Mgr Lefebvre en 1981 © Antonisse, Marcel : Anefo-Dutch National Archives, The Hague-Wikimedia

Réponses aux arguments de la FSSPX à propos des sacres de 1988

La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) avait développé un certain nombre d’arguments pour justifier les consécrations par Mgr Lefebvre de quatre évêques, le 30 juin 1988, contre la volonté expressément notifiée du pape Jean-Paul II. Cet article, initialement publié début 1991 dans La Pensée Catholique, propose une réponse, point par point, à chacun des arguments avancés par la FSSPX, ainsi qu’une analyse de certains propos de Mgr Lefebvre et de ses partisans exprimant une grave déviation ecclésiologique.

A – Quelques réponses aux arguments présentés pour justifier les sacres de 1988

La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X n’ayant publié aucun recueil présentant l’argumentation « officielle » justifiant les sacres du 30 juin 1988 contre la volonté de Rome, nous nous sommes référés aux propos de Mgr Lefebvre lui-même et aux différents textes parus dans les publications proches de la Fraternité Saint-Pie X. Nous avons particulièrement arrêté notre attention sur Le Courrier de Rome de septembre 1988 puisque nous avons trouvé là, nous semble-t-il, l’analyse la plus sérieuse et la plus complète en faveur des sacres. Ce faisant, nous n’avons point trahi la pensée de Mgr Lefebvre qui a présenté ce travail comme remarquable et lumineux : « On ne peut être plus vrai, plus clair pour illustrer de la lumière de la foi les décisions que j’ai dû prendre depuis 15 ans et particulièrement la dernière, celle de la consécration épiscopale (…). Il n’est pas possible de résoudre mieux et plus fortement les problèmes actuels. C’est un chef-d’œuvre de pastorale et de théologie » (Cité par le Courrier de Rome d’octobre 1988).

ARGUMENT 1 – Le point principal de l’argumentation en faveur des sacres est l’état de nécessité qui permet d’enfreindre une loi dans certaines conditions (canons 1323 et 1324 cités en annexe). Or, pour pouvoir invoquer le droit de nécessité, il faut réunir cinq conditions. Qu’une d’entre elles ne soit pas satisfaite et l’argument ne tient plus.

Première condition, il faut qu’existe réellement un état de nécessité : c’est, pour Mgr Lefebvre, la crise de l’Église et l’abandon de la Tradition dont il est l’unique ou le principal défenseur (la nouvelle messe, l’œcuménisme, la liberté religieuse, etc.). Bref, Rome n’est plus dans Rome et a perdu la foi (Courrier de Rome, septembre 1988, et Fideliter, hors-série des 29-30 juin 1988, N3 65, 66, 70).

RÉPONSE 1.1 – La crise de l’Église n’est pas un élément nouveau surgi en 1988. La gravité de la situation de l’Église est un argument pour continuer de résister, comme Mgr Lefebvre l’avait fait jusqu’aux sacres et non pas pour s’arroger des pouvoirs et prérogatives d’essence papale que l’on n’a pas.

1.2 Prétendre que Mgr Lefebvre est l’unique défenseur de la Tradition (vocabulaire impropre en vérité) et que sa survie dépend de son œuvre est pour le moins exagéré.

1.3 La Tradition faisant partie intégrante de l’Église ne peut disparaître, pas plus que l’Église dont on sait que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elle.

1.4 La « nécessité » a été provoquée par la résiliation unilatérale par Mgr Lefebvre des accords du 5 mai 1988 qui prévoyaient le sacre d’un évêque membre de la Fraternité Saint-Pie X finalement accepté par Rome pour le 15 août 1988. En quoi donc y avait-il « nécessité » de sacrer quatre évêques le 30 juin 1988 plutôt qu’un seul le 15 août de la même année ?

1.5 Enfin, même en admettant la thèse de l’état de nécessité, rien ne justifie, la nécessité pas plus qu’autre chose, d’accomplir un acte pour lequel on est sans pouvoir, la nomination des évêques ne relevant pas seulement de la seule discipline ecclésiastique comme une simple loi révocable selon les circonstances.

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ARGUMENT 2 – Il faut que tous les moyens ordinaires aient été épuisés avant de recourir aux moyens « extraordinaires » (les sacres). Or, Mgr Lefebvre n’ayant pas eu confiance a rapidement constaté que l’accord assorti de la promesse du sacre d’un évêque n’était qu’un appât trompeur et ne pouvait aboutir qu’au ralliement des traditionalistes aux thèses de Vatican II (Courrier de Rome, septembre 1988).

RÉPONSE 2.1 – En refusant de tenter d’aller jusqu’au bout des accords, à savoir d’attendre au moins le 15 août 1988, date du sacre acceptée par Rome, Mgr Lefebvre n’a manifestement pas épuisé les moyens ordinaires. Mgr Lefebvre lui-même a reconnu que le problème de l’évêque était résolu, lorsque le 2 juin 1988 il écrivit au Pape « que la consécration épiscopale n’est pas contraire à la volonté du Saint-Siège, puisqu’elle est accordée pour le 15 août ». Un communiqué de Mgr Lefebvre daté du 19 juin 1988 rappelle que « la question de l’évêque est solutionnée avec peine » (Fideliter, hors-série des 29-30 juin 1988).

2.2 Le manque de confiance n’est qu’un sentiment, mais ne constitue en rien un argument. Finalement aucune preuve n’est venue corroborer ce sentiment. On peut dire en revanche a posteriori que Rome n’a pas renié ses engagements envers les traditionalistes qui lui sont restés fidèles.

2.3 S’il était tellement évident que l’idée de Rome était de le ramener à Vatican II, pourquoi Mgr Lefebvre a-t-il entamé des négociations ? Pourquoi surtout a-t-il signé un protocole d’accord qui semblait répondre à toutes ses demandes principales ?

