Votre thèse est-elle vraie ou fausse ? Cela importe beaucoup moins que vos raisons (douteuses ?) de la soutenir. Ou que les conséquences (néfastes ?) qu’elle est susceptible d’entraîner. Bref, il y a en amont le mobile, bon ou mauvais, qui l’a produite et en aval le résultat, bon ou mauvais, qu’elle va produire. Ce faisant on substitue l’ordre pratique à l’ordre théorique, l’ordre du bien et du mal à l’ordre du vrai et du faux. Dès lors, pareils agissements rendent impossibles un débat intellectuel, lequel suppose qu’on prenne le temps de lire l’auteur mis sur la sellette, qu’on s’enquiert de son travail plutôt que de sa fidélité « citoyenne » à une « ligne » idéologique préétablie. Rappelons-nous, entre maints exemples, la réception du livre de Sylvain Gouguenheim consacré aux chaînes de transmission du savoir grec à l’Europe médiévale – livre paru en mars 2008 et intitulé Aristote au Mont-Saint-Michel.
Professeur à l’École normale supérieure de Lyon, l’historien osait corriger le point de vue généralement reconnu qui, selon lui, surestime (au préjudice d’autres filières, latines et byzantines) le rôle de l’islam dans cette affaire. En toute bonne foi, la thèse aurait pu être discutée par ses pairs à l’égal de l’opinion dominante qu’il se permettait de minorer. Mais, au lieu du débat, ce fut le déchaînement de la haine. Plusieurs appels et pétitions issus du monde universitaire, dont l’une allait jusqu’à réclamer une « enquête approfondie » contre un tel délinquant, accusé de fournir d’arguments des « groupes xénophobes et islamophobes », retentirent du grand air de la calomnie, où se signala aussi l’hebdomadaire Télérama, égout collecteur de toutes les déjections à la mode. En somme, une opération de basse police et une honteuse entreprise d’intimidation… Avec le jeu complet des canailleries plus haut évoquées : la disqualification de l’auteur par les intentions qu’on lui attribue, la disqualification de son ouvrage par les effets qu’on lui impute, la disqualification des mots et des concepts qu’il utilise, et, mieux ou pire, la volonté de le combattre sans le lire ou du moins avant même de l’avoir lu.
Conclusion : il faut remercier André Perrin, ancien Inspecteur d’Académie, pour la série d’essais tristement éclairants (car Le médiéviste et les nouveaux inquisiteurs n’est que le premier du riche ensemble contenu dans ce volume) offerts à notre réflexion.
Scènes de la vie intellectuelle en France, d’André Perrin, l’Artilleur, 2016, 240 pages, 20 €.