Livres Avril-Mai 2020

LE PROJET
La stratégie de conquête et d’infiltration des Frères musulmans en France et dans le monde
ALEXANDRE DEL VALLE et EMMANUEL RAVAZI
Édition de L’Artilleur, 2019, 550 pages, 23 €

Les Frères musulmans (FM) constituent « la sève vitale de l’islamisme mondial » et leur programme consiste à « créer un homo islamicus recouvert d’un vernis moderniste », note Zidane Meriboute, essayiste suisse d’origine algérienne, cité par les auteurs de cette volumineuse étude. Il est donc essentiel de connaître cette confrérie sunnite fondée en Égypte en 1928 par l’instituteur Hassan El-Banna, son histoire, sa doctrine, son organisation, les moyens mis au service de son ambition et les résultats obtenus à ce jour. Sur tout cela, Alexandre Del Valle et Emmanuel Ravazi offrent un travail indépassable par la qualité de leurs connaissances et investigations. Pendant quinze ans, ils ont sillonné l’univers des FM, rencontrant sur tous les continents nombre de leurs responsables et militants, dont certains repentis.

Certes, la confrérie s’emploie à se démarquer d’idéologies radicales comme le wahabisme en vigueur en Arabie-Séoudite, ou de groupes djihadistes tels que Daech, El-Qaïda ou Boko Haram, mais elle s’inspire des mêmes sources que ces derniers, puisées dans la tradition de l’islam. Il en est ainsi du djihad que les FM ont, dès le début, placé au centre de leur stratégie. Le lien entre tous ces mouvements, qui est de degré et non pas de nature, ressort des passages du livre où Del Valle et Ravazi analysent les implications géopolitiques de la mouvance islamiste, très active lors des « printemps arabes », grâce au parrainage de plusieurs États, notamment l’Émirat de Qatar et la Turquie. Ils mettent aussi en évidence un aspect peu connu de l’idéologie « frériste », l’antijudaïsme des FM.

Une partie substantielle de l’ouvrage est consacrée à l’action des FM et de ses satellites en Occident, surtout en Europe et en France. Aujourd’hui, les médias numériques jouent un rôle accru dans la stratégie des FM, alimentant la culpabilisation des consciences (cf. l’islamo-gauchisme) et œuvrant à la réislamisation des musulmans assimilés, prélude à l’islamisation de toute la société.

Suivent des mises en garde solidement étayées, formulées par des experts. Ainsi, pour Youssef Chiheb, franco-marocain, formateur à l’École nationale supérieure de Police, auteur d’un rapport publié en 2019, et longuement interrogé par Del Valle et Ravazi, « les Frères musulmans se concentrent sur les vulnérabilités philosophiques, juridiques et sociétales des démocraties occidentales. Ils tablent et parient sur leur déclin endogène en suivant le cycle des civilisations en ligne parabolique : émergence, apogée et déclin, puis naissance d’une autre, en l’occurrence l’islam politique, tel le sphinx qui renaît de ses cendres ». En conclusion, les auteurs invitent les responsables à affronter courageusement la vérité, seul moyen pour permettre à la France d’échapper à la soumission qui la guette. Un livre qui fera date.

Annie Laurent

PREMIERS RÉCITS DE LA CRÉATION
STÉPHANIE ANTHONIOZ
Cerf, 2020, 470 pages, 29 €

Dans un premier temps, c’est une présentation synthétique des principaux mythes de la création, présents dans les traditions des principales civilisations du Proche-Orient ancien que nous propose l’auteur. Certains de ces mythes sont peu connus et c’est un des mérites du livre d’en faire une analyse comparative et d’en étudier rapidement les influences réciproques. Le propos de l’auteur est de se borner aux civilisations entrant en interférence avec les traditions propres à la Bible, les récits hors de ce champ d’étude, comme ceux de la civilisation chinoise par exemple, ne sont pas étudiés ici. De son étude comparative, l’auteur tire dix modes de création (création par génération sexuée, par séparation, par la parole, par confection artisanale…) qui lui servent ensuite de grille de lecture pour une analyse exégétique fine des récits de la création contenus dans les livres de l’Ancien Testament. L’intérêt de l’ouvrage réside dans le fait que l’auteur ne se contente pas du Livre de la Genèse, mais étudie tous les textes bibliques parlant de la création du monde. On découvre ainsi que de nombreux livres (Isaïe, Jérémie, Job, Ezéchiel, Amos, les psaumes…) parlent de la création du monde, de manière très variée. Si de nombreuses analogies sont faites avec les récits de création des autres civilisations du Proche-Orient, on peut regretter qu’aucune synthèse ne soit faite sur l’originalité de la pensée biblique vis-à-vis de ces autres cultures.