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ARGUMENT 3 – Il faut que l’acte « extraordinaire » accompli ne soit pas mauvais et qu’il n’en résulte aucun dommage pour les âmes. Le sacre n’est pas un acte mauvais parce qu’il n’est réglé que par une prescription disciplinaire de droit ecclésiastique. Il n’est donc pas un acte de nature schismatique : jusqu’à Pie XII, le code de droit canonique ne prévoyait pas l’excommunication pour l’accomplissement d’un tel acte et même dans le code de 1983 un tel sacre n’est pas catalogué dans le chapitre des délits contre l’unité de l’Église (Courrier de Rome, septembre 1988).

RÉPONSE 3.1 – Le pouvoir incontournable du Pape de nommer ou confirmer les évêques, au moins tacitement, est une loi d’ordre dogmatique et non pas de pure discipline ecclésiastique. De même que le Christ a choisi ses apôtres, le Pape, vicaire du Christ sur terre, nomme ou délègue explicitement, implicitement ou tacitement le pouvoir de nommer les évêques : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis » (Jn XV, 16). Le mandat du Pape manifeste la visibilité de l’Église dans le monde par le rattachement hiérarchique des évêques au Saint-Père. Que les modalités par lesquelles le Pape déléguait le pouvoir de nommer les évêques aient changé au cours des temps n’enlève rien à sa prérogative en cette matière.

3.2 La nomination des évêques appartient en propre au pape. Dans l’encyclique Ad Apostolorum Principis du 29 juin 1958 consacrée à ce sujet, Pie XII écrit : « Personne ne peut conférer légitimement la consécration épiscopale sans la certitude préalable du mandat pontifical. Une consécration ainsi conférée contre tout droit divin et humain, et qui est un très grave attentat à l’unité même de l’Église, est punie d’une excommunication ‘réservée d’une manière très spéciale au Saint-Siège, et encourue ipso facto non seulement par celui qui reçoit cette consécration arbitraire mais aussi par celui qui la confère’ (cf. Décret de la Suprême Congrégation du Saint-Office du 9 avril 1951). » Cela montre, enfin, que l’acte est en lui-même intrinsèquement mauvais par usurpation de pouvoir et qu’il porte préjudice aux âmes en risquant de les entraîner dans un schisme. « Il est évident, d’abord, qu’on ne pourvoit pas aux besoins spirituels des fidèles en violant les lois de l’Église », dit Pie XII dans la même encyclique.

3.3 II est vrai que jadis le droit ne prévoyait pas d’excommunication contre de tels sacres mais une peine de suspense : en quoi cela constituerait-il cependant un argument en faveur des sacres ? On ne peut davantage en tirer la conclusion que les sacres ne sont pas un acte mauvais. Le fait que le droit ait évolué sur ce point ne le rend pas nul ; la peine applicable aujourd’hui est celle du code en vigueur, non celle des codes précédents ; c’est en fonction de celui-là que Mgr Lefebvre devait agir, non en fonction de ceux-ci. Enfin et surtout, la cause de l’acte schismatique ne réside pas dans l’excommunication, mais dans l’usurpation d’une prérogative propre du Pape (c’est le schisme qui entraîne ipso facto l’excommunication alors que la proposition inverse n’est pas nécessairement vraie).

3.4 Que des sacres contre la volonté du Pape ne soient pas catalogués dans le chapitre des délits contre l’unité de l’Église montre seulement que tout sacre sans le consentement pontifical n’est pas nécessairement schismatique (le fait que Pie XII parle de « très grave attentat à l’unité même de l’Église » montre néanmoins le risque très réel de schisme) : dans un tel cas, le Pape, en tant que juge suprême, a le pouvoir de négocier un règlement à l’amiable si le sujet désobéissant y consent et ne se place pas dans une situation de refus implicite de la primauté pontificale, comme ce fut le cas pour Mgr Lefebvre qui a maintenu sa désobéissance malgré la volonté contraire du pape explicitement et expressément notifiée l’avertissant de l’excommunication latae sententiae et des risques de schisme. Quoi qu’il en soit, l’argument ne répond en rien à la réalité de l’excommunication que prévoient les articles 1013 et 1382 du code de droit canonique (cités en annexe).

3.5 II est significatif que la Fraternité Saint-Pie X n’ait jamais pu citer un seul grand théologien, un seul Père de l’Église, un seul Concile ou un seul Pape, bref un seul texte faisant référence qui reconnaisse dans des circonstances exceptionnelles la légitimité d’un sacre d’évêque contre la volonté du Pape (contre, et non pas sans sa volonté ou en la présumant acquise).

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ARGUMENT 4 – Il faut que, dans la violation de la loi, on se tienne dans les limites des exigences réellement imposées par l’état de nécessité. Pour respecter ce point et pour ne pas usurper la prérogative juridictionnelle du Pape, Mgr Lefebvre n’a sacré des évêques qu’en leur conférant le pouvoir d’ordre (transmettre les sacrements) et en se gardant bien de leur donner un pouvoir de juridiction. Le schisme, en effet, ne se produit que lorsque l’on confère un pouvoir juridictionnel à un évêque sacré sans mandat pontifical, car on assiste alors à la création d’une Église parallèle avec une hiérarchie parallèle (Courrier de Rome, septembre 1988).

RÉPONSE 4.1 – II ne s’est jamais vu dans l’Église d’évêques sacrés en mettant de côté le pouvoir de juridiction, comme s’il s’agissait d’une simple option. Une telle pratique va manifestement contre la Tradition qui, de plus, a toujours enseigné que le Pape était maître de la nomination des évêques. La fonction épiscopale forme un tout dont on voit mal comment on pourrait artificiellement séparer le pouvoir de juridiction du pouvoir d’ordre. C’est tellement vrai que les prêtres, élevés à l’épiscopat sans qu’on puisse leur attribuer de diocèse effectif (évêques de Curie, par exemple), reçoivent toujours un titre d’évêché in partibus, c’est-à-dire d’un ancien évêché réel aujourd’hui indisponible.

