Un nouveau musée sera inauguré le 10 mai en la cathédrale de Tolède, qui présente une collection exceptionnelle de « faces du Christ », provenant de la collection privée de Steen Heidemann. Explications.
Au-delà de son aura religieuse et historique, la cathédrale de Tolède est un haut lieu de la peinture en raison du grand nombre de chefs-d’œuvre qu’elle contient. C’est ce qui a inspiré le projet de créer un musée dans les prestigieux appartements d’Isabelle la catholique attenants au cloître. Il est inauguré le 10 mai 2025. Ce lieu a une longue histoire. Les Wisigoths au VIe siècle ont construit à Tolède une cathédrale de style roman. L’islam, en conquérant la ville, l’a remplacée par une mosquée. Après la Reconquista, une cathédrale gothique est bâtie sur les lieux et connaît jusqu’au XIXe siècle métamorphoses et rajouts.
Honorer les œuvres d’aujourd’hui incarnant les mystères chrétiens
Ce musée consacré aux représentations chrétiennes de l’art, accorde visibilité et légitimité au langage universel de l’image et donne ainsi au public accès à une expérience sensible de l’invisible divin. Après une période ou l’Église a déprécié et contesté ce mode de connaissance, ce lieu annoncerait-il une renaissance ?
En effet, les conséquences de la révolution technologique du numérique dans la communication ont été constatées. Celles-ci confèrent à l’image une circulation planétaire fluide et percutante. Il est donc temps de réhabiliter la création picturale, de lui redonner aura et prestige. N’a-t-elle pas la vertu d’exprimer, au-delà des mots, les réalités de l’âme et du divin qui la transcende ? Enfin, elle contourne, dans un monde où la connexion est désormais planétaire, l’obstacle de la multiplicité des langues. Les artistes du XXIe siècle sont peu représentés dans la cathédrale. C’est un maillon manquant dans la chaîne du temps qui maintenant apparaît non seulement anormal mais aussi dommageable et auquel il faut remédier. C’est un des objectifs majeurs de ce musée. Remettre l’iconographie chrétienne d’aujourd’hui à l’honneur. Cette reconnaissance multipliera la circulation de ces images dans le monde.
La conception de ce musée entre en résonance avec celle qui préside au Musée du Vatican : le musée universel. Certes l’échelle n’est pas la même, mais le modèle est semblable. L’idée en est venue au moment de la Renaissance, sous Jules II : répertorier l’art de tous les temps, lieux et formes, y compris celui des artistes vivants, en acceptant de leur part, une innovation, une subjectivité, une inspiration singulière. C’est à cette époque-là d’ailleurs que les images religieuses ont commencé à sortir des sanctuaires, à se détacher de l’usage unique de la liturgie, de l’espace architectural du sanctuaire. Elles se sont mises alors à circuler grâce à l’imprimerie, à devenir accessibles aux plus modestes. Leur support est devenu mobile avec le tableau de chevalet. Désormais elles sont choisies par des amateurs, par affinité. L’œuvre d’art habite ainsi la demeure familiale, rejoint l’intime de la contemplation domestique, mais aussi la vie sociale.
Aujourd’hui, l’exposition inaugurale du Musée de Tolède présente 240 œuvres de 40 artistes, tous en vie, et venant de nombreux pays ! La démarche est novatrice dans le sens où a été choisie la monstration d’une collection intime, privée.
Ce ne sont pas les institutions ecclésiastiques ou d’État qui en sont l’origine mais le regard de l’amateur. Ainsi est mise en valeur une création en rapport avec ce qui touche à l’Incarnation du Christ et qui n’intéresse ni les institutions ni le commerce de l’art et qui va au-delà de l’usage liturgique. Elle répond à d’autres nécessités de l’âme.
La collection de Tolède et le chemin spirituel d’un amateur d’art
Cette exposition inaugurale a pour nom « Visages du Christ ». Elle est la collection de Steen Heidemann commencée en l’an 2000, elle rassemble des œuvres d’artistes vivant aujourd’hui.
Ce collectionneur est architecte et historien d’art. Il est d’origine danoise, formé à Oxford. Il a exercé son métier à Londres, puis en Normandie. Il a été organisateur de plus de 25 expositions pour les galeries nationales d’Helsinki, de Minsk, de Kiev et du Musée des Beaux-Arts de Caen où il a notamment collaboré à l’exposition impressionniste « Peindre en Normandie » qui a circulé dans toute l’Europe. Il est marié, père de quatre enfants.
