L’ABANDON POUR TOUS

L’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux vient de publier un magnifique petit précis de l’abandon à Dieu (cf. en fin d’article). C’est l’occasion de faire un point sur ce thème central de la vie spirituelle.

 

«Quelle voie voulez-vous enseigner aux âmes ? » demande un jour Mère Agnès à Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus. « Ma mère, lui répond cette dernière, c’est la voie de l’enfance spirituelle ; c’est le chemin de la confiance et de l’abandon. » « Abandon » ? N’est-ce pas le mot de toutes les infidélités, de toutes les lâchetés ? Oui, en un sens… mais tout dépend de ce que nous abandonnons. Si, au lieu de quitter la voie que Dieu nous trace, ce sont au contraire nos idées étroites, le souci de notre réputation ou notre volonté de tout maîtriser que nous laissons derrière nous, alors certainement rien ne nous empêchera plus d’être portés par les ailes de la colombe (cf. Ps 54, 7), les ailes de la confiance, jusqu’aux sommets de la vie spirituelle. Telle est la voie tracée par sainte Thérèse et tous les maîtres de la spiritualité de l’abandon, et qui est au fond le cœur même du message évangélique.

Jésus nous invite en effet à contempler dans la création le miracle de la Providence, à ne pas craindre les maux qui peuvent nous atteindre, à ne pas nous inquiéter de l’avenir (cf. Mt 6, 26-30). N’y a-t-il pas là un risque de laisser-aller ? Non, car Jésus nous recommande tout autant la simplicité de la colombe que la ruse du serpent (cf. Mt 10, 16). Il nous donne ainsi en exemple l’homme qui compte ses économies avant de bâtir une tour (cf. Lc 14, 28), le serviteur qui veille jusqu’au retour de son maître (cf. Lc 12, 37), ou encore l’intendant fidèle qui fait fructifier les talents reçus (cf. Mt 25, 20). Étrange paradoxe évangélique, qui trouve sa solution dans la pratique concrète de l’abandon à Dieu.

Car s’abandonner, ce n’est pas ne plus rien faire, c’est tout faire avec Dieu. Il s’agit de coopérer au dessein de Dieu, dans une adhésion amoureuse à Sa volonté, telle qu’elle se présente à chaque instant. Dès lors, c’est tout l’organisme surnaturel des vertus et des dons du Saint-Esprit qui est mis en branle. Au dire de Bossuet, « l’abandon est un composé des actes de la foi la plus parfaite, de l’espérance la plus entière et la plus abandonnée, et de l’amour le plus pur et le plus fidèle » (1).

C’est l’amour porté à son plus haut degré d’incandescence, qui, telle la flamme du Buisson ardent, brûle sans consumer : l’extérieur demeure inchangé, mais l’intérieur est renouvelé. Ainsi l’âme abandonnée vit de la « sainteté blanche », celle qui se réalise loin des regards, dans la monotonie des tâches quotidiennes ou dans l’humble acceptation d’une épreuve portée au jour le jour. La voie de l’abandon n’est donc pas réservée aux contemplatifs ou aux retraités, elle est un chemin de sainteté ouvert à tous. Témoin le Père de Caussade qui désirait parcourir le monde pour dire à chaque âme : « Faites ce que vous faites, souffrez ce que vous souffrez, il n’y a que votre cœur seul à changer. […] Oui, la sainteté du cœur est un simple fiat, une simple disposition de volonté conforme à celle de Dieu. Qu’y a-t-il de plus aisé ? » (2).

Aisé, l’abandon ? Nous faisons pourtant tous l’expérience de la difficulté à lâcher prise, à faire confiance à Dieu au milieu des événements qui nous bousculent. Et néanmoins – et tel est le secret de l’abandon – tout profite à l’âme abandonnée : ses échecs, ses fautes, son incapacité même à s’abandonner. Car l’abandon fait flèche de tout bois, donnant à l’âme la capacité de rejoindre Dieu à chaque instant par un simple élan du cœur.

Certes, le véritable abandon est l’œuvre de toute une vie ; il se réalise par une emprise toujours plus profonde de l’Esprit Saint sur une âme rendue souple et docile. Peu à peu, la volonté de Dieu n’est plus accueillie dans la résignation devant l’inévitable, ni dans le fragile acquiescement d’un moment, mais elle devient la manne cachée de chaque jour, l’aliment vital et indispensable (cf. Jn 4, 34).

Lorsque surviennent des heures douloureuses, l’âme abandonnée mendie la grâce de vivre la souffrance dans l’instant présent. Elle sait que si Dieu la conduit à la suite du Christ jusqu’au calvaire, elle y trouvera comme au Jourdain les ailes de la colombe et la voix du Père lui murmurant à l’oreille du cœur : « Tu es mon fils bien-aimé » (Mc 1, 11). De cette certitude d’être aimée et de l’abandon qui y répond, découleront « la paix qui surpasse tout sentiment » (Ph 4, 7), la joie que nul ne peut ravir (cf. Jn 16, 22), la liberté intérieure. Comme un surcroît, l’âme recevra alors « la grâce des grâces », comme l’appelle Bernanos, celle de « s’aimer humblement soi-même » (3), celle d’une réconciliation avec son passé, avec ses blessures, avec toutes ces heures où a affleuré sur les lèvres le cri du psaume : « Qui me donnera des ailes comme à la colombe, afin que je m’envole et me repose ? » (Ps 54, 7).

Qui mieux qu’une mère peut en définitive répondre à cet appel ? La Vierge Marie, modèle de l’abandon, nous guide avec douceur sur cette voie qui peut paraître âpre de prime abord. Écoutons le conseil de saint Louis-Marie Grignion de Montfort : « Il faut se mettre et se laisser entre ses mains virginales, comme un instrument entre les mains de l’ouvrier, comme un luth entre les mains d’un bon joueur. Il faut se perdre et s’abandonner en elle, comme une pierre qu’on jette dans la mer » (4). En Marie et avec elle, nous découvrons que l’abandon est l’autre nom de l’amour, l’autre nom de la sainteté.

 

Un moine du Barroux

 

(1) Instruction sur les états d’oraison, 1er traité, X, 18.

(2) L’Abandon à la Providence divine, chap. VIII.

(3) Journal d’un curé de campagne.

(4) Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, n° 259.

 

 

 

Les ailes de la colombe. la voie de l’abandon à Dieu, par un moine bénédictin, Éditions Sainte-Madeleine, 2014, 184 pages, 14 € (cf. www.barroux.org).

Véritable petit traité de l’abandon, voici un livre spirituel qui se lit sans effort ! Clair et pratique, il décrit d’abord la source trinitaire de l’abandon, puis les lieux, avec notamment le cas des épreuves, et enfin les moments (l’instant présent et notre mort). Une dernière partie évoque les fruits. Après Découvrir la vie intérieure, une belle réussite.