Jean Raspail serait-il plus lu ou moins lu, s’il n’avait pas écrit Le Camp des saints, ce « tremplin » et cette « casserole » ? Tremplin par des ventes impressionnantes et des traductions dans le monde entier, casserole quand on fit croire que devenir son lecteur supposait d’embrasser les idées politiques associées, rétrospectivement, au roman. Visionnaire annonçant le grand remplacement ou écrivain préféré des néo-fascistes, telle devint la question obligatoire. Une chose est certaine : sans ces polémiques, Raspail serait mieux lu. Le roman vénéré ou honni prendrait lui-même sa place dans une œuvre qui ne cesse de s’interroger sur la mort et la vie des civilisations, qu’il s’agisse de chrétiens occidentaux ou d’Alakalufs chiliens.
C’est pourquoi la très bonne biographie de Philippe Hemsen est un bol d’oxygène au milieu des procès qui toujours amputent, toujours simplifient, toujours condamnent. « Aventurier de l’ailleurs » : le sous-titre ne vaut pas que pour la vie de Raspail, mais pour l’impression qu’a le lecteur de voyager avec lui à travers l’espace et le temps. Non seulement Hemsen ne confond jamais le romancier avec un auteur engagé, mais il nous ouvre les horizons innombrables que Raspail a désignés, contemplés ou inventés. Très documenté, sans pour autant se perdre dans l’anecdotique, Hemsen nous fait suivre les traces de l’adolescent fugueur qui découvrit le scoutisme comme une planche de salut, du jeune héros international reçu à l’Élysée après avoir parcouru 4565 kilomètres en canot sur les rivières américaines, de l’ami de Jean Anouilh, du consul de Patagonie enfantant des concitoyens du royaume imaginaire, ou encore de l’homme qui convainquit Mitterrand d’autoriser un hommage à Louis XVI le 21 janvier 1993 sur la place de la Concorde.
Dans cette biographie qui atteint un parfait équilibre entre la vie de l’homme et les analyses de l’œuvre, chacun trouvera sûrement une image ou un texte à garder en souvenir du centenaire de la naissance de Raspail. Pour nous, ce sera sa passion pour Le capitaine Fracasse de Théophile Gautier, lointain ancêtre de ses Pikkendorff : l’aventurier de l’ailleurs est un homme qui ne cherche jamais autant à sauver l’épopée que quand il sait que c’est trop tard.
Henri Quantin
– Philippe Hemsen, Jean Raspail. Aventurier de l’ailleurs, Albin Michel, 2025, 25 €.
– Jean Raspail, Les royaumes de Borée, Albin Michel, rééd. 2025, 22,90 €.
© La Nef n° 382 Juillet-Août 2025