La schola Saint-Grégoire

La Schola Saint-Grégoire a fêté cette année le 75ème anniversaire de sa fondation et propose un CD, Deo gratias, pour cet événement. Entretien avec le TRP Dom Hervé Courau, Abbé de Triors et très proche de la Schola.

La Nef – Merci de nous présenter la Schola Saint-Grégoire et la portée de ce jubilé.
Dom Hervé Courau
– Créée en 1938 dans la ville du Mans, proche de Solesmes, la Schola Saint-Grégoire a connu dans les années d’après guerre une belle prospérité. Son but est essentiellement pédagogique : faire rayonner chez de simples fidèles le chant grégorien que Solesmes avait restitué. D’autres villes de France l’imitèrent par la suite, avant que l’immédiat après-Concile enfouisse leurs efforts. Pourtant au Mans, l’originalité tient à ce qu’on y apprend le chant grégorien par correspondance, ce qui surprend : que vient faire cette ingérence d’ordre scolaire ? La réponse à l’objection, c’est la session d’été où les élèves passent leurs examens dans un contexte liturgique où le chant trouve sa pleine mesure. Pour l’avoir vécue moi-même plusieurs fois, je pense qu’on atteint alors en profondeur ce que veut la Constitution Sacrosanctum Conclium, à la suite de saint Pie X dont la pensée en la matière va très loin : compétence, modestie, effort, prière, sens de la beauté, tout trouve alors sa cohésion autour de l’autel ; on y est pris corps et âme, sans se prendre au sérieux, parce que le mystère seul attire, on est là tous ensemble, voix et cœurs unis dans la simplicité.

En trois quarts de siècle, rien n’a-t-il donc changé ?
Deux directrices (Mlle Suzanne Bellin, puis, après 1975, Mlle Denise Lebon) se sont succédé, menant cette stratégie tambour battant, et M. Claude Pateau a repris le flambeau depuis 2002, dans la même ligne (devoirs et sessions). Bien sûr ces 75 ans ont connu leur alternance de joie (et en grand) et de turbulences, essentiellement celles-là mêmes qu’a connues la liturgie en général. La photo souvenir de chaque session en témoigne : les années 50, c’étaient des rangées de cornettes et de soutanes ; 1965, c’est la chute libre (de 200 à 20 !) ; la lente remontée a été amorcée à partir des années 80. La session de cette année-ci (cf. photo) a rassemblé plus de cent participants (grosso modo 2/3 de fidèles, 1/3 de séminaristes et religieux). Longtemps les sessions eurent lieu au Mans, puis après quelques années à Sées (Orne), elles se tiennent depuis les années 90 à La Chapelle-Montligeon. Signe de ce renouveau : la récente édition du cours refondu, Laus in Ecclesia (2011), en voie de traduction en diverses langues.

La Schola suit les principes de la méthode de Dom Mocquereau-Dom Gajard. Qu’est-ce que cela veut dire ?
La question fait référence à l’histoire de Solesmes. Le temps avait défiguré le répertoire musical, il fallait le restituer. Mais au départ de cette restauration grégorienne, il ne s’agissait nullement d’esthétique ; l’intention était purement religieuse, à savoir le bien de l’Église à remettre en lumière, car le chant grégorien fait partie intégrante de sa liturgie. Dom Gajard, maître de chœur à Solesmes entre 1914 et 1970, mit en application durant ces quelque 60 années la théorie rythmique de Dom Mocquereau, fruit d’un développement homogène. Sans elle on dénaturerait l’intuition originelle de Dom Guéranger lui-même, désireux de trouver un outil orienté uniquement vers la prière liturgique chantée. Après Dom Mocquereau, musicien génial (au dire d’Olivier Messiaen), il fallait Dom Gajard et ses dons pédagogiques hors pair pour faire atteindre la pleine pensée de Dom Guéranger en la matière (1).

N’y a-t-il donc pas d’autres façons de chanter le grégorien ?
Tout est possible ici, et bien sûr, chacun connaît de fervents adeptes chantant selon d’autres esthétiques. Néanmoins, il s’agit d’un chant d’Église, et sous cet angle précis, tout ne se vaut pas. De loin en loin, le Magistère est intervenu en la matière. Le cardinal Burke, lors du jubilé de la Schola à Solesmes en avril dernier, a recensé les grandes étapes de ces interventions, entre autres : saint Damase (+ 384), les papes contemporains de l’iconoclasme avec ses implications concernant le chant (VIIIe-IXe s.), Jean XXII pape d’Avignon face à l’ars nova (+ 1334), Trente et enfin saint Pie X dont la pensée fut solennisée par Vatican II. Je sais bien qu’on invoque ici la liberté de l’artiste : mais attention, c’est là un point névralgique. Le moderniste oppose à la pensée de l’Église des repères « historiques » brandis par la critique naturaliste. La liturgie chantée, c’est une profonde théologie en acte dont la récente encyclique dit bien qu’elle « ne doit pas considérer le Magistère comme quelque chose d’extrinsèque, une limite à sa liberté ». Elle est « au contraire, comme un de ses moments internes, constitutifs, en tant que le Magistère assure le contact avec la source originaire, et offre donc la certitude de puiser à la Parole du Christ dans son intégrité » (Lumen fidei, n. 36). L’équilibre entre l’âme, la voix, entre les solistes, le peuple et la Schola, cela l’Église seule en est juge, elle a son mot à dire.

Alors quel avenir pour la Schola ?
L’avenir est au Bon Dieu ! Pour le présent, j’aime ce mot du cardinal Journet parlant de « petits filets d’eau claire » à préserver quand l’orage a tout remué. L’avenir alors se fera comme le Bon Dieu voudra. Pour l’heure, avec des moyens fort modestes, la Schola vise très juste. Aussi le Conseil Pontifical de la Culture n’a-t-il pas hésité à ériger la Schola en Académie internationale de Musique sacrée (1998). Pour rendre grâces, elle vient de se consacrer à nouveau à Notre Dame de Lourdes, comme elle le fit à sa naissance voilà 75 ans (2). Le CD du Jubilé rend grâce pour le passé et prépare l’avenir, mêlant à la voix de diverses communautés religieuses celle de quelques chorales de laïcs avec leur caractère propre (3) : en effet le grégorien bien exécuté ne craint plus de se frayer à nouveau, peu à peu, un humble chemin en diverses paroisses : des « chœurs Saint-Grégoire », petits filets d’eau claire.
Propos recueillis par Christophe Geffroy

Schola Saint-Grégoire, 26 Rue Paul Ligneul, 72000 Le Mans. Tél. : 02 43 28 08 76 / schola-st-gregoire@wanadoo.fr / www.schola-st-gregoire.org
(1) Cf. Père Guy Frénod, Dom Charles Couturier, Éditions de Solesmes, 2011, p. 322. (2) Elle organise aussi un pèlerinage à Rome du 26 au 31 octobre 2013. (3) CD « Deo gratias » à commander à la Schola au prix de 15 e.