index mondial de persécution des chrétiens a été créé en 1993. À l’époque, 40 pays étaient le théâtre d’une persécution forte ou pire. Désormais, ce sont 78 pays qui sont concernés. Non seulement plus de pays sont exposés, mais la persécution s’intensifie aussi dans les pays concernés, ce qu’on observe pour la douzième année de rang. Aujourd’hui, nous sommes ainsi à un niveau record de persécution.
Plusieurs phénomènes expliquent cette augmentation. Il y a l’émergence et la multiplication des groupes extrémistes islamiques au Moyen-Orient et en Afrique. Les minorités chrétiennes sont aussi menacées par la poussée du nationalisme religieux, qui associe un peuple à une religion, comme en Inde ou en Turquie. L’autoritarisme, couplé aux nouvelles technologies, entraîne aussi une surveillance et un contrôle accru des Églises.
Nous n’avons pas l’expertise ni les capacités pour mesurer avec la même rigueur la persécution des autres groupes religieux. Nous ne pouvons donc pas affirmer que le christianisme est la religion la plus persécutée. En revanche, nous sommes à même d’estimer que plus de 380 millions de chrétiens sont confrontés à des persécutions et discriminations fortes en raison de leur foi, ce qui représente un chrétien sur sept dans le monde.
Si vous deviez dégager les grandes tendances ou évolutions des dix dernières années, quels points souligneriez-vous ?
La dernière décennie a été une période d’emballement du problème mondial de la persécution des chrétiens. En dix ans, 18 nouveaux pays sont concernés par des situations de persécution forte.
L’épicentre de la violence contre les chrétiens s’est déplacé du Moyen-Orient à l’Afrique subsaharienne. La région est confrontée à une prolifération des groupes terroristes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique. Depuis dix ans, la majorité des chrétiens tués chaque année le sont en Afrique subsaharienne.
On note aussi la dégradation de la situation des chrétiens en Inde depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 du BJP, parti nationaliste hindou. Autre géant asiatique, la Chine a annoncé en 2017 vouloir « siniser » les religions, ce qui implique de rendre le christianisme conforme aux valeurs du Parti communiste. Depuis, on constate que l’étau se resserre de plus en plus sur les Églises chinoises.
Vous parlez de « pays à persécution extrême » : desquels s’agit-il ? Comment caractérisez-vous une persécution extrême ?
L’Index 2025 fait état de treize pays en situation de persécution extrême : la Corée du Nord, la Somalie, le Yémen, la Libye, le Soudan, l’Érythrée, le Nigeria, le Pakistan, l’Iran, l’Afghanistan, l’Inde, l’Arabie Séoudite et le Myanmar.
Dans ces pays, le libre exercice de la foi chrétienne est impossible. La plupart des Églises sont interdites ou sévèrement contrôlées et privées de la liberté d’expression.
Dans certains cas (Nigeria, Inde…), bien que la foi chrétienne puisse être manifestée dans certaines parties de la société, le niveau de violence est tel que le pays va obtenir un score équivalant à une persécution extrême.
La Corée du Nord, à la première place du classement depuis 2002, demeure le pays le plus dangereux pour les chrétiens. Le simple fait de croire en Dieu est considéré comme un acte de trahison envers le régime, ce qui peut entraîner une exécution immédiate ou des années en camps de travaux forcés.
Au Nigeria, 3100 chrétiens ont été tués en raison de leur foi en 2024. Si l’on additionne tous les cas de meurtres depuis dix ans, ce sont 35 080 chrétiens qui ont perdu la vie. C’est le premier pays en nombre de martyrs chaque année depuis 10 ans.
Qu’en est-il de l’Afrique subsaharienne, zone dangereuse pour les chrétiens ?
Dans le monde, 93 % des chrétiens tués en raison de leur foi le sont dans cette région. Au Mozambique, le groupe terroriste ASJW, qui est affilié au groupe État islamique, a lancé en janvier 2024 la campagne antichrétienne « Tuez-les, où que vous les rencontriez ». Au Congo (RDC), le groupe ADF (Forces démocratiques alliées) a récemment prêté allégeance à l’État islamique. Il marche dans ses traces en massacrant et tuant les chrétiens. Des djihadistes attaquent aussi les chrétiens et les églises au Burkina Faso…
Cette situation critique entraîne des millions de chrétiens à fuir leur domicile : 16,2 millions de chrétiens de la région sont actuellement déplacés dans leur propre pays.
Quid de l’Algérie ? La France prend-elle en compte la réalité des persécutions religieuses auxquelles se livre ce pays ?
En Algérie, les quatre diocèses catholiques et leurs membres bénéficient de la liberté de culte. Ce n’est pas le cas de l’Église Protestante d’Algérie (EPA) : ses 47 églises ont dû cesser leurs activités, certaines étant même mises sous scellés par les autorités. La différence tient à ce que l’EPA est composée pour l’essentiel d’Algériens convertis au christianisme, d’arrière-plan musulman, quand les catholiques sont majoritairement des expatriés.
Les droits de l’homme, y compris la liberté de religion et de conviction, sont officiellement une priorité de la politique étrangère de la France. Puisse la diplomatie française trouver les bonnes approches pour combattre efficacement les violations des droits de l’homme qui touchent 380 millions d’individus dans le monde aujourd’hui. La tâche est immense.
Propos recueillis par Élisabeth Geffroy
- Index mondial de persécution des chrétiens 2025, 9 €.
- Portes Ouvertes France, BP 20105, 67541 Ostwald Cedex.
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