Des femmes et du catholicisme

«Il y avait un certain nombre de femmes qui suivaient Jésus depuis la Galilée », dit saint Luc. Le mois dernier, le pape, lui, choisissait de confier à la prière de l’Église « le rôle des femmes dans le monde », « afin que la dignité et la richesse des femmes soient reconnues dans toutes les cultures, et que cessent les discriminations dont elles sont victimes dans diverses parties du monde ».
Belle intention, notamment lorsque l’on considère depuis chez nous, l’Europe, l’état du rôle attribué à la femme sur une grande partie du globe. Souvent confinée à la maison, fréquemment voilée, voire bâchée, parfois excisée, très souvent maltraitée ou réduite à des rôles subalternes, il est frappant que cette moitié de l’humanité continue d’être ainsi méprisée. En ce sens, le progrès accompli par la civilisation chrétienne est sans commune mesure. Et c’est en Occident, la plus anciennement et profondément christianisée des portions du monde que le phénomène de « libération » de la femme se manifeste le mieux. Car à promener le regard autour de nous, sans même parler du monde musulman et de ses tortures, on trouvera peu enviable la place accordée à la femme en Corée, au Japon ou même en Chine par exemple, quoiqu’il s’agisse de nations « civilisées ».
Cependant, pour nous pencher sur nous-mêmes, il reste étonnant qu’il soit si difficile encore aujourd’hui d’évoquer les femmes et leur place depuis un point de vue catholique, soit qu’on s’expose à des reproches féministes, soit qu’on se heurte à un vain conservatisme.

L’appel du pape

« Respectons les femmes ! Respectons-les dans leur dignité, dans leurs droits fondamentaux ! Si nous ne le faisons pas, notre société n’avancera pas », assure encore le Saint-Père dans son message. Est-on si sûr de les respecter ici ? Ne sommes-nous pas plus prompts à jeter la pierre à la femme adultère qu’à l’homme, à considérer rapidement une femme comme abîmée par sa (mauvaise) vie ? Pourtant, il y a deux mille ans que Jésus a renvoyé l’un et l’autre au même péché, et à la même possibilité du pardon.
« Il convient de rappeler que Dieu transcende la distinction humaine des sexes. Il n’est ni homme, ni femme, Il est Dieu. Il transcende aussi la paternité et la maternité humaines, tout en en étant l’origine et la mesure : personne n’est père comme l’est Dieu », rappelle à propos le Catéchisme de l’Église catholique (CEC, 239).
Et même pour la paternité, le catéchisme précise plus loin : « Les “perfections” de l’homme et de la femme reflètent quelque chose de l’infinie perfection de Dieu : celles d’une mère et celles d’un père et époux » (CEC, 369). Ainsi Dieu est aussi mère, et si le Christ l’appelle son Père, on peut émettre l’hypothèse que c’est pour le renversement de la force et de la puissance en un amour soucieux du plus fragile, ce renversement propre au christianisme, que Dieu s’identifie le mieux à un père, dont les grosses mains brutes sont capables de se faire douces pour tenir le nourrisson.

Une vraie justice

Il reste étonnant que dans un monde façonné par une foi qui tient que l’homme et la femme ne font plus qu’une seule chair dans le mariage, l’on puisse continuer à assigner des rôles sociaux consacrés par des conditions historiques. Il n’y a pas de « tradwife », sinon chez les païens figés : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Une seule chose est nécessaire » (Lc 10, 41-42).
Très certainement, pour un enfant, un père et une mère ne se ressemblent pas et ce que l’on cherche chez l’un ne sera pas ce que l’on cherche chez l’autre ; mais pour toute une partie du reste de l’existence, la différence est nulle, et en ce sens le chrétien devrait produire un sain féminisme, qui établisse enfin une justice : pourquoi une femme serait-elle moins payée qu’un homme ? Bien malin qui saura y répondre.
Le père Sertillanges, dès 1908, dans Féminisme et christianisme, prenait à bras-le-corps la question complexe de la femme dans le monde, et surtout dans le monde contemporain. Plaidant pour une libération intelligente et fine des femmes, il y affirmait qu’« en tant que le féminisme invoque un idéal, nous devons être avec lui ; en tant qu’il voudrait l’altérer et nous jeter aux fondrières, nous devons le combattre ». Pas dupe, ni de la domination masculine, ni de la complaisance de certaines femmes avec leur bourreau, il poursuivait : « Que de femmes, dans ce monde étroit et fermé qui s’appelle le monde – je ne voudrais pas descendre plus bas – se trouvent ainsi heureuses de n’être rien d’humain au sens élevé de ce terme. Les compliments captieux et les manœuvres égoïstes des hommes les ont grisées. Elles n’ont plus rien de la femme aide de l’homme ; elles ne sont plus que l’oiseau, et en même temps le piège. »
Ensemble, sortons de ce piège.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n° 369 Mai 2024