Bruno Massy

LES CATHOLIQUES PEUVENT-ILS ENCORE AGIR EN POLITIQUE ?
LAURENT DE CAPELLIS (dir)
Éditions de L’Homme Nouveau, 2019, 192 pages, 13,50 €

Lors de deux journées de formation organisées par le bimensuel catholique L’Homme Nouveau, la parole a été donnée à une dizaine d’intervenants autour d’un thème redevenu prégnant, en particulier depuis La Manif pour Tous et la succession d’offensives dites de « bioéthique » : « les catholiques peuvent-ils encore agir en politique ? » Ces interventions sont réunies dans un ouvrage éponyme, coordonné par Laurent de Capellis, livre passionnant dont il convient de chaudement recommander la lecture. À cette question, la réponse ne peut être que « oui ». Comment pourrait-il en être autrement quand nous vivons dans un ordre politique construit contre l’essence même du catholicisme ? Un ordre politique démocratique où l’individualité et le désir priment le Bien commun, lequel est pourtant à la fois le fondement et le but, forcément imparfait ainsi que le livre le rappelle, de la polis.

Répondre « oui » n’est cependant pas si simple, contrairement aux apparences. Il ne s’agit pas d’agir en politique en se prétendant catholique mais de mener une « véritable action catholique dans le vaste champ de la politique », une action qui ne peut donc pas faire abstraction de ce qu’elle combat, ce régime contre-catholique qu’est la démocratie présentée comme une panacée, d’où la difficulté d’action concrète. Pas plus qu’elle ne peut faire abstraction du fait que la France est à la fois la « patrie des droits de l’homme » et un pays « baptisé ». Il n’y a pas de retour à une cité politique réellement fondée en Dieu à l’horizon.

Cependant, ainsi que le dirent les premiers résistants catholiques et royalistes en 1940 : « Il fallait bien faire quelque chose. Oui, mais quoi ? » Alors, l’ouvrage pose les bonnes questions, rappelle les acquis aristotéliciens et thomistes essentiels et ouvre des pistes, comme l’action de l’ECLJ dirigé par Grégor Puppinck, ONG chrétienne venue sur le devant de la scène début mars 2020 quand Valeurs Actuelles a rendu compte de son rapport, lequel montrait combien la Cour européenne des droits de l’homme est sous influence. Ce à quoi Le Monde s’est empressé de répondre en accusant l’ECLJ d’être un lobby réactionnaire catholique. Preuve s’il en était besoin que les catholiques peuvent encore agir en politique puisqu’au moindre mouvement, le contre-catholicisme lâche ses chiens de garde. Tous les moyens seront donc bons – y compris électoraux.

Matthieu Baumier

L’EFFROYABLE VÉRITÉ
BRUNO RIONDEL
L’Artilleur, 2020, 790 pages, 25 €

Avant de faire faillite officiellement, voici bientôt trente ans, dans son noyau actif, on veut dire la Russie soviétique, beaucoup d’observateurs, enregistrant les gains certains du communisme, purent craindre à telles ou telles heures de l’histoire contemporaine qu’il finisse par s’étendre au monde entier. Proclamé le « grand rêve sain et ardu de résurrection » mis en œuvre sous la houlette d’un Parti « rectificateur et orthopédique », où règne sans partage (selon le constat réjoui, en 1935, du romancier Henri Barbusse) un « terrible dynamisme d’homogénéité », le communisme donc, léniniste puis stalinien, va susciter et inspirer maintes filiales. Européennes. Asiatiques. Sud-Américaines. Mais derrière l’illusoire recherche de fraternité universelle, derrière les immenses espoirs soulevés, était un loup… qui agissait en loup. Bref, un système totalitaire qui suivait sa pente criminogène. Sorti bien plus fort encore, bien plus redoutable, de la décisive conférence de Yalta au mois de février 1945, maître toujours expérimenté du « mensonge idéologique érigé en vertu progressiste », quels dégâts, jusqu’au bout, il réussit à commettre ! Bruno Riondel, l’auteur de ce gros volume ô combien instructif nous les narre et nous les détaille sans obliquer ni tergiverser.