4.2 De la même façon, on ne connaît pas dans l’histoire de l’Église de sacre d’évêques sans mandat pontifical (au moins a posteriori, délégué ou implicite). Il est vrai que pour des raisons de communication, il est arrivé jadis que ce mandat ne parvînt qu’après le sacre. Mais dans tous les cas, le Pape devait le confirmer, au moins tacitement. En effet, le mandat pontifical marque la visibilité de l’Église, le lien hiérarchique visible qui unit les évêques au Siège de Rome. Un sacre sans mandat et contre la volonté clairement notifiée du Pape, revient à lui dénier le droit d’instituer librement des évêques : c’est donc une atteinte grave à sa primauté de juridiction sur un point qui est de son seul ressort.

4.3 En acceptant avec Mgr Lefebvre la possibilité de séparer les pouvoirs d’ordre et de juridiction, on aboutit à une impasse : ou bien Mgr Lefebvre refuse de transmettre un pouvoir de juridiction et il n’a donc pas l’intention de faire ce que fait toujours l’Église en pareil cas ; alors le sacre est invalide puisque tout sacrement n’est valide que si le ministre a l’intention de faire ce que fait habituellement l’Église ; ou bien il transmet un pouvoir de juridiction qu’il n’a pas et son acte devient schismatique.

4.4 L’abbé Pivert, membre de la Fraternité Saint-Pie X, reconnaît la nécessité d’une juridiction pour un évêque quand il écrit : « Voici ce qui rend légitime le choix d’un candidat, et permet de le sacrer évêque ; son envoi en mission au nom de l’Église, par le pape ou en son nom. Sans cette mission, le sacre est inutile car sans application, avec elle il est légitime car utile à l’Église » (Des sacres par Mgr Lefebvre… un schisme ?, p. 44).

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ARGUMENT 5 – Il faut enfin que l’on agisse dans l’état de nécessité sans remettre en question le pouvoir de l’autorité du Pape. Mgr Lefebvre n’a jamais contesté que Jean-Paul II était Pape ni remis en cause son pouvoir. Mais il distingue entre la fonction et la personne du Pape. Mgr Lefebvre a lui-même dit qu’il ne voulait point faire schisme et a demandé à ses futurs évêques qu’ils demeurent attachés au Siège de Pierre (Courrier de Rome, septembre 1988).

RÉPONSE 5.1 – Tout cela est vrai… ce qui n’empêche pas Mgr Lefebvre de désobéir formellement au Pape tout en prétendant être soumis à sa fonction. Reconnaître verbalement une autorité tout en refusant de lui obéir concrètement sur un point qui relève de sa seule compétence ne revient-il pas à contester ce pouvoir qu’on prétend respecter ?

5.2 L’intention de Mgr Lefebvre est une chose, ses actes en sont une autre. Dans tout acte, la morale distingue l’objet, l’intention (la fin) et les circonstances. Or, l’objet (les sacres contre la volonté de Rome) est ici intrinsèquement mauvais. Donc même une intention bonne (mais erronée) ne peut rendre l’acte bon, l’objet étant mauvais.

5.3 Enfin et surtout, l’acte schismatique de Mgr Lefebvre ne réside pas dans la négation de la primauté du Souverain Pontife mais dans l’usurpation d’une prérogative propre au Pape (sa faculté de nommer ou d’accepter les évêques).

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ARGUMENT 6 – Un catholique n’a pas à être en communion avec les opinions erronées de Pierre. Quand s’impose la nécessité de choisir entre la communion avec les papes d’hier ou la communion avec les quatre derniers papes, c’est le signe d’une grave crise de l’Église. Or, nous préférons garder la communion avec tous les papes jusqu’à Pie XII qu’avec ceux de l’Église conciliaire depuis Jean XXIII : « le catholique ne doit ni ne peut être en communion avec un pape Paul VI qui favorisa le modernisme, le libéralisme, l’œcuménisme condamnés par ses prédécesseurs » (Courrier de Rome, septembre 1988).

RÉPONSE 6.1 – II est évident qu’un catholique n’a pas à être en communion avec les erreurs de Pierre. Est-ce une raison pour rompre la communion avec Pierre et « quitter Rome » comme l’a dit Mgr Lefebvre ? (Le Choc, n° 10 de septembre 1988)

6.2 Qu’il y ait des points inconciliables entre les enseignements passé et présent de l’Église est effectivement le signe d’une crise importante de l’Église qu’on ne peut nier. On ne peut conclure néanmoins à une alternative aussi brutale que la nécessité d’un choix entre la communion avec les papes d’hier et ceux d’aujourd’hui, sans sous-entendre par-là que ces derniers sont hérétiques : sinon pourquoi donc la nécessité d’un tel choix ? Si donc le Pape Jean-Paul II était hérétique, il faudrait nous dire clairement et précisément quels sont les dogmes de l’Église qu’il remet en cause !

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ARGUMENT 7 – Dans des cas extrêmes, l’histoire de l’Église montre que la loi de suppléance a permis à des évêques d’instituer ou de sacrer des évêques sans l’accord de Rome : saint Eusèbe de Samosate institua lui-même des évêques durant la crise arienne et saint Athanase fut excommunié à plusieurs reprises pour avoir défendu la doctrine catholique contre les ariens (Abbé Pivert, Des sacres par Mgr Lefebvre… un schisme ?).

RÉPONSE 7.1 – Saint Eusèbe de Samosate n’a jamais sacré ni institué aucun évêque contre l’avis du Pape, mais sans son accord pour des raisons évidentes : en pleine crise, il fallait pourvoir des sièges vacants et ni l’avion ni le téléphone n’existaient pour obtenir rapidement les mandats ou l’accord du Pape. Il n’empêche que tous ces évêques ont bien été tacitement confirmés par le Souverain Pontife (puisqu’à l’époque seul son accord tacite était nécessaire). Or, aujourd’hui, il ne s’agit pas de sacres sans l’accord du Pape, mais de sacres contre sa volonté clairement notifiée sans qu’aucun problème de communication n’y laisse le moindre doute.

7.2 Le Pape Libère, en exil, a bien excommunié saint Athanase, mais il faut remarquer : 1) que les documents le prouvant sont d’une authenticité seulement probable ; 2) que Libère le fit pour rentrer à Rome, non par désaccord avec saint Athanase ; 3) qu’aussitôt rentré à Rome, il reprit la lutte contre l’arianisme ; 4) qu’il était prisonnier, non libre ; 5) que saint Athanase n’a jamais sacré d’évêques contre la volonté du Pape ; 6) que saint Athanase avait refusé autrefois de se présenter à Rome alors que Libère l’y avait mandé sous peine d’excommunication.

