Abbaye Saint-Pierre de Solesmes © Wikimedia

«La personne humaine : pourquoi et comment l’accompagner ?»

« La personne humaine : pourquoi et comment l’accompagner ? » Cette question, qui introduira le samedi 27 avril 2024 la Journée des Amis de l’Association pour la Formation Chrétienne de la Personne (AFCP) à Solesmes, est aussi celle qui anime l’Institut Karol Wojtyla (IKW) qui en émane. L’IKW se présente comme une « école des sciences de l’homme », dont l’originalité unique est d’articuler ensemble philosophie réaliste (Aristote, saint Thomas d’Aquin, saint Jean-Paul II) et sciences modernes, cours théoriques et stages pratiques. A quelques semaines de l’ouverture de ses portes au public, le samedi 25 mai prochain, nous avons interrogé quelques-uns des acteurs de cet Institut.

Quelle est la mission de l’AFCP ?

Père Gabriel Villemain (modérateur de l’AFCP, aumônier national du CLER) – L’AFCP est une œuvre de formation humaine et spirituelle au service de l’accompagnement des personnes : c’est là son mérite et sa pertinence. Grandir en maturité humaine et spirituelle permet à toute personne une vraie libération intérieure. Il y a en chacun un potentiel extraordinaire. Aider à le découvrir et le faire fructifier de manière la plus vertueuse possible, est source d’une très grande joie ! Telle est notre magnifique mission, au service de l’Église de notre temps, qui est attentive à ce besoin de formation, comme en témoigne la venue de Monseigneur d’Ornellas à notre journée des amis de l’AFCP.

Pourquoi devrait-on se former aujourd’hui ?

Florent Chaveton (directeur de l’IKW) – J’y vois deux raisons. L’une appartient à la nature de l’homme, l’autre à notre culture contemporaine. Tout d’abord, l’homme ne saurait agir sans l’usage de sa raison. Par sa capacité de connaissance et de discernement, elle donne à la volonté son objet et les moyens de son agir. Or la raison n’est pas une faculté innée et spontanée dans sa connaissance. Il lui faut sans cesse recevoir, et revenir à l’ouvrage de la réflexion. Un homme non formé serait comme un aveugle que l’on mettrait sans sa canne sur un terrain accidenté qu’il ne connaît pas : tôt ou tard, il se ferait mal. La deuxième raison vient du haut développement de notre culture. La croissance des savoirs est une spécialisation folle qui a mené à la perte du sens de la personne humaine et du réel. On ne peut pas s’y retrouver si on ne se forme pas. Le chrétien non formé sera toujours dominé par des savoirs très élevés qui disposent la culture contemporaine à un type d’agir qu’il ne peut pas accepter : il sera démuni. Or plus que jamais, nous avons besoin d’être des chrétiens capables d’assumer nos responsabilités, pour continuer d’être le sel de la terre.

En quoi une formation en anthropologie chrétienne et accompagnement de la personne, proposée par l’IKW, est-elle pertinente pour notre temps ?

Florent Chaveton – Chrétiens, nous voulons répondre à l’appel du Christ : « aimez-vous les uns les autres ». À l’âge adulte, cela se traduit souvent par un accompagnement de l’autre. Cet accompagnement, dans un premier sens, commence lorsque nous nous trouvons, durablement, vis-à-vis d’autrui en situation de responsabilité.  Le seul apport des sciences modernes, avec ses différentes techniques, suffit-il pour assumer cette responsabilité ? Chacune de ces sciences et techniques se concentrant sur son objet particulier, ne donne jamais le sens de la personne. On fait quelque chose à l’autre, mais sans bien savoir qui est l’autre et qui on est soi-même. Aucune démarche vis-à-vis d’autrui n’est juste, si elle n’est pas une démarche éthique, c’est-dire une démarche qui engage le sens de la personne et de son respect. Or il n’y a pas d’éthique qui ne s’enracine dans une connaissance de l’homme (anthropologie) adéquate telle qu’on la trouve dans la tradition réaliste. Celle-ci ne doit pas s’arrêter à une connaissance spéculative, mais trouve son épanouissement dans l’éthique au sens d’une connaissance qui donne le goût et les moyens d’agir en vérité et en bien dans un monde tourmenté. Les programmes de l’IKW offrent cette connaissance pour soi et pour autrui.

