Le drapeau du Hezbollah © upyernoz Flickr

Le Liban dans le piège de Gaza

Lorsque, le 2 janvier dernier, Saleh el-Arouri, responsable des Brigades El-Qassam, et six autres cadres du Hamas sunnite ont été assassinés par l’armée israélienne (Tsahal) dans la banlieue sud de Beyrouth, principal fief du Hezbollah chiite (« Parti de Dieu »), où ils résidaient, plus aucun doute ne semblait permis : le Liban n’échapperait pas aux retombées de la guerre qui oppose l’État hébreu aux dirigeants de la bande de Gaza depuis le 8 octobre 2023. Dès ce jour-là d’ailleurs, Tsahal et le Hezbollah avaient commencé à échanger des tirs aux abords de la frontière libano-israélienne. Ces affrontements sont allés crescendo. À partir de fin février, Tsahal a élargi son champ d’intervention en allant bombarder des positions militaires chiites situées dans des régions éloignées, notamment Saïda et Baalbeck. Quant au Hezbollah, il met le nord d’Israël sous pression par des attaques quotidiennes. De part et d’autre, les populations locales sont acculées à quitter leurs foyers.

Changement de stratégie du Hamas

La guerre de Gaza a mis en évidence le changement de stratégie du Hamas au Liban. Alors que jusqu’en 2018, il se contentait d’une présence politique dans les camps palestiniens où il cohabitait avec d’autres mouvements sunnites, son rapprochement avec le Hezbollah a entraîné sa militarisation. Ainsi est née l’étroite collaboration entre les deux partis, l’un et l’autre d’obédience islamiste, bâtie autour du concept de « l’unité des fronts », annoncée par Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, en avril 2023 au lendemain de l’irruption brutale, en plein ramadan, de la police israélienne dans la mosquée El-Aqsa à Jérusalem. Grâce à cette alliance, le Hamas bénéficie à son tour du soutien de l’Iran, parrain du Hezbollah depuis sa naissance en 1982.
Le Hezbollah vient en outre de franchir une nouvelle étape dans sa quête de légitimité régionale. Début mars, il organisait à Beyrouth une « réunion de coordination » avec des cadres du Hamas et des Houthis, rebelles chiites épaulés par Téhéran, qui, depuis 2015, contrôlent Sanaa, la capitale du Yémen. Cette rencontre portait sur « un élargissement des affrontements et sur l’encerclement de l’entité israélienne », a annoncé leur chef, Abdel Malek el-Houthi. Beyrouth devenait ainsi capitale de « l’axe de la résistance » (1).
La légitimité du Hezbollah s’enracine en outre dans l’accroissement de son influence sur la scène libanaise, non seulement au sein de sa communauté où il jouit d’un puissant soutien mais aussi dans l’État qu’il contribue largement à paralyser. Depuis la fin du mandat de l’ancien président de la République, Michel Aoun (octobre 2022), le Parti de Dieu s’acharne à empêcher le consensus prévu par la Constitution pour l’élection d’un successeur. Il profite de cette vacance pour conserver une présence militaire au Liban-Sud, empêchant l’armée libanaise de s’y déployer, et ceci en violation de la résolution 1701 adoptée par le Conseil de sécurité en 2006 suite à une guerre de 34 jours l’ayant opposé à Israël. Le respect de cette disposition est exigé par les principaux responsables chrétiens, en particulier le patriarche maronite, Béchara Raï, qui revient souvent sur la question, ce qui lui vaut de sévères critiques du côté chiite, comme celle du mufti Ahmed Kabalan, accusant « ceux qui poignardent la guerre la plus sainte et la plus importante sur le front du Sud » (2). Même M. Aoun s’est écarté du Hezbollah avec lequel il avait signé en 2006 un pacte qui lui avait ouvert les portes du pouvoir. « Nous ne sommes pas liés à Gaza par un traité de défense. Et c’est la Ligue arabe qui peut unir les fronts », déclarait-il récemment (3).

Accord entre le Hezbollah et Israël ?

Le Hezbollah accepterait-il de conclure avec l’État hébreu un accord pour garantir la sécurité au Liban ? « Il faut que le Hamas sorte gagnant de cette guerre », assure Hassan Nasrallah, prévenant qu’une victoire d’Israël aurait « des répercussions désastreuses sur les pays voisins » contraints d’accueillir les Palestiniens chassés de leurs terres. Ceux-ci risquent de subir les lourdes conséquences du discrédit de l’Agence des Nations unies (UNRWA) fondée en 1949 pour prendre en charge les populations ayant dû quitter l’Israël naissant. Accusée par le gouvernement israélien de complicité et de collaboration avec le Hamas, cette agence a perdu une grande partie des subventions des pays donateurs. Le Liban, où vivent 250 000 Palestiniens, sera très largement pénalisé par sa disparition, ceci pour deux raisons : la crise économique sans précédent qui l’affecte et l’obligation d’implanter ces hôtes auxquels sera définitivement refusé le droit au retour, ce qui, compte tenu de l’identité sunnite de la majorité d’entre eux, accroîtra le déséquilibre confessionnel déjà largement entamé au détriment des chrétiens.

Annie Laurent

(1) L’Orient-Le Jour, 19 mars 2024.
(2) Id., 28 janvier 2024.
(3) Id., 21 février 2024.

© LA NEF n° 368 Avril 2024