Michel Toda

MOINES ET CHEVALIERS
EUGENE GREEN
Éditions du Rocher, 2020, 192 pages, 18,90 €.

Sous ce titre, le cinéaste, écrivain et dramaturge Eugène Green vient de publier, non pas un livre d’histoire, pas même un roman historique, mais un roman qui ambitionne d’offrir une méditation sur notre civilisation contemporaine. Il nous plonge ainsi dans l’Italie de 2015, derrière deux jeunes héros aux sentiments et aux ambitions contrastés.

Le temps du livre, nous cheminons avec Luciano et Virgilio qui, peu à peu, agrandissent leur cercle à Orlando et Norberto. Malgré cette suite de prénoms masculins, il ne faudrait pas croire un seul instant que la gent féminine brille par son absence. Qu’elles s’appellent Lauren ou Erminia, elles occupent une place centrale dans cette histoire. Et pas toujours dans le respect de la morale !

Si Luciano et Orlando cherchent leur destinée, Norberto et Virgilio constituent l’un pour l’autre une sorte d’antithèse. Tous les deux ont la foi, mais ce n’est pas la même. Pour sa part, Norberto rêve à l’Italie des années sanglantes et trouve son modèle dans les Brigades rouges. Virgilio, lui, est un chrétien fervent, qui se rend à la messe quotidiennement. Quand l’un va conduire une opération d’enlèvement d’un banquier, l’autre part à la recherche d’un meurtrier d’enfants pour lui expliquer la grandeur du pardon.

On le voit, Eugène Green ne s’est pas contenté de raconter une histoire, mais il a voulu offrir une réflexion sur le destin dans une société qui exalte la liberté individuelle, réduisant chacun d’entre nous à n’être qu’une monade gesticulatoire dans un monde sans but.

Mais, dira-t-on, pourquoi ce titre ? Très rapidement, la raison nous en est donnée par Virgilio : « Bien qu’on clame haut et fort le contraire, la société contemporaine refuse la différence. Pourtant, tout le monde n’est pas destiné à vivre la même forme d’existence. Autrefois, par exemple, il y avait des moines et des chevaliers, dont la première préoccupation était de chercher Dieu. » À sa manière, Eugène Green montre que le moine et le chevalier subsistent dans une époque qui leur est si contraire.

Philippe Maxence

RÉVOLUTIONS FRANÇAISES
Du Moyen Âge à nos jours
PATRICE GENIFFEY ET FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN (dir.)
Perrin/Le Point, 2020, 360 pages, 21 €

En présentant les principales « révolutions françaises » du Moyen Âge à nos jours, on s’aperçoit immédiatement que celles-ci concernent principalement la période moderne qui débute avec la Révolution de 1789. Les quatre épisodes retenus avant cette date (Étienne Marcel, la Ligue, les Croquants et les Nu-Pieds, la Fronde) relèvent bien plus de révoltes sporadiques liées à de forts mécontentements conjoncturels qu’à des révolutions ayant pour ambition de renverser le pouvoir. « Tout change avec la Révolution française, écrivent nos auteurs en introduction. Si les révolutions anciennes, ou les révoltes de jadis, avaient toujours pour but de corriger des abus, ou ce qui était perçu comme tel, les révolutions modernes s’attaquent au pouvoir, à ses formes, à ses détenteurs, à sa légitimité. » C’est bien ce qui se passe en 1789, puis en 1830, 1848 et 1870. Notons au passage que l’Angleterre, dont on vante à juste titre la stabilité de ses institutions non écrites, a connu beaucoup plus de révolutions de palais et d’assassinats de ses monarques que la France capétienne.

Ces révolutions révèlent certaines singularités de notre histoire politique. La première « tient à ce que l’absolutisation de la souveraineté du peuple, dorénavant réputée la source de toute autorité comme de toute légitimité, a eu pour conséquence de transformer les institutions et l’ordre juridique tout entier en un contrat révocable, puisque ce que la volonté du peuple a fait, elle peut tout autant le défaire ». D’où l’instabilité de nos institutions républicaines depuis la Révolution. La seconde tient au mythe du rayonnement universel de 1789 et à la croyance qu’une conquête politique ou sociale est le plus souvent le fruit d’une révolution, alors qu’en réalité ce sont les réformes progressives dans le long terme qui apportent un réel progrès. Ajoutons encore, parmi ces singularités héritées de la Révolution, « le ressentiment social et la jalousie » qui ont joué « un rôle bien plus décisif que l’adhésion à des principes ».