Thomas d’Aquin peut-il être l’auteur de référence d’une formation en anthropologie et éthique, comme le propose l’IKW ?

Michel Boyancé (Enseignant-chercheur, doyen émérite de l’IPC, professeur à l’Institut Karol Wojtyla) – Saint Thomas d’Aquin est souvent perçu et enseigné comme un penseur spéculatif, lié à une « métaphysique » philosophique ou théologique, nécessairement assez abstraite. Or, il faut voir dans son œuvre une véritable synthèse qui ouvre à l’agir et à l’intégration des sciences et disciplines. Cet aspect de sa fécondité a surtout été travaillé outre-Atlantique, en Amérique du Nord comme en Amérique du Sud. La tradition européenne a mis l’accent sur son aspect théorique (theoria), et moins sur la dimension pratique (praxis). Aline Lizotte, fondatrice de l’AFCP, a travaillé à l’université Laval à Québec[1], qui a inspiré l’incarnation et l’adaptation, importantes pour des laïcs, de ces principes dans le monde moderne et contemporain, jusqu’aux dimensions de la prudence, vertu par excellence de l’agir personnel, social et politique. Être en responsabilité d’accompagnement au sens large demande une solide formation en philosophie de l’être humain (anthropologie) non moins qu’en philosophie morale et sociale de l’agir. Cela vaut pour les dirigeants d’entreprise, comme pour les enseignants, éducateurs, etc., tant dans la vie personnelle que dans le monde du travail. L’Église catholique ne s’y est pas trompée, elle qui s’appuie toujours sur les principes et la méthode de l’Aquinate, notamment pour les disciplines telles que la « doctrine sociale de l’Église » que pour les questions bioéthiques. Le travail à l’IKW consiste à aborder pour les adultes toutes les questions essentielles qui se posent, en tenant compte de l’apport des sciences, repris dans lumière de la grande tradition de la philosophie et de la théologie. Thomas d’Aquin a certes innové, mais il a été aussi, comme ses contemporains et les penseurs de l’antiquité, un vrai commentateur. Accepter toutes les objections, élaborer des synthèses et des réponses, ne pas confondre les méthodes disciplinaires, éclairer les décisions à prendre, autant d’outils présents chez lui, qu’il nous faut actualiser pour notre temps.

Que trouvent les étudiants en venant à l’IKW ?

Geneviève Saboly (médecin psychiatre, directrice des accompagnements AFCP) – Nous vivons actuellement une période où tout est permis, autorisé, valorisé, quel que soit le choix, même s’il détruit la personne humaine. Or les personnes inscrites à l’Institut Karol Wojtyla sont éblouies par la découverte de la valeur de l’Homme, l’enseignement leur apporte la connaissance de soi et le désir de partager cette découverte. Les étudiants souhaitent majoritairement poursuivre le cursus par la formation à l’accompagnement. Qu’ils soient en situation de responsabilité ou non, ils se sentent responsables d’aider leurs frères en difficulté.
Notre accompagnement s’adresse à toute personne souhaitant surmonter l’adversité et ordonner sa vie. Il s’appuie sur la connaissance intégrale de la personne, il diffère de l’apport des sciences modernes qui morcellent la prise en charge. L’accompagnement permet une meilleure compréhension de soi pour discerner ce qui est bon et ainsi mieux orienter son agir. La découverte et la pratique de la vertu permettent à l’accompagné de retrouver une liberté intérieure et l’amène à agir de façon responsable dans le monde actuel où tous les repères éclatent.
C’est ainsi que nous pouvons répondre à l’appel du Christ :
« Aimez-vous les uns les autres ».

[1] Voir à ce sujet le récent colloque, « Le discernement des Habitus. Autour de Charles de Koninck », M. Boyancé, B. Guéry, (dir), PUIPC, Paris, 2023.


© LA NEF le 22 avril 2024, exclusivité internet