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ARGUMENT 8 – Si le Pape n’accomplit plus, de fait, son devoir, cela rend d’autant plus nécessaire l’intervention des autres évêques ou au moins de l’un d’entre eux pour sauver ou perpétuer l’Église (Abbé Pivert, Des sacres par Mgr Lefebvre… un schisme ?).

RÉPONSE 8.1 – L’intervention des autres évêques ne peut se faire que dans le cadre de leurs pouvoirs propres. En aucun cas, même quand le Pape se trompe, un évêque ne peut usurper une prérogative du Pape contre sa volonté.

8.2 On ne sauve pas l’Église, c’est l’Église qui nous sauve. Un évêque seul ne construit pas l’Église contre le Pape.

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ARGUMENT 9 – Le canon 19 (cité en annexe) instaure un droit supplétoire dans les cas indéterminés où il n’existe « aucune prescription ni dans la loi générale ni dans la loi particulière ». Le bien des âmes étant en jeu, la suppléance de juridiction prévue au canon 19 confère une juridiction authentique. La question de la désignation des évêques devient donc plus une question de fait que de droit. L’abbé Schmidberger ajoute : « A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : le droit commun n’est plus valable » (Abbé Pivert, Des sacres par Mgr Lefebvre… un schisme ?).

RÉPONSE 9.1 – Nous sommes précisément dans un cas qui n’est pas indéterminé, où existent une loi, une règle et une jurisprudence précises : le canon 19 ne peut donc s’appliquer ici.

9.2 De plus, cet article concerne des questions de lois ecclésiastiques et on a vu que le sacre d’un évêque dépassait largement ce cadre et relevait de la doctrine. (Le canon 19 excepte par ailleurs les causes pénales.)

9.3 Enfin, dans le cas des sacres de Mgr Lefebvre, la peine n’est pas seulement prévue dans la loi ecclésiastique : l’excommunication a été clairement prononcée dans les formes requises par le juge compétent, le Pape ; elle est donc parfaitement valide.

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ARGUMENT 10 – Les ordinations sacerdotales conférées par Mgr Lefebvre depuis 1976 se sont également effectuées contre la volonté du Pape, donc pourquoi les avoir approuvées jadis et réprouver maintenant les sacres ? (Fideliter, n° 65 de septembre-octobre 1988).

RÉPONSE 10.1 – La différence essentielle est qu’en ordonnant des prêtres, Mgr Lefebvre faisait ce qui relève du pouvoir propre de tout évêque sans avoir préalablement besoin d’un mandat du Pape, tandis que l’institution d’un évêque est une prérogative incontournable du Saint-Père. Ces deux désobéissances ne sont donc pas de même nature. Si les circonstances pouvaient permettre à Mgr Lefebvre d’ordonner des prêtres, elles ne pourront jamais l’autoriser à sacrer un évêque contre la volonté du Pape.

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ARGUMENT 11 – Rome ayant accepté le principe du sacre d’un membre de la Fraternité pour le 15 août 1988, Mgr Lefebvre n’a donc pas commis d’acte illégitime contre la volonté du Saint-Père. « La consécration épiscopale, écrit Mgr Lefebvre au Pape le 2juin 1988, n’est pas contraire à la volonté du Saint-Siège, puisqu’elle est accordée pour le 15 août. » « Le principe des sacres a été accordé par Rome, ces sacres sont donc moralement bons », conclut l’abbé Aulagnier. Au demeurant, l’intention implicite du Pape étant le bien de l’Église, sa volonté ordinaire (s’il n’était pas empêché) serait d’approuver les sacres (Fideliter, hors-série des 29-30 juin 1988).

RÉPONSE 11.1 – Accepter une clause dans le cadre d’un accord (le protocole du 5 mai 1988) ne signifie en rien qu’on la maintient si l’accord est entre-temps rompu. La rupture de l’accord par Mgr Lefebvre annulait évidemment ipso facto tous les points sur lesquels Rome s’engageait. Sur ce point, aucune ambiguïté n’était possible : le Saint-Père s’était catégoriquement opposé aux sacres après la rupture des accords et avait fait adresser à Mgr Lefebvre une monition en règle quelques jours avant le 30 juin.

11.2 Désobéir à la personne du Pape aussi bien qu’à la divine constitution de l’Église en une matière grave en prétendant obéir à ce que devrait être sa volonté si elle allait dans le sens du bien de l’Église est pour le moins une attitude peu… traditionnelle qui est de nature à saper le principe d’autorité que l’on prétend par ailleurs défendre en ouvrant les portes à l’anarchie.

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ARGUMENT 12 – Rome n’a pas voulu accorder plus de deux membres sur sept à la Fraternité Saint-Pie X dans la commission chargée de régler la situation des traditionalistes : c’est la preuve que Rome ne voulait pas permettre l’expérience de la tradition et escomptait par ce biais l’éliminer peu à peu. Pour défendre efficacement la tradition, il eût été normal de donner la majorité des sièges de la commission à des membres de la Fraternité Saint-Pie X (Fideliter, hors-série des 29-30 juin 1988).

RÉPONSE 12.1 – Que Mgr Lefebvre eût préféré bénéficier de la majorité de la commission, on le comprend aisément. La proposition de Rome n’était cependant ni injuste ni excessive. Dans ses attributions, la commission pouvait notamment avoir à statuer des cas litigieux mettant aux prises un évêque local et un prieuré de la Fraternité Saint-Pie X. Comment l’autorité de la commission aurait-elle été acceptée par les évêques si celle-ci avait été contrôlée par des fidèles de Mgr Lefebvre ? Et devant régler objectivement des problèmes entre la Fraternité Saint-Pie X et les évêques, comment la commission n’aurait-elle pas été taxée de parti pris si sa majorité avait été composée de membres directement concernés par les questions à traiter ? Il était donc normal que, organe du Saint-Siège pour la réconciliation, elle fût majoritairement formée d’hommes représentant Rome.

