©Christophe Damaggio

Sexe et fidélité

Quel statut accordons-nous au sexe dans notre société ? Valeur basse ? Celle d’un consommable ? Ce sera une société liquide, déstructurée, sans sécurité. C’est le règne du sexe produit de consommation courante. Où le couple ne dure pas. Où la parole ne tient pas. Faute d’engagement, l’insécurité affective fausse les relations : chacun reste sur le qui-vive pour ne pas être abandonné comme un colis encombrant ; chacun navigue à vue, incapable de tenir le cap d’un grand projet familial.
Les faibles sont alors soumis au bon vouloir des forts. Ceux qui en souffrent sont les femmes et les enfants d’abord, les hommes ensuite. Mariées ou concubines, les compagnes sont souvent répudiées au milieu de la vie. Elles se sentent maltraitées comme des objets soumis à l’obsolescence programmée de l’âge. Dégâts collatéraux, les enfants trinquent, non plus tant de la réprobation sociale qui pesait autrefois sur les « enfants du divorce », mais parce que toute personne souffre naturellement de la séparation de ceux qui se sont aimés pour la concevoir. Beaucoup d’hommes, devenus volages, sont à leur tour victimes de l’insécurité matrimoniale. Ils errent, seuls. D’autres sont abandonnés par une compagne. Car l’adultère n’a plus le statut du tabou protecteur aidant les couples à surmonter leurs difficultés.
Trop de libertins désenchantés se croient autorisés à entraîner les jeunes générations sur leurs traces. En France, les adolescents sont soumis à une pression paradoxale : entrer très vite dans des relations intimes tout en évitant qu’un enfant soit conçu précocement. Cette double injonction tend à les empêcher d’enraciner leur vie dans la fidélité sexuelle, en frustrant leur soif d’un grand amour durable, fidèle et fécond. C’est leur capacité au bonheur qui est entravée. Je révèle dans Le temps de l’homme comment nos stupéfiants « déconstructeurs », réglant leurs comptes avec de douloureuses histoires personnelles, s’acharnent sur les murs porteurs de notre anthropologie, en commençant par la fidélité et la parité sexuelles dans le couple.

VALEUR HAUTE
Quand on accorde – au contraire – une très haute valeur au sexe, il structure notre vie. Il devient la clé de voûte de l’organisation sociale. Le sexe est tellement important qu’on se doit d’inviter ses proches à un mariage public, pour qu’ils soient témoins de notre décision d’entrer en relation… sexuelle !
Une alliance précieuse portée à l’annulaire l’attestera : « C’est elle – ou c’est lui – qui partagera mon intimité ». Elle – où il – sera « chasse gardée ». Preuve de l’importance centrale du sexe, cet engagement solennel sera nul si le mariage chrétien n’est pas sexuellement consommé.
On a donc osé se promettre fidélité : cette relation sera à la fois exclusive et irrévocable. Mais en quoi la fidélité et l’exclusivité sexuelles sont-elles de précieuses alliées de l’humanisation de notre vie en société ?
D’abord parce qu’il n’y a rien de plus solide ici-bas que le sexe pour unir deux êtres. Ensuite pour concevoir des enfants et les conduire vers la liberté. Car l’écosystème de base que constitue la famille a besoin de solidité et de temps. Son carburant est l’amour durable entre un homme et une femme. Huit Français sur dix estiment encore qu’un enfant a besoin de vivre entre son père et sa mère, comme l’expérimentent encore 70 % des petits Français. Ce n’est pas faire injure aux autres que de reconnaitre que ces derniers souffrent d’un manque, quelle que soit sa cause.
Comme en témoignait à Rome un père de famille africain au congrès Humanum, la famille monogame fait de l’époux un roi, de l’épouse une reine et de chaque enfant un prince et une princesse… Tout logement devient un palais souverain, avec ses frontières inviolables. La famille est ainsi la première société politique, où l’on apprend à vivre ensemble, selon des lois spécifiques. La paternité et la maternité sont les sources paritaires de toute autorité légitime, et la fratrie se construit autour d’un axiome-clé : on ne se choisit pas !
Village, territoire, pays peuvent être vus comme des familles de familles. Ils puisent leurs identités dans la famille originelle : la mère patrie est nourricière ; l’État exprime une forme de paternité en régulant les désirs par la loi ; et les citoyens sont reliés par un esprit de famille, cette solidarité naturelle irrévocable de ceux qui partagent les mêmes racines et qu’on nomme aussi fraternité.
La fidélité sexuelle constitue l’alternative à la société liquide. Son antidote même. Contrairement aux idées reçues, c’est l’une des plus belles et des plus communes des aspirations humaines. Une des plus sacrées.

Tugdual Derville

© LA NEF n°283 Juillet-août 2016