Les chapitres de ce livre passionnant illustrent à leur façon ces singularités tout en développant les spécificités de chacune des « révolutions » ici présentées.

Christophe Geffroy

BLOC CONTRE BLOC
La dynamique du macronisme
JÉRÔME SAINTE-MARIE
Cerf, 2019, 288 pages, 18 €

Un bloc élitaire agrégé autour de la personne de l’actuel chef de l’État et dans lequel on distingue plusieurs cercles ou groupes sociaux. À l’intérieur de ce bloc, une élite réelle ou groupe dominant capable d’entraîner d’autres couches et d’y recruter mille relais. Embrassant des pans entiers de la direction des grandes entreprises privées mais aussi de la haute administration publique, l’élite réelle, par son patrimoine, ses revenus, son statut, compose la sphère managériale et mondialisée. Ici se trouve donc le premier noyau du macronisme et sa principale base de soutien – que nolens volens viennent renforcer, outre la catégorie des cadres ou élite aspirationnelle, tous ceux empressés de s’abriter derrière le pouvoir en place pour défendre leur situation. Au fond, très faiblement producteur de lui-même, le macronisme, note Jérôme Sainte-Marie, « renvoie à des dynamiques qui l’ont permis et qu’à son tour il accélère ». Car l’impérieuse perspective d’un projet jugé nécessaire, et qu’inspire une certaine représentation des rapports humains assortie au désir de faire converger libéralisme culturel et libéralisme économique, signifie la pleine puissance du bloc élitaire. Adeptes d’un univers globalisé, mobiles sans guère d’affinités avec les sédentaires, partout ses féaux s’accommodent bien mieux d’une addition d’individus, attrayante image progressiste, que de la vieille idée nationale, trop rigide, bref, d’une cité étroite appelée, bon débarras, à se dissoudre « en une myriade de petits Robinson Crusoé ».

Question : contre l’hégémonie de ce bloc sur la vie publique française, non plus régulée par l’alternance unique (celle où des gouvernements de bords opposés mènent à tour de rôle la même politique), mais par l’alternance interdite, un bloc, populiste unifié, est-il possible ? Difficile à dire. Reste que l’essai dû à Jérôme Sainte-Marie nous apparaît remarquable de clairvoyance et de sagacité.

Michel Toda

ENFIN LIBRE !
ASIA BIBI, AVEC ANNE-ISABELLE TOLLET
Éditions du Rocher, 2020, 206 pages, 17,90 €

Le séjour qu’Asia Bibi a effectué en France fin février a permis à un grand nombre de se familiariser avec le drame qu’elle a vécu dans son pays, le Pakistan, suite à sa condamnation à mort pour blasphème. Dans de très nombreux médias, cette catholique a confié la force que la foi lui a donnée pendant ses neuf années de calvaire. Son témoignage, empreint de simplicité, de joie surnaturelle et d’espérance, mérite d’être approfondi, d’où l’intérêt que présente la lecture du livre écrit en collaboration avec la journaliste française, Anne-Isabelle Tollet, qui l’a beaucoup soutenue durant ses années de souffrance, faisant connaître son drame jusqu’au Vatican. Étape par étape, on suit les terribles épreuves physiques et morales endurées par Asia Bibi dans ses différentes prisons, et l’on découvre aussi les grâces qu’elle a reçues pour supporter une telle épreuve. L’acquittement prononcé par la Cour suprême donne évidemment plus de poids à sa libération que s’il s’était agi d’une simple mesure de clémence motivée par des pressions internationales. L’heureuse issue du drame vécu par Asia Bibi, dont s’est réjoui le Premier ministre du Pakistan, permettra peut-être l’abrogation de la loi anti-blasphème qui cause tant de malheurs aux chrétiens de ce pays. Quant à l’exemplarité de son histoire, on peut souhaiter qu’elle réveille les consciences occidentales endormies par le religieusement correct. Cet ouvrage est à lire sans attendre.

