Le professeur Didier Raoult © Wikipedia

Grandir encore un peu

Pascal avait sans doute tort, ou alors il faut le lire correctement : si le malheur de l’homme est de ne pouvoir demeurer entre les quatre murs de sa chambre, c’est certainement que la compagnie de son semblable lui est nécessaire, et que l’action extérieure, sans qu’il s’en aperçoive, lui lave l’esprit. Peut-être est-ce un effet de la chute, et le sage qu’est l’ermite ou le chartreux a, pour lui, réussi à dépasser l’humaine condition mais au prix d’efforts délibérés, incessants et profonds. De même que le travail, effet du péché originel, est pourtant retourné par grâce divine comme aide pour le salut, et que seuls de grandes âmes, à l’image de Jésus, sont capables de passer au-delà et n’en ont pas besoin ; de même que le jeûne et la chasteté sont des privations volontaires de ce qui autrement est un bien terrestre s’il est pratiqué avec mesure ; de même il est maintenant certain, après ces deux mois de confinement, que la sociabilité est un besoin pour les êtres humains basiques que nous sommes. Oh, ce n’est point une très grande découverte, direz-vous, et vous aurez raison. Tout le monde le sait, et l’enfant lui-même le ressent et le vit instinctivement.

Sagesse et confinement
Cependant, pour une première fois, nous en avons la preuve immédiate et à grande échelle : ces deux mois n’auront guère servi, si l’on regarde l’état du débat public, à accroître la sagesse de nos congénères et partant de la société elle-même. Nous ne doutons pas que certains, dans le silence de leur chambre, auront profité de cette solitude pour grandir spirituellement. Certains peut-être, pas la grande majorité : nous sommes devenus encore plus irascibles, intolérants à la recherche de la vérité et à l’objection de notre prochain qu’auparavant. Nous voyons, avec plus d’acuité que précédemment, à quel point il nous faut nous méfier des réseaux soi-disant sociaux et quel pernicieux rapport à la vérité ils créent.
Nous en voulons pour preuve la diatribe écrite par Mgr Vigano, ancien nonce de Washington, à propos de la reprise des cultes. Un texte écrit au marteau qui a plus participé à diviser les croyants qu’à aider à résoudre n’importe quelle question. Pour plusieurs raisons : d’abord la façon dont ce texte a été diffusé, s’appuyant censément sur des signatures de grands prélats (trois cardinaux dont on remarquera que Mgr Vigano, qui n’est pas cardinal contrairement à ce que croient beaucoup de gens, a placé les noms après le sien, ce qui est contraire à toute politesse et à tout sens de l’Église), prélats dont on peut se demander s’ils ont vraiment lu ce qu’ils ont paraphé : Mgr Sarah a vite réclamé qu’on retire son nom, après en avoir pris une connaissance approfondie. Quant à Mgr Müller et Mgr Zen, on imagine mal qu’ils aient pu approuver une pétition qui ne réclamait pas seulement, à juste titre, de pouvoir reprendre l’exercice des cultes et particulièrement l’administration des sacrements, mais encore laissait entendre que ce virus n’aurait pas été si dangereux qu’on le croyait, qu’enfin tout ceci n’était qu’« ingénierie sociale », dans le plus pur style complotiste, destinée à nous contrôler.

Absurdité de l’idée de complot
Il y a eu, il y a et il y aura beaucoup à dire sur la gestion par les gouvernements, et notamment le nôtre, de cette crise sanitaire. Cependant, il est absurde d’imaginer qu’ils aient pu en être les auteurs, ou s’en servir pour manipuler et nous contrôler, quand on voit qu’ils sont incapables d’anticiper la commande de masques, de tests, ou organiser des lits d’hôpitaux. C’est leur prêter une force dont ils sont bien dépourvus, hélas d’ailleurs.
On en veut pour autre preuve, la crédulité avec laquelle nos concitoyens se sont jetés sur le remède du Dr Raoult, à partir du moment où, tirant parti des impérities des gouvernants, ledit professeur est allé, tonitruant, expliquer qu’il était miraculeux. Encore une fois, les imbéciles que nous sommes regardent le doigt plutôt que la lune : cette épidémie est dramatique, mais fait hélas partie de la condition humaine, de même que la souffrance et la mort. Non qu’il faille s’y résigner, et les coupables en ce qu’ils n’ont pas su protéger comme leurs moyens techniques et médicaux le leur permettaient, devront être jugés en conséquence. Cependant, il n’y a pas lieu d’en déduire des théories politiques grandioses et extravagantes. Sinon peut-être celle-là : que dans le malheur nous avons tendance à chercher le bouc émissaire. Elle est très connue normalement, et Jésus l’a dévoilée il y a longtemps. Reste que nous y sombrons corps et biens dès que l’occasion nous en est donnée. Il s’agirait de grandir encore un peu.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n°326 Juin 2020