Abbaye de Fontfroide © Wikimedia Emmanuel Verhaque

Chiffres détaillés sur le catholicisme français et création d’un Observatoire

L’Observatoire français du catholicisme vient de voir le jour, et publie à l’occasion de son lancement un grand sondage sur les croyances religieuses des Français et sur leur perception du catholicisme. Elisabeth Geffroy, qui fait partie du collectif de laïcs engagés (avec Arnaud Bouthéon, Samuel Pruvot, et Damien Thomas) accompagnant les travaux de cet observatoire, nous présente les chiffres de ce premier sondage – qui confirme la situation critique du catholicisme, tout en mettant en lumière de beaux germes d’espérance.

Un Observatoire français du catholicisme (OFC) a vu le jour début juin. Dirigé par Aurélie Pirillo, il espère combler un vide : le manque de données fiables, précises, pertinentes, sur le catholicisme en France. Il se donne pour objectif de publier régulièrement des études, quantitatives et qualitatives, pour nous permettre à tous de mieux cerner la situation et la réalité du catholicisme dans notre pays. Dans la façon dont il fonctionne aujourd’hui, l’OFC entend unir plusieurs forces : d’une part, des catholiques qui connaissent la grammaire complexe du catholicisme français, ainsi que les questions et défis qui se posent avec le plus d’acuité aux croyants et qui nécessitent le plus le concours d’un tel organisme ; d’autre part, des professionnels renommés de l’art sondagier, tel Jérôme Fourquet, qui mettent en œuvre leur savoir-faire pour mener à bien des études rigoureuses. L’OFC compte par exemple publier dans les prochains mois une étude détaillée sur la typologie des catholiques pratiquants, et une autre sur les facteurs de conversion. 
À son initiative, l’IFOP, sous la houlette de Jérôme Fourquet, a publié le mois dernier un grand sondage sur la façon dont nos contemporains perçoivent le catholicisme. 

Une situation critique qui se confirme 

Les chiffres collectés viennent, pour certains, objectiver et confirmer de grandes tendances qui ne sont plus guère objet d’étonnement, et qui corroborent notre propre perception intuitive de la situation, une situation souvent critique pour le catholicisme. Ainsi, la France est devenue un pays qui, majoritairement, ne croit plus en Dieu : seuls 41 % des Français croient en Dieu, contre 56 % en 2011 et 66 % en 1947. Les mêmes Français sont 46 % à se positionner comme « appartenant au catholicisme », très loin devant les 4 % de musulmans qui forment le second groupe religieux du pays – mais le chiffre chute drastiquement à 23% si l’on regarde l’échantillon des 18-24 ans. Au-delà de cette affiliation déclarée, si l’on regarde la pratique, les chiffres baissent plus encore : ils sont 5% à aller à la messe « tous les dimanches ou plus », et 21 % à s’y rendre « quelques fois dans l’année ». Et si 76 % des Français sont baptisés, la pyramide des âges y est pour beaucoup, car seuls 42% des 18-24 ans le sont. 
Pire, parmi les personnes elles-mêmes baptisées, seules 61% ont l’intention de faire baptiser leurs enfants. 61 %. Ce chiffre est à méditer. À lui seul, il nous indique ce qui pourrait être une priorité de l’Église aujourd’hui : mettre toute son énergie à convertir ce 61 % en un 100 %, à affermir la foi des personnes ayant déjà reçu le baptême et croisé son chemin. C’est là notamment que les grandes masses se jouent. 61 %. Ce chiffre confirme que la crise de la transmission de la foi n’est pas qu’une réalité du passé, et que les très heureux chiffres croissants de baptêmes d’adultes sont très loin de parvenir à compenser la perte des enfants non-baptisés. 

Autre fait révélateur : les discussions ayant trait à la religion se font de plus en plus rares ; 32 % des Français « discutent souvent ou de temps en temps de religion » quand ils sont en famille, et 26% quand ils sont avec leurs amis. Un chiffre que l’on peut facilement relier au phénomène de déculturation du catholicisme que traverse la France : aux yeux de beaucoup, le catholicisme n’y occupe plus une place centrale, et nombreux sont nos concitoyens qui grandissent et vivent en France sans entretenir aucun rapport personnel au catholicisme, sans en connaître les fondamentaux, le langage, les codes, l’histoire, les grands piliers théologiques et anthropologiques. 
54% des Français déclarent avoir « été en relation dans les douze derniers mois avec l’Église catholique et/ou des personnes catholiques » ; 29% « par un événement religieux dans une église », 18 % « par la visite touristique d’un édifice catholique » et… seulement 3 % par l’enseignement catholique. Si l’on estime à environ 7% de la population totale les parents d’enfants actuellement scolarisés dans l’enseignement catholique, ce chiffre de 3% est un aveu d’échec, et une nouvelle sirène d’alarme. Autre signe des temps, qui peut être interprété autant comme un héritage des vieilles batailles anticléricales françaises que comme une réaction aux nombreux débats sur l’islam : 54% des Français « estiment que l’espace public doit demeurer neutre de tout témoignage religieux », tandis que 34% « estiment que l’expression par un individu de sa croyance religieuse est légitime dans l’espace public » et que 12 % ne se prononcent pas sur ce sujet. De plus, si environ 70% des Français pensent que l’Église doit continuer à intervenir sur des thématiques telles que l’accompagnement des malades et des mourants, le soutien spirituel dans les épreuves, la solidarité et la lutte contre l’exclusion, un décrochage s’opère quand on envisage des sujets moins consensuels : ils sont bien moins nombreux à penser que l’Église doit continuer à intervenir dans l’éducation de la jeunesse (47 %), sur la défense de la vie humaine (36 %) ou sur la transition écologique (36 %). Enfin, les scandales autour des abus sexuels ont laissé leur marque, et l’image des prêtres notamment s’est érodée au cours des dernières années : ainsi, seuls 52% des Français les estiment « dignes de confiance », chiffre qui a baissé de 16 points par rapport à l’année 2017 pourtant pas si lointaine. 