Annie Laurent

LA DISTRIBUTION DE LA COMMUNION DANS LA MAIN
DON FREDERICO BORTOLI
Artège, 2019, 280 pages, 22,90 €

Ce livre nous offre une étude historique, canonique et pastorale sur la question du mode de distribution de la sainte Communion aux fidèles. Comment l’Église a-t-elle distribué la Communion à travers son histoire ? Comment et depuis quand en est-on arrivé à la recevoir à genoux et directement dans la bouche en Occident ? Comment et depuis quand s’est répandue la pratique de la distribution de la communion dans la main des fidèles ? Est-ce une norme ou une exception ? Une règle ou un indult issu d’un abus ? Qu’en dit le concile Vatican II ? Et le saint pape Paul VI ? Les évêques sont-ils obligés d’appliquer cet indult ? Ont-ils le droit de modifier la façon de faire de leur prédécesseur ? Pour le Magistère de l’Église, distribuer la communion dans la main ou dans la bouche est-ce équivalent ? Ou bien existe-t-il une manière plus juste et objectivement meilleure de donner le Corps du Christ ? Si « oui » laquelle ? Si vous souhaitez avoir une réponse argumentée à toutes ces questions, lisez vite ce livre, et ensuite prêtez-le ou offrez-le charitablement à votre curé et à votre évêque (s’ils ne l’ont pas déjà lu !). La préface de ce livre est signée du cardinal Robert Sarah, actuel préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements. Ce qui ne gâche rien… Il y déclare notamment : « Puisse cet ouvrage encourager les prêtres et les fidèles qui, mus par l’exemple de Benoît XVI (qui dans les dernières années de son pontificat tint à distribuer l’Eucharistie sur les lèvres et à genoux) désirent administrer ou recevoir l’Eucharistie de cette façon bien plus adaptée au sacrement lui-même. […] Il s’agit pour moi d’une question importante sur laquelle l’Église actuelle doit se pencher. »

Abbé Laurent Spriet

LA DIGNITÉ HUMAINE
Heurs et malheurs d’un concept maltraité
BERNARD DUMONT, MIGUEL AYUSO ET DANILO CASTELLANO (Dir.)
Pierre Guillaume de Roux, 2019, 206 pages, 24 €

Cet ouvrage collectif est un recueil d’études autour de la notion de dignité humaine. Il s’articule en trois parties. La première partie dresse un « État de la question ». La philosophie classique (S. Luquet) et la théologie (Père S.M. Lanzetta) n’ignoraient pas, bien sûr, la dignité humaine. La dignité de l’homme, dans la doctrine chrétienne, lui vient de sa création « à l’image et ressemblance » de Dieu. Cette dignité a été blessée par le péché originel et restaurée par la Rédemption du Christ. Avec les modernes le mot prend un autre sens parce qu’on lui attribue une origine différente. La notion de dignité est « subvertie », selon l’expression de Guilhem Golfin. Kant, dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, affirme que « l’autonomie est […] le principe de la dignité de la nature humaine et de toute nature raisonnable ». On voit les conséquences de tels principes : la dignité est indépendante de sa réalisation morale.

Une deuxième partie, « Le multiplicateur catholique », voudrait montrer que le philosophe Maritain (Jon Kirwan) comme le théologien John Courtney Murray (J. Alvear Télles) ont contribué à une « mutation de la notion de dignité au sein du catholicisme du XXe siècle ». Mais c’est la troisième partie, « Les apories d’un concept incertain », qui est la plus contestable en certaines de ses contributions. Danilo Castellano voit dans la déclaration conciliaire Dignitatis humanae une « conciliation avec le libéralisme ». L’auteur estime aussi que ce qu’il appelle « le personnalisme particulier de Jean-Paul II, le libéralisme singulier de Benoît XVI et le radicalisme ondulant de François » auraient en commun de vouloir « “se réconcilier” avec le monde […] non pas de le guider ou de l’éclairer et, si nécessaire, de le contester ». Les fortes positions de saint Jean-Paul II contre « la culture de mort » ou de Benoît XVI sur le « relativisme », pour ne citer que deux exemples, contredisent une telle affirmation.

Bernard Dumont, qui cosigne la longue conclusion générale, est sur la même ligne que D. Castellano quand il estime que l’usage du mot « dignité » depuis Vatican II constitue « une récession conceptuelle ».

