Dans notre réflexion sur le renouvellement de la médecine hippocratique, nous avons vu pourquoi l’exercice de la médecine requiert un état vertueux du médecin, puis nous avons observé le rôle essentiel de la vertu de prudence dans l’art médical (1). Découvrons aujourd’hui une autre vertu si nécessaire aux médecins : la vertu d’espérance (2), qui prend un relief particulier quand elle s’exerce dans le domaine scientifique.
Benoit XVI décrit, dans sa magnifique encyclique Spe salvi, le lien particulier qui existe entre l’espérance et la médecine. Espérer la béatitude éternelle, c’est reconnaître que « le ciel n’est pas vide », que « la vie n’est pas un simple produit des lois et des causalités de la matière », mais qu’il y a au-dessus de tout « un Esprit qui, en Jésus, s’est révélé comme Amour » (3). Il s’agit pour le scientifique chrétien de ne pas substituer l’espérance scientifique à l’espérance biblique, de ne pas chercher le salut de l’homme dans la science, mais bien en Dieu. Cette tentation de remplacer l’espérance biblique par l’espérance scientifique a des répercussions bien concrètes en médecine. L’espérance scientifique souhaite « l’instauration d’un monde parfait » (4) d’où la souffrance aura disparu grâce aux progrès de la science. De là peut naître un sentiment d’échec pour les médecins confrontés au handicap ou à la maladie qu’ils ne peuvent guérir, et qui sont tentés de supprimer la vie du malade à défaut de pouvoir supprimer sa souffrance. « Une société qui tue ses enfants a perdu à la fois son âme et son espérance » (5), disait le professeur Lejeune, qui avait conscience de cet enjeu spirituel et dont l’engagement bien connu aux côtés de ses patients manifestait la vertu d’espérance. Il faisait autant que ses forces le lui permettaient, mais il ne cherchait pas à se substituer à Dieu, ni dans le soin qu’il donnait à ses patients ni dans la recherche persévérante d’un traitement, car il savait que si le médecin soigne, c’est Dieu seul qui guérit. D’où la belle formule qu’il avait fait graver sur son épée d’Académicien : « Deo juvante » (6).
Une autre manifestation exceptionnelle de la vertu d’espérance du médecin chrétien est le regard qu’il porte sur ses patients. Rester serein, accueillir, soutenir chaque jour des personnes qui souffrent terriblement dans leur corps et dans leur esprit est une épreuve pour les médecins qui peuvent avoir la tentation de s’endurcir ou proposer de mauvaises solutions devant le scandale de la souffrance. La capacité de compatir, de consoler, d’être-avec dans la solitude et la souffrance, jour après jour, n’est possible qu’avec l’espérance. « Accepter l’autre qui souffre signifie assumer en quelque manière sa souffrance, de façon qu’elle devienne aussi la mienne », dit Benoit XVI ; or « chacun ne peut accepter la souffrance de l’autre si lui-même personnellement ne réussit pas à trouver un sens à la souffrance, un chemin de purification et de maturation, un chemin d’espérance » (7).
Le médecin vivant la vertu d’espérance a la certitude que toute vie a du prix aux yeux de Dieu, que toute vie est belle malgré la souffrance et il transmet cette certitude aux patients. Là encore, l’exemple du professeur Lejeune qui a su rejoindre les patients, parfois très lourdement handicapés, dans leur détresse, en portant avec eux leur fardeau, en les relevant alors qu’ils sont courbés sous le poids de l’épreuve, inspire : « Son regard était très spécial, avec ses malades, on sentait qu’il voyait quelqu’un de spécial dans chacun », témoigne une ancienne collègue. La vertu d’espérance est aussi la flamme qui anime ses travaux de chercheur. Premier à croire en un traitement possible pour les patients trisomiques, il cherche ardemment et continue malgré les déceptions qui s’accumulent. Et cette espérance se communique aux familles : « Il fortifiait la vertu d’espérance chez les patients et leurs parents », se souvient une maman.
S’il n’avait été animé par l’espérance, Jérôme Lejeune eût été un autre médecin, un autre chercheur. Elle lui donna le regard qui guérit les cœurs, et la force de déplacer les montagnes de l’ignorance et de la peur. Elle guida sa vie de médecin : « devant l’immensité de la tâche à accomplir et la faiblesse de nos moyens, la petite fille Espérance reste le maître toujours ; ut semper. »
Aude Dugast
(1) Nous renvoyons aux deux précédents articles de cette rubrique, dans les numéros 373 et 374 de La Nef.
(2) Aude Dugast, Jérôme Lejeune. Portrait spiritual au fil des vertus, Salvator, 2021.
(3) Benoît XVI, Spe salvi, 2007, n. 5.
(4) Ibid, n. 30.
(5) J. Lejeune, Lettre au Pape Jean-Paul II, le 5 juin 1980.
(6) C’est-à-dire : « avec l’aide de Dieu ».
(7) Benoît XVI, Spe salvi, 2007, n. 38.
© La Nef n° 375 Décembre 2024, mis en ligne le 9 avril 2025