12.2 La Fraternité Saint-Pie X bénéficiait de deux membres sur sept pour faire entendre son point de vue. Mais là encore, la méfiance ne peut être un prétexte valable de rupture car il ne coûtait rien à Mgr Lefebvre de tenter l’expérience proposée par Rome puisqu’il gardait toujours la possibilité de faire marche arrière à tout moment s’il le souhaitait.

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ARGUMENT 13 – En plus de l’accord, Rome obligeait Mgr Lefebvre à signer une lettre adressée au Pape dans laquelle il devait lui demander pardon et dont le contenu était un reniement de son action passée (Conférence du 15 juin 1988 dans Fideliter, hors-série des 29-30 juin 1988).

RÉPONSE 13.1 – Cela est faux, le plus simple pour s’en convaincre est de citer le passage incriminé : « je vous prie humblement de pardonner tout ce qui, dans mon comportement ou celui de la Fraternité, a pu blesser le vicaire du Christ et l’Église, de même que pour ma part, je pardonne du fond du cœur ce dont j’ai eu parfois à souffrir ». Cette lettre reconnaissait au contraire implicitement des torts au Vatican puisqu’elle admettait que Mgr Lefebvre avait pu avoir à souffrir à cause des autorités romaines.

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ARGUMENT 14 – Rome avait refusé les trois noms des candidats aux sacres proposés par Mgr Lefebvre, preuve de sa mauvaise volonté, le Vatican cherchant à gagner du temps (Fideliter, hors-série des 29-30 juin 1988).

RÉPONSE 14.1 – La liberté du Pape d’instituer les évêques est pour lui la liberté de les choisir et de les refuser. Dans une affaire aussi importante, il n’y avait rien de choquant à ce que Rome soit particulièrement exigeante sur le choix des postulants, l’important pour Mgr Lefebvre étant que le principe du sacre d’un prêtre membre de la Fraternité Saint-Pie X fût accepté.

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ARGUMENT 15 – Il n’y a plus de sanctions dans l’Église d’aujourd’hui. Des ecclésiastiques propagent la théologie de la libération, des évêques réclament le droit à l’avortement, des prêtres nient la divinité de Jésus-Christ, Mgr Gaillot s’allie ouvertement aux communistes, et aucun de ceux-ci n’a jamais été excommunié par Rome. Seul Mgr Lefebvre et les traditionalistes subissent encore de telles sanctions alors qu’ils ne le méritent pas, tandis que ceux qui le mériteraient continuent impunément d’enseigner leurs hérésies. Il y a là une injustice manifeste qui fait que le catholique du rang ne croit plus à la réalité de cette excommunication (Le Choc, n° 4 de mars 1988 et l’abbé Aulagnier dans Fideliter, N° 65 de septembre-octobre 1988).

RÉPONSE 15.1 – On peut effectivement déplorer que trop de propagateurs d’hérésies ne soient pas plus fermement condamnés par Rome. On est là en présence d’un des aspects de la crise qui secoue l’Église.

15.2 On voit mal cependant en quoi ce constat justifierait de passer outre les lois de l’Église. Le fait que d’autres n’obéissent pas et ne soient pas condamnés n’est pas une justification pour agir soi-même de cette façon, au contraire on contribue ainsi à saper l’autorité qu’on prétend défendre.

15.3 La faiblesse de Rome à l’égard des modernistes ne rend absolument pas caduque la peine portée contre Mgr Lefebvre dès lors où celle-ci est lancée par le juge compétent et dans les formes requises.

15.4 Enfin, la gravité de l’acte de Mgr Lefebvre réside dans l’usurpation d’une prérogative du Pape, ce que n’a fait ni un Mgr Gaillot ni un Dom Helder Camara, malgré toute la gravité de leurs erreurs (ce qui n’empêche pas qu’il est dommageable que Rome ne les ait pas condamnés). Le point important n’est donc pas l’excommunication de Mgr Lefebvre, mais son acte schismatique dont l’excommunication n’est qu’une conséquence prévue.

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ARGUMENT 16 – On ne peut être schismatique et excommunié en continuant de faire ce que l’Église a toujours fait. « Nous sommes condamnés, dit Mgr Lefebvre, par des gens qui sont condamnés, et qui devraient être condamnés publiquement (…). Cela n’a pas de valeur évidemment » (Fideliter, n° 70 de juillet-août 1989 et n° hors-série des 29-30 juin 1988).

RÉPONSE 16.1 – En l’occurrence, Mgr Lefebvre ne continue pas de faire ce que l’Église a toujours fait en sacrant des évêques contre la volonté de Rome. Cela ne s’est même encore jamais vu dans l’Église (ou plutôt cela s’est vu précisément dans les seuls cas de schismes). Ici, c’est le Pape qui défend la Tradition sur un point essentiel de la succession apostolique. L’Église, en effet, n’a jamais enseigné que des sacres d’évêques contre la volonté du Pape étaient licites.

16.2 De deux choses l’une : ou Mgr Lefebvre reconnaît que Jean-Paul II est le Pape légitime successeur de Pierre, et ce dernier a alors le pouvoir de le condamner validement ; ou bien la condamnation n’a pas de valeur, ce qui signifie que Jean-Paul II n’a pas les pouvoirs de sa charge… et n’est donc pas Pape.

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B – Les dangereuses déviations de la Fraternité Saint-Pie X

Les réponses aux arguments cherchant à justifier les sacres ont confirmé que l’acte des sacres contre la volonté du Pape était de nature schismatique. Les propos de Mgr Lefebvre et de ses principaux adjoints sur l’Église, le Pape ou les évêques laissent de plus planer un sérieux doute sur la façon dont ils entrevoient la continuité de l’Église.