Yves Chiron

JÉSUS MAÎTRE DE VIE INTÉRIEURE
JOËL GUIBERT
Artège, 2019, 336 pages, 18,90 €

C’est un guide précieux que propose ici le Père Joël Guibert pour aider les chrétiens à vivre pleinement leur vocation d’enfants de Dieu. En s’appuyant sur son expérience de prédicateur de retraites et de très belles méditations, l’auteur a l’art de guider le lecteur sur la voie d’une relation vraie, personnelle et intime avec le Christ, cœur de la vie baptismale. Jésus, venu faire connaître et apporter Dieu aux hommes, occupe l’essentiel de ce livre. Il y est appréhendé dans toutes ses dimensions : vrai Dieu et vrai homme, Verbe incarné, deuxième Personne de la Trinité et comme tel consubstantiel au Père et à l’Esprit Saint. Le mystère se dévoile ici en termes très accessibles, illustrés par des citations de l’Évangile, de saints et de mystiques.

Mais le christianisme n’est pas qu’une doctrine. Il porte la foi et celle-ci ne saurait se réduire à des « valeurs », rappelle l’auteur. L’amour surnaturel en est la caractéristique essentielle. C’est pourquoi le Père Guibert s’attarde sur la mission rédemptrice du Sauveur, ce qui l’amène à exposer le lien inséparable entre justice et miséricorde, l’importance de l’accueil de la grâce, notamment par les sacrements, et de la recherche de sainteté, rappelant au passage l’enseignement de l’Église sur les fins dernières. Le Père Guibert resitue aussi opportunément l’Église dans sa véritable identité, à la fois divine et humaine, ce qui permet de mieux comprendre la spécificité du sacerdoce.

Rempli de conseils pour le combat spirituel, écrit dans un style vigoureux, qui n’hésite pas à déplorer les défaillances actuelles dans la transmission de la foi et l’évangélisation, l’ouvrage se termine par le regard prophétique sur la crise de l’Église entrevu dès 1971 par le cardinal Ratzinger, dont la lucidité ne l’empêchera pas, une fois sur le siège de Pierre, d’être le « pape de la joie ».

Un livre très riche qui invite à la confiance en Dieu, en particulier dans les temps de relativisme et d’épreuve.

Annie Laurent

PHILIPPE D’ORLÉANS COMTE DE PARIS 1838-1894
THIBAULT GANDOULY
Via Romana, 2020, 386 pages, 24 €

Tombé, avec la défaite de Sedan, le prestige du second Empire, rejetés Napoléon III et sa dynastie, proclamée une nouvelle fois, après 1792, après 1848, la République, cette fin de l’été 1870 allait ouvrir un chapitre majeur de notre histoire. Ayant connu, depuis la naissance du siècle, l’aventure césarienne, le retour des Bourbons (d’abord de la branche aînée, ensuite de la branche cadette), la brève existence d’un régime incertain, et, sous le successeur revendiqué du premier Napoléon, une synthèse de démocratie et d’autorité personnelle, les Français, déçus, échaudés, se rabattirent (ultime tour de manège) sur l’estampille civile parée indûment des plus rares vertus. Cependant elle était loin, alors, de réunir tous les suffrages. Abondaient encore bonapartistes et aussi royalistes – lesquels, au lendemain de la mort du comte de Chambord, petit-fils de Charles X, montreront une tangible fidélité, comme la « fusion » les y inclinait, à son héritier le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe.

Intelligent, très instruit, très appliqué, au surplus d’une grande rigueur morale, celui-ci, devenu fort jeune le porte-étendard de la Maison d’Orléans et, en 1883, le chef de la Maison de France, donc le prétendant au trône, ne désespérait pas de conquérir le pouvoir. Néanmoins, malgré le relatif succès électoral de 1885, funeste s’avéra, un peu plus tard, le piteux épisode boulangiste. Et tout autant, le 20 février 1892, la pressante recommandation du pape Léon XIII (conséquence des échecs « conservateurs ») d’adhérer à la forme républicaine établie. Chose, bien entendu, inacceptable pour un prince, chrétien fervent mais gardien inflexible du « dépôt traditionnel » de la monarchie – qui, d’ailleurs, lui vaudra la vindicte de la gent politicienne, prompte fabricatrice d’une loi d’exil votée en 1886.