Sa collection est le fruit d’une aventure spirituelle. Né dans une famille d’origine protestante devenue agnostique, il entre un jour dans la cathédrale de Westminster à Londres, de rite catholique, pour en admirer l’architecture néobyzantine. Une messe est en cours de célébration, chose qu’il n’a jamais vue et dont il ignore tout. Cette vision, sans comprendre comment ni pourquoi, le renverse, le projette sur le sol, comme saint Paul tombe de son cheval. Ce fut une stupéfaction, suivie d’une conversion brutale. En sortant du sanctuaire, tout restait à comprendre. Eucharistie, rituel, prêtrise, certes, ne faisaient pas partie de sa culture familiale. Ainsi commence une longue exploration et découverte où sa fréquentation très profonde et sensible de l’art lui a ouvert les chemins du mystère de l’Incarnation, de la forme accomplie, portant la présence de l’Esprit.
La quête de Steen Heidemann a comme fruit un premier livre : Le prêtre, image du Christ à travers quinze siècles d’art, publié en 2009 (L’Œuvre). C’est une histoire de l’art des images liées à l’Eucharistie. Pour conclure cet ouvrage exhaustif, il se met en quête d’artistes d’aujourd’hui et rencontre une grande difficulté pour les trouver. Pourquoi cet art est-il aussi difficile à voir ? Cette curiosité l’entraîne dans une nouvelle aventure : une exploration engageant à la fois son œil d’historien et son chemin intérieur de converti.
Alors naquit le désir de collectionner ces œuvres découvertes une à une. Sa collection devint une quête amoureuse du Visage aimé. Le contexte n’était pas favorable : à l’interdiction des images commune aux protestants, musulmans et juifs s’ajoutait désormais, de la part des institutions catholiques, une grande défiance à leur égard.
Steen Heidemann ne veut pour sa collection ni concepts, ni dogmes, ni théories. Son fil rouge est le visage du Christ. Il cherche une relation intime, sensible avec l’œuvre, quelque chose dans l’ordre de ce qui l’a foudroyé : l’expérience eucharistique de l’Esprit présent dans la matière. Il aspire à des œuvres d’art, fruit d’une inspiration, d’une rencontre, dont la main a délivré la forme pour qu’elle devienne visible à nos yeux.
Quête ardue car menée en marge d’un art officiel qui désigne l’art conceptuel comme seul « contemporain » et dont le but est proclamé humanitariste et vertueux : celui de déconstruire, critiquer, détourner, déranger, casser les codes, mettre en abîme, défendre les valeurs sociétales réduites au trio climat, race et genre. Cet art dominant a rendu invisibles les artistes voulant incarner le sens dans la matière en accomplissant la forme.
Devenu ainsi explorateur en terre inconnue, Steen Heidemann a dû s’armer de patience et d’attention pour découvrir une à une les œuvres d’artistes qui se sont confrontés à la figure du Christ. Peindre un tel visage était devenu pour ces derniers une aventure solitaire, appartenant au domaine de l’intime. Des œuvres sont nées de cette nécessité intérieure mais ont peu fait l’objet de commerce. Des commandes privées d’art à sujet religieux ont certes toujours continué à exister. Elles étaient destinées à des chapelles peu accessibles, à des demeures, et même à des lieux sacrés prestigieux mais si peu évoquées par les médias qu’elles demeuraient cachées. Cette hostilité touchant à la représentation du Christ a été particulièrement violente en France.
Il a fallu une vingtaine d’années à Steen Heidemann pour réunir les œuvres qui forment aujourd’hui la collection exposée à Tolède. Il a vu beaucoup d’œuvres et en a élu quelques-unes. Il a tenté de concilier sa perception d’historien d’art, objective et distanciée, et son regard d’amateur, singulier et amoureux. Une fois cette contradiction assumée, une évidence s’est imposée à lui : il doit partager cette intense et profonde aventure. En 2010, il publie son livre Faces of Christ et organise une exposition itinérante à travers l’Europe.
Cette collection en perpétuelle évolution et mouvement a trouvé son port d’attache permanent au Musée épiscopal de Tolède, d’où elle rayonnera et sera prêtée à ceux qui l’inviteront.
Aude de Kerros
- « Faces du Christ » : exposition de 240 chefs-d’œuvre d’art religieux dans la cathédrale de Tolède à partir du 10 mai 2025.
www.facesofchristcollection. com/
Association : box@wanadoo.fr
Nous vous montrons une deuxième œuvre de cette exposition : Le dépouillement du Christ, d’Hélène Legrand (France).