Le Pape est-il hérétique ? L’Église demeure-t-elle encore à Rome ? Autant de questions que l’on peut se poser en lisant les propos suivants :

« La chaire de Pierre et les postes d’autorité de Rome étant occupés par des antichrists (…), c’est ce qui nous a valu la persécution de la Rome antichrist. » (Lettre de Mgr Lefebvre aux futurs évêques du 29 août 1987, dans Fideliter, hors-série des 29-30 juin 1988)

« Excommunication par qui ? Par une Rome moderniste qui n’a plus parfaitement la foi catholique (…). Schisme avec quoi, avec le Pape successeur de Pierre ? Non, schisme avec le Pape moderniste, oui ». (Conférence de Mgr Lefebvre du 15 juin 1988 à Écône, dans Fideliter, hors-série des 29-30 juin 1988)

« Nous préférons être excommuniés. Nous ne voulons pas participer à cette œuvre épouvantable qui se réalise depuis vingt ans dans l’Église » (Homélie de Mgr Lefebvre du 10 juillet 1988, Fideliter, N° 65 de septembre-octobre 1988).

« Nous devrons continuer à faire le travail de l’Église sans le Vatican (…). S’il le faut, elles [des religieuses] doivent se séparer de Dom Gérard pour garder la Foi, pour garder la Tradition » (Interview de Mgr Lefebvre dans Fideliter, n° 66 de novembre-décembre 1988).

« Je vous demande : où sont les véritables marques de l’Église ? Sont-elles davantage dans l’Église officielle (il ne s’agit pas de l’Église visible, il s’agit de l’Église officielle) ou chez nous (…) ? Tout cela montre que c’est nous qui avons les marques de l’Église visible. S’il y a encore une visibilité de l’Église aujourd’hui, c’est grâce à vous. Ces signes (une, sainte, catholique, apostolique) ne se trouvent plus chez les autres. Il n’y a plus chez eux d’unité de foi, or c’est la foi qui est la base de toute visibilité de l’Église (…). Sortir donc de l’Église officielle ? Dans une certaine mesure, oui, évidemment (…). Il faut donc sortir de ce milieu des évêques, si l’on ne veut pas perdre son âme. Mais cela ne suffit pas, car c’est à Rome que l’hérésie est installée (…). Si nous nous éloignons de ces gens-là, c’est absolument comme avec des personnes qui ont le sida. On n’a pas envie de l’attraper. Or, ils ont le sida spirituel, des maladies contagieuses. Si l’on veut garder la santé, il faut ne pas aller avec eux (…). C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous lier avec Rome » (Conférence de Mgr Lefebvre du 9 septembre 1988 à Écône, dans Fideliter, n° 66 de novembre-décembre 1988).

« S’ils (Dom Gérard, Jean Madiran et Bernard Antony) n’ont pas dit explicitement : nous acceptons le Concile et tout ce que Rome professe actuellement, implicitement ils le font (…). Nous disons, nous, que l’on ne peut pas être soumis à l’autorité ecclésiastique et garder la Tradition » (Conférence de Mgr Lefebvre à Flavigny en décembre 1988, dans Fideliter, n° 68 de mars-avril 1989).

« Je ne dis pas que nous sommes l’Église catholique. Je ne l’ai jamais dit. Personne ne peut me reprocher d’avoir jamais voulu me prendre pour un Pape. Mais, nous représentons vraiment l’Église catholique telle quelle était autrefois puisque nous continuons ce qu’elle a toujours fait. C’est nous qui avons les notes de l’Église visible : l’unité, la catholicité, l’apostolicité, la sainteté. C’est cela qui fait l’Église visible (…). Évidemment nous sommes contre l’Église conciliaire qui est pratiquement schismatique, même s’ils ne l’acceptent pas. Dans la pratique, c’est une Église virtuellement excommuniée, parce que c’est une Église moderniste (…). Ce n’est plus l’Église catholique, c’est l’Église conciliaire avec toutes ses mauvaises conséquences. Ils contribuent à détruire l’Église (…). Le salut est dans la Tradition et non dans l’Église conciliaire qui est de plus en plus schismatique » (Interview de Mgr Lefebvre dans Fideliter, n° 70 de juillet-août 1989).

« Je quitte Rome pour des raisons graves (…). Arrivé à Rome, il n’y a plus d’homme, plus de courage. C’est que là-bas, nous avons affaire à des brigands » (Interview de Mgr Lefebvre dans Le Choc, n° 10 de septembre 1988).

« Nous ne demandons pas mieux que d’être déclarés ex communione de l’esprit adultère qui souffle dans l’Église depuis vingt-cinq ans, exclus de la communion impie avec les infidèles (…). Être donc associés publiquement à la sanction qui frappe les six évêques catholiques, défenseurs de la foi dans son intégralité, serait pour nous une marque d’honneur et un signe d’orthodoxie devant les fidèles » (Lettre au Cardinal Gantin du 6 juillet 1988, signée par l’abbé Schmidberger, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, ainsi que par 23 autres responsables de la Fraternité Saint-Pie X, dans Fideliter, n° 64 de juillet-août 1988).

« Un clergé et des évêques indépendants des diocèses, voilà la solution » (Abbé Aulagnier dans Fideliter, hors-série des 29-30 juin 1988).

« Rompre avec qui a rompu avec la Tradition, n’est pas schisme, mais fidélité » (Courrier de Rome d’octobre 1988).

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Que peut-on conclure de l’ensemble de ces propos ? Essayons de comprendre leur logique.

Il ne fait pas de doute que Mgr Lefebvre a rompu avec Rome. Il dit lui-même : « Je quitte Rome. » Mgr Lefebvre quitte Rome pour des raisons graves : parce que « la chaire de Pierre est occupée par des antichrists », que « c’est à Rome que l’hérésie est installée », que l’Église conciliaire « n’est plus l’Église catholique » et qu’Elle est « pratiquement schismatique » et « virtuellement excommuniée ».

Après de tels jugements il est difficile de ne pas conclure que le Pape est hérétique et schismatique. Le comportement de Mgr Lefebvre et des supérieurs de la Fraternité Saint-Pie X suit parfaitement cette conclusion puisqu’ils préfèrent être excommuniés de cette Église conciliaire que de continuer à en être membres. « Nous préférons être excommuniés », dit Mgr Lefebvre qui est suivi par son clergé qui y voit même « une marque d’honneur et un signe d’orthodoxie ». Pour sauver son âme, c’est-à-dire faire son salut, « il faut donc sortir de ce milieu des évêques », c’est-à-dire de « l’Église officielle ».

