Louis de Bonald, de Giorgio Barberis

L’année 1802, qui vit paraître le Génie du christianisme, ce « coup de théâtre et d’autel », avait aussi vu paraître la Législation primitive, et quand on parlait à Bonald de la différence de succès entre les deux ouvrages, il glissait cette remarque : « J’ai donné ma drogue en nature, et Chateaubriand l’a donnée avec du sucre. » Au reste, l’un et l’autre, malgré des dissentiments manifestes, offraient des points communs et si Bonald saluait en Chateaubriand son esprit, son érudition, l’élévation de son caractère, l’auteur du Génie prodiguait des louanges à l’auteur de la Législation, « homme rare et modeste ». Devenu sous l’Empire, grâce à Fontanes (lequel, cependant, tout comme Joubert, s’étonnait un peu de « ses systèmes qui viennent à chaque mot qu’il écrit »), conseiller de l’Université, c’est au retour des Bourbons qu’allait s’ouvrir pour lui, quoique déjà âgé, une période de grandes énergie et activité. Sa participation au Conservateur (1818-1820), journal de Chateaubriand, ses discours à la Chambre des députés où il représente l’Aveyron, ses livres, ses brochures, ses articles, accroissent, certes, un renom d’intransigeance, mais celle-ci aura la ressource de prendre appui sur les titres ou dignités (académicien en 1816, ministre d’État en 1822, pair de France en 1823) qu’il doit à la Couronne. Retiré, après le renversement du roi légitime, dans son pays des Causses, la mort vint l’y chercher, largement octogénaire, le 23 novembre 1840.

Nous avons mentionné Chateaubriand. Ami assez perplexe de Bonald, une vraie brouille, vers 1824, s’était produite, et la question de la liberté de la presse les opposa d’une manière fort rude. Dès lors, aux yeux de l’Enchanteur, maintenant moins obligeant, ce même Bonald, ayant « rêvé sa politique métaphysique à l’armée de Condé, dans la Forêt-Noire », laisserait une œuvre non dépourvue sans doute d’« ingéniosité », mais irrémédiablement frappée d’obsolescence et comparable à ces pyramides, « palais de la mort, qui ne servent au navigateur sur le Nil qu’à mesurer le chemin qu’il a fait avec les flots ». Image saisissante, qui ne dispense pas d’un plus ample et impartial examen. Car la construction bonaldienne, tentative de dépasser les « Lumières » en les confrontant à leur propre répertoire philosophique, intelligence de la société comme un ensemble de structures formelles qui précèdent les individus et certitude qu’existe un lien direct entre l’élaboration d’une science exacte de la société et le programme de sa réorganisation, impose un regard scrutateur. Et, aujourd’hui, ce regard, Giorgio Barberis, professeur italien d’un savoir étendu, démontre qu’il le possède plutôt bien.

Louis de Bonald, de Giorgio Barberis, Desclée de Brouwer, 2016, 362 pages, 21 €.