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Pourquoi sauver l’école libre

L’école libre est sur le banc des accusés, en particulier depuis la publication fin 2022 de l’indice de position sociale (IPS), qui établit, chiffres à l’appui, que l’école privée scolarise plus d’enfants de familles aisées et moins d’enfants de familles défavorisées que l’école publique. Elle se voit reprocher de favoriser le séparatisme social et les inégalités scolaires. Depuis l’affaire Bétharram, l’école privée est aussi accusée de maltraitances systémiques. Le naufrage du paquebot de l’Éducation nationale incite, faute de mieux, les thuriféraires de l’école publique à envoyer par le fond les navires plus modestes de l’école privée, qui ont l’outrecuidance de ne pas couler aussi vite. Quant aux chaloupes de sauvetage que représentent les écoles indépendantes, elles suscitent une rage froide depuis la loi Gatel de 2018. Peu importe le sort des élèves. Mieux vaut qu’ils sombrent plutôt que d’être repêchés par l’infâme école privée. L’Éducation nationale se comporte comme les Pharaons qui faisaient enfermer dans leur tombe toute leur domesticité pourtant bien vivante.
Comme l’a montré la philosophe Chantal Delsol lors du colloque sur l’école libre organisé le 23 mai dernier par la Fondation Kairos pour l’innovation éducative-Institut de France, notre société semble « croire » à une sorte de hiérarchie morale selon laquelle l’école publique est la plus digne, l’école sous contrat n’est que tolérée, tandis que l’école privée hors contrat est exécrée et l’école à la maison à éradiquer. Lorsqu’il apparut que l’école publique était gangrenée par l’entrisme islamiste, le président Macron fit interdire l’école à la maison et corseter à l’extrême les écoles indépendantes, prises pour boucs émissaires. Aujourd’hui, alors que la réduction de la population scolaire entraîne la fermeture de classes dans les écoles publiques, l’Éducation nationale enrage que les écoles privées ne connaissent pas une baisse d’effectif proportionnelle. L’école primaire publique parisienne perdra 150 classes en septembre prochain contre zéro dans le privé, qui enregistrera simplement la baisse des effectifs de ses classes jusqu’à présent surchargées. À Paris, alors que l’effectif moyen par classe est de 20 dans le primaire public, il est de 24, voire 25 dans le privé sous contrat. Ne désarmant pas, les rectorats ont alors imposé en catimini et pour la première fois de notre histoire que soient indexés sur les très contestables IPS les répartitions des contrats, donc les financements publics.

Ne pas avoir peur de faire des vagues
Si les problèmes n’épargnent pas l’école privée et que certains acteurs scolaires trahissent particulièrement l’espérance et la charité qui doivent animer l’école catholique, il est néanmoins plus opportun que jamais de défendre l’existence et la liberté de l’école libre. Bétharram ne doit pas nous conduire à jeter le bébé avec l’eau du bain mais bien à nettoyer le bain résolument. Sans avoir peur de faire des vagues car le traitement des pourritures ne peut que faire des vagues. Jésus lui-même avait annoncé la couleur en disant qu’il était venu apporter l’épée, et non la paix (Mt 10, 34). C’est l’injustice qui scandalise à jamais le cœur des petits, bien plus que les échos médiatiques et judiciaires que leur dénonciation provoquera immanquablement.
L’école libre est plurielle et ancrée dans le territoire, loin des idéologies hors sol. Elle sauve nombre d’élèves que l’école publique avait condamnés à la relégation scolaire : harcelés, phobiques scolaires, démotivés et dépressifs, enfants à haut potentiel ou à besoins spécifiques, enfants timides ou trop bien élevés… Elles accueillent moins de pauvres qu’elles ne devraient parce que la loi accorde injustement la gratuité et la priorité des places à la seule école publique, tandis que l’État organise la pénurie de classes dans le privé. Alors que plus de la moitié des parents préféreraient l’école privée pour leurs enfants, seuls 17 % d’entre eux y sont effectivement scolarisés. Le sondage CSA-Fondation Kairos de mai 2025 montre que 69 % des Français estiment que le caractère payant empêche les familles défavorisées d’accéder à l’école privée.
L’Éducation nationale a beau jeu de déplorer le biais social frappant l’école libre et de l’accuser d’entre soi alors qu’elle en est la cause directe. Pour réconcilier égalité et liberté, il faut mettre en place le financement public du libre choix, par exemple par le chèque éducation. Et la bonne nouvelle, c’est qu’une majorité relative des Français y est désormais favorable (sondage CSA-Kairos de mai 2023).

Anne Coffinier*

*Fondatrice et présidente de Créer son école (https://creer-son-ecole.com) et fondatrice de la Fondation Kairos.

© LA NEF n°382 Juillet-Août 2025