Tout cela, peu ou mal su, méritait d’être éclairci car Philippe VII fut, chez nous, le dernier Capétien-Bourbon à la tête d’un parti important possédant quelques chances. Voir le livre solidement documenté de Thibault Gandouly.

Michel Toda

FRANÇOIS LE DIPLOMATE
La diplomatie de la miséricorde
JEAN-BAPTISTE NOÉ
Salvator, 2019, 201 pages, 18 €

François, au contraire de nombre de ses prédécesseurs, n’a pas d’expérience diplomatique, et sa pensée paraît dispersée, même s’il est bien entouré (cardinal Tauran, puis cardinal Parolin). On trouve néanmoins quelques points forts. Pour lui, l’Europe est chrétienne et se nécrose en l’oubliant (mais il ne l’a jamais visitée). Il veut se rapprocher de l’orthodoxie, ce dont témoigne sa rencontre avec le patriarche Kirill à Cuba (2016), qui permit un accord avec la Russie sur la question syrienne, mais les Uniates le vécurent mal. Il joue le médiateur dans les conflits : en Centrafrique, où il ouvre la porte du jubilé de la Miséricorde, au Soudan du Sud où il invite les deux chefs rivaux à une retraite au Vatican – ce qui ne les empêche pas de reprendre les hostilités. Fort d’un siège d’observateur à l’ONU, le Vatican tente d’en infléchir l’action, luttant avec peine contre les dérives constructivistes du droit. Face à une « troisième guerre mondiale par morceaux », François appelle à une paix juste en réhabilitant le concept de « guerre juste » contre les fondamentalistes, appelant les autorités musulmanes, telle l’université Al Azhar, à dénoncer la violence religieuse. Sa position sur les migrants a évolué du droit de rester chez soi, impliquant qu’on y soit aidé, à celui d’émigrer, faisant du migrant une image du Christ, et appelant à l’apparition de sociétés multiculturelles. L’accord signé en 2018 avec la Chine semble abandonner l’Église clandestine, sans empêcher l’Église officielle d’être de plus en plus persécutée… Au total, si la diplomatie de François a renforcé l’influence internationale du Vatican, ce n’est jamais sans ambiguïtés.

Jean-François Chemain

FRANÇAIS MALGRÉ EUX
ANNE-SOPHIE NOGARET et SAMI BIASONI
L’Artilleur, 2020, 304 pages, 20 €

Le sous-titre – Racialistes, décolonialistes, indigénistes : ceux qui veulent déconstruire la France – est plus explicite que le titre. Alors que le mot « race » a disparu de l’article 1er de la Constitution en 2018, de plus en plus nombreux sont ceux (militants, intellectuels ou élus) qui érigent « les différences raciales en barrières insurmontables » selon l’expression de Pascal Bruckner en préface à ce livre.

L’ouvrage dresse un tableau de cette remise en cause grandissante de l’universalisme. Il s’ouvre par un essai d’une centaine de pages qui définit l’« indigénisme » (la revendication identitaire anti-blanche) et le « décolonialisme ». C’est le refus d’une identité française héritée et le combat pour une « République multiculturelle et postraciale ». Il y a là un paradoxe puisque le rejet d’un Occident qui a prospéré sur « la sueur et le cadavre des Nègres, des Arabes, des Indiens et des Jaunes » (selon la formule de l’essayiste tiers-mondiste martiniquais Frantz Fanon) devient une revendication identitaire et communautariste de ceux qui se revendiquent comme « non-Blancs ».

Ce discours indigéniste ou postcolonialiste est relayé par une certaine gauche pour qui l’antiracisme de SOS Racisme ou du MRAP n’est qu’un égalitarisme naïf qui ne suffit plus. Le philosophe marxiste Alain Badiou fait un panégyrique de l’immigration de peuplement en se félicitant qu’elle nous permet de « nous projeter hors de nous-mêmes », de « ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s’achève ».

La deuxième partie de l’ouvrage, constituée d’entretiens et de témoignages, dresse un état des lieux inquiétant. Des professeurs d’université ou de lycée, des étudiants, une assistante sociale, un éducateur, un huissier de justice, une élue municipale, une gynécologue – quasiment tous actifs dans diverses villes de la banlieue parisienne – témoignent longuement, pour le déplorer, du chantage au racisme, d’une communautarisation croissante jusqu’à la ségrégation assumée, d’un « multiculturalisme antifrançais », d’un ethno-différentialisme revendiqué, d’un antisémitisme grandissant, d’une instrumentalisation victimaire de l’histoire, d’un islamo-indigénisme grandissant.