(Il y a comme une incohérence à demander à être excommunié. Soit l’excommunication est nulle : pourquoi alors la réclamer ? Soit elle est valide : elle marque alors l’exclusion de l’Église. Ce point montre l’ambiguïté des explications de Mgr Lefebvre. D’un côté, on prétend qu’il n’y a pas de schisme — « il n’y a pas plus de schisme que d’arêtes dans une dinde », affirmait joyeusement l’abbé Laguérie sur la Cinq après les sacres — et qu’on est en communion avec le Pape, au moins avec sa fonction à défaut de sa personne. Dans ce cas, on reconnaît que le Pape est catholique, successeur légitime de Pierre qui a donc les prérogatives de sa charge et notamment celle d’excommunier validement Mgr Lefebvre. D’un autre côté, on prétend qu’en réalité c’est le Pape et l’Église officielle qui font schisme, reconnaissant par là même l’existence d’un schisme. Soit dit en passant, cette affirmation signifierait que le Pape et les évêques du monde entier n’appartiendraient plus à l’Église visible !)

Par ailleurs, même en pensant rester attaché à la Tradition, si on reste fidèle à Rome, on ne peut garder la Foi : en effet, les religieuses du monastère Notre-Dame de l’Annonciation « doivent se séparer de Dom Gérard pour garder la Foi ». Cela signifie clairement que pour Mgr Lefebvre on peut difficilement garder la Foi en prétendant, à l’instar de Dom Gérard, maintenir la Tradition dans la fidélité à Rome. Si on ne peut garder la Foi, on peut également difficilement faire son salut dans ces conditions.

L’explication est qu’en restant fidèle à Rome, on accepte « implicitement » « le Concile et tout ce que Rome professe actuellement ». On a beau dire le contraire explicitement, en le sachant ou non, en n’approuvant pas les sacres, on accepte « implicitement » « tout ce que Rome professe ». Or, Rome étant hérétique et schismatique, en ne suivant pas Mgr Lefebvre, on n’est plus très loin d’être soi-même hérétique et schismatique. Si on ne l’est pas encore, on le deviendra inéluctablement à l’instar de Dom Gérard, Jean Madiran, Bernard Antony, etc.

Rome étant hérétique et schismatique et les traditionalistes « ralliés » n’en étant pas loin, il est logique que les signes de l’Église visible ne se trouvent plus qu’à Écône : « c’est nous qui avons les notes de l’Église visible », répète à deux reprises Mgr Lefebvre qui ajoute que « ces signes (une, sainte, catholique, apostolique) ne se trouvent plus chez les autres ». L’Église catholique n’est donc plus à Rome qui a rejeté la Tradition et n’a plus les quatre marques de l’Église visible. On ne peut donc plus faire son salut dans cette Église officielle qui est l’Église conciliaire : « le salut est dans la Tradition et non dans l’Église conciliaire », affirme Mgr Lefebvre. La Fraternité Saint-Pie X étant seule à maintenir la Tradition, on peut maintenant déduire de ce qui précède que le salut est désormais dans la Fraternité Saint-Pie X qui a seule les notes de l’Église visible et non plus dans l’Église ayant le Pape Jean-Paul II à sa tête.

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En résumé, la Fraternité Saint-Pie X a construit un argumentaire qui conduit à une conclusion en trois points :

  • 1. Le Pape est hérétique et schismatique : même si Mgr Lefebvre n’ose pas prononcer cette sentence aussi brutalement, ses propos ne laissent guère de doute comme nous avons essayé de le montrer plus haut. Le Pape et les évêques n’appartiennent donc plus à l’Église visible.
  • 2. L’Église officielle installée à Rome avec le Pape à sa tête n’est plus l’Église visible avec ses quatre signes de reconnaissance : unité, sainteté, catholicité, apostolicité. Elle n’est donc plus l’Église catholique mais « l’Église conciliaire » qui est hérétique et en état de schisme. On ne peut donc plus faire son salut dans cette Église-là.
  • 3. Les signes de l’Église visible ne se trouvant plus à Rome, seuls Écône et ses alliés (c’est-à-dire ceux qui approuvent les sacres) conservent les notes de l’Église visible. Seuls ils continuent l’Église.

Cette conclusion en trois points amène deux questions fondamentales :

  • A. L’Église de Rome n’étant plus l’Église catholique, peut-on faire son salut hors de la Fraternité Saint-Pie X, c’est-à-dire sans approuver les sacres du 30 juin 1988 ? Question que l’on est en droit de se poser quand on constate que l’approbation des sacres est devenue chez Mgr Lefebvre et ses partisans un nouveau signe d’orthodoxie, comme un nouvel article de foi aussi important que ceux du credo.
  • B. Le Pape Jean-Paul II est-il véritablement le Pape de l’Église universelle, légitime successeur de saint Pierre ? En effet, le sédévacantisme (la vacance du Siège de Pierre) serait la conclusion logique de l’analyse de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint-Pie X. Cela a conduit Jean Madiran à parler à juste titre de « sédévacantisme immanent ».
    Certes, Mgr Lefebvre s’est toujours défendu d’être sédévacantiste et d’être l’Église à lui seul avec la Fraternité Saint-Pie X et ses alliés, il n’empêche qu’avec les arguments présentés pour justifier les sacres, tous les jalons ont été posés pour aboutir à ces deux conclusions.

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Cette analyse des positions de la Fraternité Saint-Pie X montre clairement une déviation doctrinale sur le sens de l’Église. Il est dommage que Mgr Lefebvre ne se soit pas tenu à ce qu’il avait lui-même écrit dans son livre Lettre ouverte aux catholiques perplexes (Albin Michel, 1985) :

« On écrit aussi qu’après moi mon œuvre disparaîtra, parce qu’il n’y aura pas d’évêques pour me remplacer. Je suis certain du contraire, je n’ai aucune inquiétude. Je peux mourir demain, le Bon Dieu a toutes les solutions. Il se trouvera de par le monde, je le sais, suffisamment d’évêques pour ordonner nos séminaristes. Même s’il se tait aujourd’hui, l’un ou l’autre de ces évêques recevrait du Saint-Esprit le courage de se dresser à son tour. Si mon œuvre est de Dieu, Il saura la garder et la faire servir au bien de l’Église. Notre Seigneur nous l’a promis : les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elle » (p. 216).

