La dignité humaine en danger

ÉDITORIAL

Rome vient de sortir une « Déclaration sur la dignité humaine« . Ce texte paraît particulièrement opportun, alors que se multiplient les atteintes graves à cette dignité humaine (GPA, euthanasie, changement de sexe…) dont le texte parle abondamment. Et nous nous devons de défendre la dignité sous toutes ses formes, que ce soit la défense de la vie ou le souci des plus démunis. Ce peut ainsi être l’occasion de rappeler la vocation sociale du chrétien, attentif aux possibles injustices du système économique dans lequel il est pris.

Le Dicastère pour la Doctrine de la foi a rendu publique début avril la « déclaration sur la dignité humaine », Dignitas infinita. La déclaration évoque rapidement dans un premier chapitre une notion essentielle souvent mal comprise : la « prise de conscience progressive du caractère central de la dignité humaine ». Il est en effet des vérités de la loi naturelle qui ne se dévoilent que progressivement : un approfondissement de certaines con­naissances s’opère grâce à une maturation de la réflexion, l’évolution des contextes historiques et l’action de l’Esprit Saint. Ainsi, par exemple, la polygamie, l’esclavage ou la torture, jadis admis sans état d’âme, ont progressivement été rejetés dans l’Europe chrétienne. Cela ne signifie pas que les hommes d’aujourd’hui soient plus saints ou plus vertueux que leurs ancêtres ; au contraire, d’une certaine façon, l’approfondissement de la loi naturelle élève les exigences touchant à la dignité de l’homme, et cette connaissance rend d’autant plus coupables ceux qui la transgressent. C’est aussi dans cette optique qu’il faut comprendre la reconnaissance par l’Église de la liberté religieuse.

Dignitas infinita, un texte opportun

Ce texte romain est tout particulièrement opportun en un temps où, certes on célèbre unanimement en parole cette dignité humaine, mais où on la bafoue aussi allègrement en se voilant la face sur certaines réalités. En effet, Dignitas infinita insiste sur de graves atteintes à cette dignité qui passent cependant, pour une majorité de nos contemporains, pour des « progrès » à inscrire dans la loi : avortement, GPA, euthanasie et suicide assisté, théorie du genre et changement de sexe (trans)… À l’avenir, nos descendants jugeront sans doute sévèrement de telles pratiques attentatoires à la dignité humaine, comme nous le faisons aujourd’hui à l’égard de l’esclavage. C’est pourquoi l’Église est dans son rôle lorsqu’elle défend à temps et à contretemps la dignité de l’homme dans sa totalité, quitte à être incomprise et décriée.
Ces graves violations de la dignité humaine, touchant la vie, l’anthropologie ou la morale, participent à ce que Jean-Paul II avait nommé la « culture de mort ». Il est cependant d’autres domaines où la dignité humaine est mise à mal et il est juste que Dignitas infinita s’y arrête également : ce sont les outrages à la dimension sociale de l’homme, et tout particulièrement aux plus vulnérables d’entre eux : pauvres, migrants, personnes handicapées… Un chrétien se doit d’embrasser la dignité humaine dans toute son ampleur et donc de la défendre à tous les niveaux, que ce soit la défense de la vie ou le souci des plus démunis.

Nécessité de corriger l’économie

Je voudrais insister ici sur l’importance de la dimension sociale, mais aussi sur certains pièges à éviter. En effet, le fonctionnement de l’économie a substantiellement évolué depuis la chute du mur de Berlin et l’essor de la mondialisation qui s’en est suivi. L’emprise du communisme avant 1991 exerçait une pression sur l’hybris naturelle du capitalisme, elle lui imposait, de fait, des limites. Celles-ci ont comme disparu, notamment avec les politiques de « dérégulation » libérale des années Reagan-Thatcher. La « financiarisation » de l’économie s’est manifestée par une évolution théorisée par Milton Friedman : désormais, l’entreprise est avant tout au service des seuls actionnaires (et donc de la rentabilité de leurs actions), au détriment tout particulièrement des salariés, devenus des variables d’ajustement, donnant ainsi une primauté absolue au capital sur le travail et faisant de l’Argent la fin de toute chose. Cette dérive du capitalisme a entraîné une augmentation des inégalités et le déclassement de pans entiers des populations (la « France périphérique » de Christophe Guilluy) malgré la croissance des richesses.
Cette évolution exige assurément des correctifs qui ne peuvent venir que du politique en vue de réorienter l’économie vers le bien commun – ce qui suppose déjà en amont de reconnaître le bien et de sortir du relativisme moral en acceptant les limites imposées par la loi naturelle. Mais, contrairement à ce que préconisent certains chrétiens de gauche, se réclamant parfois du marxisme (condamné par le Magistère sous toutes ses formes), la doctrine sociale de l’Église n’a jamais invité à renverser le système capitaliste : elle reconnaît le caractère positif du marché, de la libre entreprise et de la propriété privée, tout en appelant à les encadrer pour en prévenir les tendances négatives (cf. l’encyclique Centesimus annus de Jean-Paul II). Car même si ce système est imparfait, l’histoire a montré qu’il l’était infiniment moins que les alternatives marxistes qui ont toutes conduit à la suppression des libertés et finalement à la pauvreté.
La France a le triste privilège de conjuguer les pires aspects du socialisme et du libéralisme : elle a atteint un tel degré d’étatisation – elle possède l’une des fonctions publiques les plus pléthoriques du monde et cependant des services publics en ruine –, qu’une certaine libération des forces économiques est nécessaire. Aussi nous faut-il sortir à la fois d’un socialisme étouffant et d’un libéralisme destructeur imposé par l’idéologie mondialiste et l’Union européenne.

Christophe Geffroy

© LA NEF n° 369 Mai 2024