Yves Chiron

CES MONTAGNES À JAMAIS
JOE WILKINS
Gallmeister, 2020, 310 pages, 23 €

Dans le cœur des montagnes du Montana, Wendell Newman, employé dans un ranch dont les terres appartenaient autrefois à sa famille, se voit confier la garde de Rowdy, jeune garçon autiste dont la mère, sa cousine, a été incarcérée. En parallèle, on suit Gillian, dont l’époux a été assassiné par le père de Wendell, et sa fille Maddy. Leurs deux histoires vont se rencontrer dans une lourde atmosphère de chasse au loup : ce sont deux Amériques qui s’opposent ici, l’une, violente et nostalgique des temps anciens où l’homme établit sa propre loi (celle du père de Wendell), l’autre, décidée à rompre ce cercle infernal de la violence et de la vengeance. Cette histoire, belle et tragique, est magnifiquement contée par Joe Wilkins dans les paysages envoûtant du Montana qu’il nous dépeint avec un véritable talent littéraire, prouvant par là, une fois de plus, l’immense richesse actuelle de la littérature américaine. Un livre dur mais marquant.

Christophe Geffroy

COMMENT TOUT A COMMENCÉ
PETE FROMM
Gallmeister, 2020, 360 pages, 10,40 €

Il s’agit là du premier roman de Pete Fromm que Gallmeister réédite en format poche. On y retrouve les immenses qualités narratives et humaines de ce grand écrivain américain, auteur du remarquable roman La vie en chantier. Ici, comme toujours chez Fromm, peu de personnages : tout tourne autour d’Austin, 15 ans, et de sa sœur Abilène, son aînée de cinq ans. Tous deux, passionnés de base-ball, vivent avec leurs parents dans une petite ville du Texas perdue en plein désert. Austin voue à sa sœur, qui l’entraîne à être le meilleur lanceur du pays, une admiration sans mesure. Seulement, Abilène est malade, bipolaire et maniaco-dépressive, elle disparaît de longs temps sans prévenir et s’enfonce dans un abîme irrémédiable, dont ses parents aimants essaient de la sortir – ce qu’Austin ne comprend pas, ne voulant admettre la maladie de sa sœur.

C’est un roman dur, exigeant, mais jamais glauque et toujours prenant, attachant, tant Fromm sait nous faire rentrer dans son histoire dramatique en dessinant des personnages vrais qui deviennent tellement présents parmi nous que le lecteur vit cette histoire de rédemption.

Christophe Geffroy

BD à signaler

– CATHELINEAU, par Coline Dupuy et Denoël, Artège, 2019, 56 pages, 14,90 €. La vie de l’une des plus belles personnalités des guerres de Vendée, le premier généralissime de la grande armée catholique et royale.

– JEAN-PAUL II « N’ayez pas peur ! », de Dobbs et Fabrozio Fiorentino, Glénat/Cerf, 2019, 56 pages, 14,95 €. Un beau travail de reconstitution du pontificat de Jean-Paul II avec à la fin quelques pages sur ce saint pape sous forme de magazine. Une BD réservée aux grands.

– BIENVENUE AU KOSOVO, par Mogavino, Mirkovic et Quattrocchi, Éditions du Rocher, 2019, 58 pages, 14,90 €. Un éclairage à contre-courant sur les événements qui ont conduit à la situation actuelle dramatique des chrétiens du Kosovo. La violence de cette histoire réserve cette excellente BD aux adultes.

– MADAME ÉLISABETH DE FRANCE, par Coline Dupuy et Emmanuel Cerisier, Artège, 2019, 48 pages, 14,90 €. Petite sœur du roi Louis XVI, Madame Élisabeth de France (1764-1794) a toujours soutenu le roi, jusque dans la mort. Magnifique figure dont le procès de béatification est en cours.

– LA PÉROUSE, par Coline Dupuy et Andrea Mutti, Artège, 2020, 48 pages, 14,90 €. L’histoire romanesque du grand marin et explorateur français La Pérouse (1741-1788). Une personnalité à découvrir.

Patrick Kervinec

© LA NEF n°324-325 Avril-Mai 2020