Des ferments d’espérance

Mais cette étude, si elle acte en grande partie la sécularisation avancée de la France, attire aussi notre attention sur des ferments d’espérance et des signaux qui nous interdisent tout pessimisme radical, faisant écho à ce que Léon XIV écrivait aux évêques français en juin dernier : « Cet héritage chrétien vous appartient encore, il imprègne encore profondément votre culture et demeure vivant en bien des cœurs. » 
Certains chiffrent révèlent par exemple la soif spirituelle de nombreux compatriotes, faisant apparaître à nos yeux la foule des personnes qu’un regard surnaturel peut considérer comme étant déjà avides de rencontrer le Christ et de nourrir leur âme de sa Révélation. Ainsi, 52 % des Français déclarent prier ou méditer (essentiellement pour la santé de leurs proches ou pour la leur), 37 % des Français disent être en quête spirituelle, et 15 % des non baptisés ont déjà envisagé de faire baptiser leurs enfants. Par ailleurs, même si cela ne trouve pas toujours de traduction dans les actes, le fait que près de la moitié du pays se réclame du catholicisme tend à montrer que la société française est plus consciente de ses « racines chrétiennes », de son héritage religieux, et plus apaisée envers lui, que ce que les débats politiques pourraient laisser deviner. 
De plus, les Français sont 69 % à avoir une bonne opinion des catholiques, chiffre qui tombe à 53% quand la question porte sur l’Église catholique, et non sur les croyants pris individuellement. Mais 60 % des 18-24 ans ont une bonne opinion de l’Église catholique, contre 49 % chez les 65 ans et plus : souvent plus ignorantes de la réalité religieuse, les jeunes générations sont aussi souvent mieux disposées vis-à-vis de l’institution, n’ayant pas de comptes à régler envers elle. C’est d’ailleurs chez elles aussi que les abus sexuels ont le moins d’impact sur l’image qu’elles ont de l’Église. 
Cette étude semble aussi conforter l’idée – difficile à arrêter définitivement car elle impliquerait de sonder les cœurs – selon laquelle les catholiques assistant tous les dimanches à la messe sont de plus en plus fervents : deux tiers d’entre eux disent y aller « le plus souvent possible », le tiers restant n’y allant « que » le dimanche. 
En outre, le sondage met en lumière certains « points de contact » entre les Français et le catholicisme : 59% d’entre eux ont des chrétiens pratiquants dans leur entourage familial ou amical, et 58 % sont entrés dans une église au cours de l’année écoulée. Des pistes à explorer quand on réfléchit aux façons les plus pertinentes de faire connaître le message du Christ. 
Enfin, plus de la moitié des Français (55 %) pensent que « l’Église doit promouvoir et défendre ses valeurs même si elles sont parfois en décalage avec les changements intervenus dans la société et dans les mœurs » : un encouragement à rester signe de contradiction et sel de la terre ? 

Une réalité à mieux connaître

On pourrait objecter à la collecte de toutes ces données que foi et chiffres ne font pas bon ménage, que l’action de la grâce ou le tréfonds des âmes ne se laissent pas enfermer dans des questions simples et quelques statistiques, qu’on apprend bien peu sur la situation de fond du catholicisme en regardant quelques pourcentages, qu’on n’étudie pas une religion comme on dissèque une mouche, qu’on ne part pas évangéliser comme on attaquerait le marché des yaourts nature. Certes. Mais une fois ces précautions prises, il convient de cerner l’objectif de cet Observatoire du catholicisme, qui est modeste mais tellement urgent : mieux connaître la réalité sociale du catholicisme et la regarder en face, appréhender ce qui, en lui, peut être connu par les outils de la statistique, mettre à la disposition des acteurs religieux, laïcs ou politiques des données fiables, objectives, synthétiques, dissiper certaines fausses impressions et certains lieux communs devenus inexacts, scruter les dynamiques, les tendances, les signaux, pour être moins démunis quand on essaie de décrire le catholicisme, quand on tente de saisir ce qu’il lui reste d’influence, de caractériser son rôle aujourd’hui, de comprendre la façon dont nos concitoyens le regardent, ou de nourrir notre imagination pour la mission.

Elisabeth Geffroy

© La Nef n° 382 Juillet-Août 2025