Père Luc de Bellescize © Flickr

Entretien avec le père Luc de Bellescize : Lettre à Alma qui n’a plus besoin de Dieu

Le Père Luc de Bellescize, prêtre du diocèse de Paris, vicaire de Saint-Vincent-de-Paul, nous présente son nouveau livre (1).

La Nef – Votre livre rejoint une démarche apologétique, mais sous la forme originale de lettres qu’un prêtre écrit à une jeune femme qui s’est éloignée de la foi. Pourquoi avoir choisi cette forme spécifique pour parler des choses de Dieu et de l’existence ?
Père Luc de Bellescize –
Alma n’existe pas comme une personne spécifique. Disons qu’elle cristallise les rencontres que j’ai vécues dans ma vie d’homme et de prêtre. En revanche, tout est authentique dans ces lettres, même si la vérité s’y présente avec pudeur et, j’espère, délicatesse, « en balbutiant devant le mystère », comme disait Hélie de Saint Marc.
Un prêtre passe beaucoup de temps à recevoir et à écouter. Je n’ai rien d’un expert et je reste conscient que l’âme humaine est un monde infini, à l’image du Dieu éternel. J’ai simplement voulu parler à Alma, qui pense pouvoir se passer de Dieu, pour créer une brèche dans son âme, un désir, une inquiétude. Je n’assène rien, je tente de créer un ébranlement dans la muraille de son indifférence.
J’ai voulu aussi affermir les jeunes catholiques fidèles en leur proposant un contenu rationnel pour répondre aux controverses et aux questions que suscite leur foi.

À votre avis, qu’est-ce qui retient le plus certains jeunes ayant pourtant reçu le baptême de vivre et pratiquer la foi ?
J’ai connu des jeunes qui bataillaient contre Dieu, comme Jacob avec l’ange. Ils ont tous fini par se convertir. La lutte est l’expression d’un désir. Le plus grand obstacle qui guette la jeunesse demeure la paresse de l’essentiel et le manque de courage. Soljenitsyne le disait déjà. Le drame, c’est une jeunesse qui reste au seuil de son âme, dans l’indifférence d’une vie trop gavée, sans haine contre la foi, mais sans grand désir. « On ne perd pas la foi, disait Bernanos. Elle cesse d’informer la vie, voilà tout. » On entend souvent : « J’ai la faiblesse de croire… » Au contraire, croire demande le courage d’une détermination quotidienne, une réponse de chaque jour au don de Dieu.
Mais il faut espérer pour tous. Même les plus blasés peuvent se réveiller lors d’un grand amour, d’une naissance, d’un deuil. Dieu passe partout. Évangéliser, c’est faire entendre le Seigneur qui frappe à la porte, et y mettre le pied quand elle s’entrouvre. Ne pas laisser la fêlure se refermer.

L’Église est, dans les discours ambiants, réduite à sa morale sexuelle, à quelques règles qui heurtent l’époque, et on comprend en vous lisant combien les chrétiens ont bien plus à proposer au monde : comment faire entendre aujourd’hui ces paroles d’espérance ?
La foi n’est pas d’abord une morale, une manière d’agir. Elle est une rencontre, comme le jeune homme riche rencontra le Seigneur. Elle ouvre le cœur à l’espérance. J’ai voulu dire à Alma qu’il y a une joie de la foi qui traverse la douleur de vivre, sans la renier, et qui vient illuminer tout amour, toute beauté en ce monde. La foi ne vient pas d’abord nous consoler dans nos malheurs, mais nous exaucer dans notre désir incompressible d’un amour qui demeure, d’une beauté qui ne passe pas.
Je crois qu’il faut aussi, nous catholiques, arrêter de faire le dos rond comme des lapins pourchassés qui passent l’essentiel de leur temps à s’excuser en pleurnichant devant « la crise de l’Église », les abus de certains pasteurs et la chute des vocations. N’avons-nous pas autre chose à dire aux hommes ? Les scandales existent et nous devons lutter contre, d’abord en nous-mêmes, mais la stratégie du monde est de nous y replonger sans cesse pour nous faire taire. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16). Notre foi est un trésor insondable d’intelligence, de beauté et de charité. L’âme de l’Église bat dans le cœur des saints. Il faut retrouver la joie de croire et la fierté d’être chrétiens.
Il n’y a aucune polémique stérile dans ces lettres, pas de vains bavardages ni de provocations gratuites. Mais la meilleure défense, c’est aussi l’attaque. J’ai voulu conduire Alma à aller jusqu’au bout de la logique de son indifférence à Dieu, de son athéisme pratique. C’est un voyage au bout de la nuit que bien peu entreprennent, car c’est une plongée en enfer. La grande masse s’abrutit de divertissements et a abdiqué sa quête d’une vérité qui demeure. Mais en réalité, un monde sans Dieu doit faire le deuil de toute espérance, comme l’écrit Dante sur le portail de l’enfer. Il doit aussi renoncer à la plénitude de la justice et se résigner à la mort, à la pourriture et au néant. J’ai voulu placer Alma devant ses contradictions, lui poser des questions qu’elle ne puisse esquiver. J’espère ouvrir une petite porte en son âme qui laisse passer la lumière du Christ. À la grâce de Dieu !

Propos recueillis par Élisabeth Geffroy

(1) Luc de Bellescize, Lettres à Alma qui n’a plus besoin de Dieu, Cerf, 2024, 174 pages, 14 €.

© LA NEF n° 367 Mars 2024