Paul Jorion @ Quentin Caffier

Vers un nouveau monde

Paul Jorion, sociologue, anthropologue et économiste, en appelle, dans ses deux derniers ouvrages publiés presque simultanément, à un « nouveau monde », plus solidaire et respectueux de la planète contre la dictature de l’argent.

La Nef – L’inégale répartition des richesses est un thème que vous évoquez dans vos deux derniers livres : les inégalités s’accroissent-elles vraiment alors que la richesse mondiale augmente ?
Paul Jorion – Oui les inégalités s’accroissent vraiment. On compte aujourd’hui que 8 personnes au monde disposent d’un patrimoine équivalent à celui de la moitié la moins riche de l’humanité ; elles étaient encore 62 en 2015. Ce déséquilibre grippe l’économie : le ruissellement des riches vers les pauvres n’est plus que très partiel : l’ensemble des capitaux disponibles ne trouve plus à s’investir dans l’économie faute de pouvoir d’achat suffisant dans la population. Ces sommes sont alors consacrées, par défaut, à la spéculation, générant un risque d’effondrement systémique. Le physicien Henri Bénisty a montré que l’écrêtage annuel de 5 % des grosses fortunes préconisé par Thomas Piketty ramènerait l’économie de son régime chaotique actuel vers un régime stable.

La finance internationale semble plus puissante que jamais malgré la crise de 2008 : comment expliquer cette arrogance et pourriez-vous nous dire un mot des propositions originales et radicales que vous présentez dans vos ouvrages sur cette question ?
L’arrogance de la finance est due au fait que le rapport de force lui est resté favorable (c’est la puissance propre à l’argent) en dépit de ses abus et du tollé provoqué par ses errances. Je propose la réinstauration de l’article 421 du Code pénal abrogé en 1885, qui interdisait les paris à la hausse ou à la baisse sur la cote des titres financiers. Accompagner le retour à la prohibition de la spéculation financière d’une hausse des salaires, encouragerait les capitaux qu’elle distrait de leur fonction économique (la moitié à peu près) à retrouver le chemin de l’économie.

Vous-même tenez un blog remarqué : internet est-il un espace de liberté pour une information alternative et quelles en sont les dérives possibles ?
Oui c’est un espace de liberté, protégé contre la censure de l’argent et celle qu’exerce la jalousie régnant en maître dans les coteries intellectuelles. L’internet offre malheureusement aussi un boulevard à toutes les formes de presse de caniveau, laquelle n’a cependant pas attendu l’avènement du numérique.

Dans la finance, vous avez travaillé sur le transfert de la décision humaine vers l’ordinateur : que pensez-vous de cette évolution ? quels sont les domaines touchés par ce remplacement de l’homme par des robots et que préconisez-vous face à cette évolution ?
Le remplacement de l’homme par la machine suit un mouvement historique inéluctable. Aucun domaine n’est épargné : les tâches simples sont aisément mécanisées, alors que les tâches complexes, vu les rémunérations élevées qui les récompensent, justifient que des sommes importantes soient investies pour remplacer l’homme par la machine. L’Occidental en tout cas est prométhéen et le système capitaliste permet à tout produit trouvant un acheteur de voir son usage se généraliser. Les armées constituent elles aussi un moteur du développement technologique : les préoccupations éthiques peuvent être ici ignorées au nom de considérations de défense nationale. Il est essentiel que les robots-tueurs soient bannis au niveau mondial et que soit mis en place un comité définissant les règles du transfert de responsabilité de l’homme à la machine pour éviter que celle-ci ne prenne le pouvoir en raison d’une vacance.

Face à un monde qui refuse la notion de limite, se développe l’étude de la « collapsologie » : pensez-vous qu’il existe un risque d’effondrement de nos systèmes complexes et où voyez-vous la principale faille par laquelle pourrait venir cet effondrement ?
Oui, il existe un risque d’effondrement. Si une organisation plus complexe peut rendre nos sociétés plus robustes, elle peut aussi les fragiliser en favorisant les effets de contagion. Outre quelques facteurs naturels comme l’impact d’une météorite géante, une reprise massive de l’activité volcanique, une éruption solaire colossale, ce sont essentiellement des causes d’ordre humain qui mettent aujourd’hui l’homme en péril : réchauffement climatique et montée des eaux d’origine anthropogène, rupture des cycles du phosphore et de l’azote, effondrement de notre système financier fragilisé par les intérêts particuliers et les préjugés dogmatiques, guerres nucléaires ou bactériologiques. Une catastrophe due à l’une de ces causes possibles est également susceptible de déclencher les autres par une réaction en chaîne.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

– Paul Jorion, À quoi bon penser à l’heure du grand collapse ?, Fayard, 2017, 180 pages, 15 €.
– Paul Jorion, Vers un nouveau monde, Renaissance du Livre (Belgique), 2017, 128 pages, 11,90 €.

© LA NEF n°299 Janvier 2018