Ce que Mgr Lefebvre a lui-même nommé un manque de confiance en la Toute-Puissance de Dieu l’a finalement poussé à recourir aux sacres comme si les portes de l’enfer avaient pu prévaloir contre l’Église.

Toute l’analyse précédente laisse entrevoir une notion de l’Église paradoxalement proche de la conception protestante. À plus d’une reprise, Mgr Lefebvre prétend continuer l’Église parce que seul avec ses amis il garde la vraie Foi, ce qui revient à dire : parce que j’ai la vraie Foi, j’appartiens à la seule véritable Église. C’est donc la vraie Foi qui indique où est l’Église véritable. Or, c’est précisément ainsi que les protestants définissent l’Église et c’est la raison pour laquelle ils ne croient qu’en une Église invisible. Si c’est la Foi – qui est invisible – qui définit l’Église, celle-ci ne peut être qu’invisible. Il y a donc contradiction à vouloir définir le visible – l’Église – à partir de l’invisible – la Foi (l’Église visible qui est l’ensemble des baptisés avec le Pape à leur tête n’est pas toute l’Église militante d’ici-bas en raison des âmes justes qui lui appartiennent sans le savoir et qui n’ont pas connu le baptême sinon celui de désir implicite).

La doctrine catholique est évidemment inverse et s’énonce donc ainsi : là où est l’Église authentique, là est la vraie Foi. Afin de partir d’un critère visible sûr et incontestable il faut ajouter que là où est le Pape, là est l’Église, formule certifiée par la parole du Christ : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre Elle » (Mt 16, 18). Le pape, tête visible de l’Église, est ainsi le fondement et le principe de l’unité de l’Église.

Finalement, à l’origine de l’acte schismatique de Mgr Lefebvre, n’y a-t-il pas une confusion entre la pérennité de son « œuvre » et celle de l’Église ? Si, dans l’absurde, l’Église se limitait à la Fraternité Saint-Pie X, tous les arguments tirés de l’état de nécessité pourraient peut-être s’appliquer. Mais cette déviation, qui a abouti aujourd’hui à la constitution d’une petite Église parallèle, avec ses évêques et ses prêtres, ne date pas du 30 juin 1988. Elle s’est manifestée peu à peu, au fur et à mesure que la Fraternité Saint-Pie X laissait ses prieurés se comporter comme de véritables paroisses où l’on baptisait et l’on mariait sans registre en vertu de la loi de suppléance.

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Pour justifier les sacres, la Fraternité Saint-Pie X s’est mise en position de devoir critiquer toujours plus fortement et plus durement les « errements » du Vatican en montrant que toute collaboration avec Rome est désormais devenue impossible. Cela rend malheureusement difficile le renouement d’un dialogue entre Écône et Rome, pourtant nécessaire pour aboutir rapidement à un accord si souhaitable. Car les victimes de ce drame sont en premier lieu ces milliers de chrétiens anonymes qui souffrent de cette déchirure et qui, bien souvent, n’ont d’autres chapelles à leur disposition pour assister à une messe traditionnelle que celles de la Fraternité Saint-Pie X.

Il était malheureusement inévitable qu’une si tragique déchirure dans l’Église entraînât des polémiques où la passion l’a largement emporté sur la raison. Les questions de personne ont trop souvent pris le pas sur l’argumentation. Que restera-t-il pourtant de ces polémiques dans cinquante ans si la déchirure persiste encore ? Rien. Absolument rien. Ne restera alors que la seule et vraie question qui compte dans cette affaire : Mgr Lefebvre avait-il ou non le pouvoir de sacrer quatre évêques contre la volonté du pape ?

Christophe Geffroy

ANNEXE : EXTRAITS DES ARTICLES DU CODE DE DROIT CANONIQUE
CANON 19 : Si, dans un cas déterminé, il n’y a pas de disposition expresse de la loi universelle ou particulière, ni de coutume, la cause, à moins d’être pénale, doit être tranchée en tenant compte des lois portées pour des cas semblables, des principes généraux du droit appliqués avec équité canonique, de la jurisprudence et de la pratique de la Curie Romaine, enfin de l’opinion commune et constante des docteurs.
CANON 751 : On appelle… schisme, le refus de soumission au Pontife Suprême ou de communion avec les membres de l’Église qui lui sont soumis.
CANON 1013 : Il n’est permis à aucun Évêque de consacrer quelqu’un Évêque à moins que ne soit d’abord établie l’existence du mandat pontifical.
CANON 1323 : N’est punissable d’aucune peine la personne qui, lorsqu’elle a violé une loi ou un précepte : (…) 4° a agi forcée par une crainte grave, même si elle ne l’était que relativement, ou bien poussée par la nécessité ou pour éviter un grave inconvénient, à moins cependant que l’acte ne soit intrinsèquement mauvais ou qu’il ne porte préjudice aux âmes.
CANON 1324 : § 1 L’auteur d’une violation n’est pas exempt de peine, mais la peine prévue par la loi ou le précepte doit être tempérée, ou encore une pénitence doit lui être substituée, si le délit a été accompli : (…) 5° par qui a agi forcé par une crainte grave, même si elle ne l’est que relativement, ou bien poussé par le besoin ou pour éviter un grave inconvénient, si le délit est intrinsèquement mauvais ou s’il porte préjudice aux âmes.
CANON 1382 : L’Évêque qui, sans mandat pontifical, consacre quelqu’un Évêque, et de même celui qui reçoit la consécration de cet Évêque encourent l’excommunication latae sententiae réservée au Siège Apostolique.

Article paru sous le pseudonyme d’Éric Berson dans La Pensée Catholique n°250 de Janvier-Février 1991.

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