Dublin © Wikimedia Giuseppe Milo

Immigration : où en est l’Irlande ?

Jusqu’à très récemment, l’Irlande n’avait jamais été confrontée à une immigration massive. Depuis quelques années, les choses changent à grande vitesse. Comment réagit la population ? Comment le débat public s’adapte-t-il et se reconfigure-t-il face à cette nouvelle donne ? Focus sur ce pays qui, par certains égards, peut tenir lieu de laboratoire et de révélateur.

En 2024, l’Irlande sera confrontée à des élections locales et européennes, et peut-être aussi à des élections parlementaires. À la surprise de nombreux commentateurs, le thème de l’immigration devrait occuper une place importante dans les élections et pourrait conduire à l’élection d’un plus grand nombre de candidats indépendants qu’auparavant.
Historiquement, l’Irlande n’était ni une puissance coloniale ni un pays riche. L’Irlande indépendante n’a pas connu d’immigration significative avant les années 1990, mais celle-ci a considérablement augmenté depuis. Dans ce nouveau contexte, les responsables de l’Église ont mis en garde contre la xénophobie et souligné la contribution des immigrants aux entreprises et aux services publics irlandais, ainsi que la contribution des immigrants catholiques de pays comme la Pologne, l’Inde et le Nigeria à l’Église d’Irlande.

Des inquiétudes croissantes face au laxisme des gouvernements et à la saturation des services publics

Notre expérience historique en tant qu’émigrants nous a donné une sympathie naturelle envers les immigrants. L’opinion publique s’inquiète néanmoins de plus en plus de la politique d’immigration excessivement laxiste du gouvernement irlandais, qui ne tient pas compte de manière réaliste des capacités du pays en matière de prestation de services et d’intégration.

Les demandes de « protection internationale » ou d’asile ont presque triplé ces dernières années, passant à plus de 13 000 en 2023, contre moins de 5 000 en 2019. Ces chiffres n’incluent pas les plus de 100 000 Ukrainiens qui ont fui vers l’Irlande depuis l’invasion russe en février 2022 et qui ont été accueillis avec sympathie par la population irlandaise. Le recensement de 2022 a indiqué que 20 % de la population était née à l’étranger.
L’ampleur actuelle de l’immigration met à rude épreuve les services de santé, d’éducation et de logement qui étaient déjà sous pression. L’État, au niveau du gouvernement central, s’efforce de trouver des logements pour l’afflux continu de réfugiés et prend des décisions de manière très « descendante », avec une consultation seulement minimale des communautés locales. Des manifestations ont éclaté en janvier dans une ville de Co Tipperary parce que le dernier hôtel de la ville a été désigné comme centre d’hébergement pour les immigrants, ce qui signifie qu’il n’y aura pas de centre important pour les événements communautaires. Dans le comté de Mayo, les responsables politiques locaux ont prévenu que l’utilisation intensive des hôtels pour l’hébergement des immigrants avait eu un impact négatif sur le tourisme. Les pressions exercées sur le logement signifient également que certaines familles de réfugiés sont restées longtemps dans des logements inadaptés, tandis que certains réfugiés ont même vécu dans des tentes dans le centre-ville de Dublin.
Les preuves crédibles d’abus du système d’asile ont tendance à être minimisées dans le débat public. Toutefois, selon les chiffres officiels du ministère de la justice pour 2023, près de 70 % des personnes demandant l’asile à l’aéroport de Dublin sont arrivées sans document d’identité valide. Les détracteurs des politiques actuelles ont également noté que l’Irlande a renvoyé un nombre relativement faible de faux demandeurs d’asile.

Les conséquences sur le débat public et le décalage entre la population et le monde politique

Les préoccupations liées à ces questions influencent l’opinion publique. Les trois quarts des personnes interrogées dans le cadre d’un récent sondage d’opinion ont déclaré que le niveau actuel d’immigration était trop élevé, tandis qu’un quart des personnes interrogées dans le cadre d’un autre sondage ont indiqué que l’immigration était la question électorale actuelle la plus importante.
Les manifestations publiques se sont concentrées sur les inquiétudes suscitées par l’arrivée en un temps très court d’un grand nombre d’hommes étrangers célibataires dans de petites communautés. Les manifestations ont généralement été pacifiques mais se sont parfois accompagnées d’incendies criminels de bâtiments vides avant l’arrivée des immigrants. En novembre, l’agression à l’arme blanche de jeunes enfants et de leur surveillant adulte devant une école de Dublin par un homme d’origine algérienne a donné lieu à des manifestations dans les rues, qui ont dégénéré en émeutes et en pillages massifs.

En principe, dans une démocratie, la politique migratoire devrait faire l’objet du même débat ouvert que les autres domaines de la politique publique et il devrait être possible de défendre les droits de l’homme et la dignité des migrants tout en plaidant pour des contrôles prudents de l’immigration. Dans la pratique, cependant, le gouvernement et les grands médias ont restreint le débat, et ceux qui remettent en question l’ampleur de l’immigration actuelle sont régulièrement présentés dans les médias comme étant « d’extrême droite« , racistes, manquant de générosité ou « anti-étrangers« . Des groupes et des idées d’extrême droite et ultra-nationalistes existent en Irlande, mais leur taille et leur influence ont été largement exagérées et aucun homme politique aujourd’hui élu n’est d’extrême droite. Si le débat est actuellement limité, il pourrait le devenir encore plus à l’avenir, car le gouvernement propose une nouvelle législation sur les « discours de haine« , qui pourrait avoir des conséquences négatives sur la liberté d’expression en matière d’immigration ou sur d’autres sujets.
Dans la Grande-Bretagne voisine, il est largement admis que la capacité nationale d’accueil et d’intégration des migrants est limitée. Cette reconnaissance a été lente à se développer en Irlande, mais les controverses actuelles indiquent qu’un débat public sur cette question importante commence enfin à avoir lieu.

Tim O’Sullivan

© LA NEF, exclusivité internet, mis en ligne le 27 mars 2024.