Simone Veil © Wikimedia Rob Croes pour Anefo - Domaine public

Regard sur 50 ans de la loi Veil

À l’école du professeur Jérôme Lejeune

Cinquante ans après la loi Veil, que peut-on retenir du combat du Pr Lejeune contre l’avortement ? Les esprits chagrins seront légion à considérer que rien d’utile n’est à garder de ce combat perdu. Les plus condescendants inclineront à penser que le jeu n’en valait pas la chandelle et que Lejeune a perdu sa réputation à ce jeu-là. Or, la réputation, comme le temps perdu, ne se rattrape jamais. Quelques rares passants bienveillants auront à cœur de lui sauver la mise en rappelant que l’excellent médecin qu’il fut aurait mieux fait de s’appliquer à soigner ses patients porteurs de la trisomie et à tenter de les guérir comme il en formait le dessein.
Seuls ses adversaires les plus coriaces lui rendront l’hommage qui lui est dû. Par contraste. L’appartenance de ses contradicteurs au milieu médical, au monde politico-médiatique et même à la sphère des moralistes, en dit long sur la gravité de la contradiction menée par Jérôme Lejeune. Il a été ce qu’ils auraient dû être et qu’ils n’ont pas été : de vrais médecins, des politiques honnêtes et des chrétiens fidèles. En s’opposant à lui sur la question de l’avortement, ils ont montré les qualités que Jérôme Lejeune avait gardées et, en creux, celles qu’ils avaient abandonnées à une mode relativiste.

Sauver la médecine du déshonneur

Le premier enseignement réside dans le fait que son combat a sauvé la médecine du déshonneur. En rappelant sa mission et sa noblesse, il a tracé la ligne rouge infranchissable au-delà de laquelle l’art médical perd son âme. Quand le médecin accepte de tuer son patient par dé­sespoir, par compassion ou par manque d’imagination, il n’est plus un médecin. Mais juste un humain qui tue un autre humain que rien ne distingue de ses ancêtres préhistoriques. Que la ligne rouge soit franchie n’est pas le plus grave. Que la ligne rouge disparaisse parce qu’on décrète avec orgueil qu’elle n’existe plus, là est le véritable crime. Parce qu’on ne peut plus distinguer le médecin d’un malfaiteur ou d’un malveillant, au sens étymologique des termes.
On doit au Pr Lejeune d’avoir écrit pour l’histoire que la ligne infranchissable de la médecine est rouge du sang des innocents.
Au soir de la bataille de l’avortement, le monde politico-médiatique avait en apparence gagné dans les tribunes et les éditoriaux mais Lejeune avait débusqué la canonisation du mensonge. Transformer un interdit fondateur depuis au moins 2400 ans – l’interdit de tuer – en droit exigible au nom de « mon corps-mon choix » ne peut réussir qu’avec le concours du mensonge. « Le mensonge qui tue », comme le rappelait son ami l’historien Pierre Chaunu. Les inepties les plus insoupçonnables ont été brandies par les féministes de l’époque et avalées par les hommes politiques et les médias. Parce qu’il fallait mentir sur les chiffres, sur la science, sur la médecine, sur le droit, sur la morale, pour rendre acceptable une telle transgression. L’embryon et le fœtus ne sont rien, donc on ne tue personne. Au contraire, le slogan « je me suis fait avorter » est devenu une fierté. Mensonge. Avec le temps, la fierté laisse la place inévitablement à de plus tristes sentiments… Mais entre-temps, le mensonge a brouillé les frontières du bien et du mal.

Écouter la conscience plus que la loi

La loi n’est pas tout. Il y a la conscience. Et il est bien rare que la conscience laisse en paix la volonté qui s’engage dans une mauvaise direction, fût-elle légale. La tension entre la conscience et la volonté est intenable dans la durée. Deux solutions se présentent. Soit écouter sa conscience, soit l’étouffer, en douceur, par des arguments de charité fallacieuse, comme « l’avortement est un drame auquel aucune femme ne peut recourir de gaîté de cœur ». Autrement dit, il s’agissait de transformer insensiblement la mauvaise conscience en bonne conscience. Comme l’écrivait Jérôme Lejeune : « “Ah, ce que je fais n’est pas confortable, je n’en dors pas la nuit”, n’est pas une preuve qu’on a bien agi. »
À une loi inique qui place arbitrairement le curseur de l’humanité au jour de la naissance, Lejeune a répondu que personne n’entendra jamais sa conscience lui dire que le respect n’est pas dû à l’enfant dans sa forme la plus jeune. « Le mal est toujours le mal, même si tout le monde le fait. Le bien est toujours le bien, même si personne ne le fait », enseignait saint Augustin. Il faut avoir le courage d’être libre : tel est le testament du Pr Jérôme Lejeune.

Jean-Marie Le Méné
Président de la Fondation Jérôme Lejeune

© LA NEF n° 377 Février 2025