DELSOL Chantal - Date : 20110704 ©Maurice Rougemont/Opale/Leemage

Vers l’accomplissement de la personne

Le féminisme entretient beaucoup d’excès, et dans nos milieux, beaucoup d’inimitié ! Vais-je donc le défendre ? Cela dépend de ce qu’il signifie exactement ! À ce propos, je pars de deux convictions que mon lecteur évidemment n’est pas obligé de partager !

La première : dans certaines religions ou morales (comme l’islam), les femmes sont considérées comme ontologiquement inférieures aux hommes – c’est-à-dire inférieures dans l’être même. Elles sont souvent, dans les cultures extérieures et aussi dans l’islam, considérées comme d’éternels enfants, immatures et par conséquent réclamant protection et punition à la fois. Mais ce n’est pas la façon de voir du christianisme. Celui-ci considère que les femmes sont elles aussi des personnes, soit des créatures images de Dieu, libres et dotées d’un destin propre et d’une singularité. C’est le principe. Cela n’a pas empêché les chrétiens de vivre longtemps dans l’idée que les femmes sont inférieures et immatures, car c’est là la soupe primordiale de l’humanité. Mais le principe finit par s’imposer, parce qu’on ne peut pas vivre toujours en disant ce qu’on ne fait pas…

La seconde : la culture occidentale judéo-chrétienne est la seule à vivre dans le temps fléché, soit dans le temps de la progression vers une amélioration, non seulement vers un Salut après la mort, mais vers un perfectionnement tâtonnant et permanent de notre terre – la vie éternelle est déjà commencée. C’est de cette manière que nous avons aboli l’esclavage. Vers quoi progressons-nous ? Vers l’accomplissement de la personne telle que nous la décrivent les textes saints.

De la première certitude il faut tirer que les femmes peuvent elles aussi avoir une vocation et l’accomplir, et qu’elles ne sont pas seulement destinées à élever les enfants et à servir les vocations des hommes. Elles sont des personnes adultes à part entière, nanties des mêmes capacités et de la même liberté responsable que les hommes. Cela ne veut pas dire qu’elles sont semblables. L’humanité est composée des deux genres dont chacun est incomplet sans l’autre : ils sont l’image même de notre finitude et de notre élan vers l’autre. Il ne s’agit pas d’oublier cela : la différence des sexes suscite des rôles (et pas seulement des fonctions) ; et cependant elle ne doit pas priver les uns ou les autres de l’accomplissement de leurs capacités.

De la seconde certitude il faut tirer qu’à travers le temps nous avançons vers la concrétisation de la femme comme personne. De même que nous avons aboli l’esclavage, nous sommes en train d’abolir la mise à disposition complète des femmes à leur mari et à la famille (Stuart Mill disait que la condition des femmes est un esclavage, comme mise à disposition complète et permanente).

L’autonomie des femmes va-t-elle détruire la famille ? Bien sûr, au début (c’est maintenant), elle la déstabilise. Car auparavant seuls les hommes étaient individualistes (vivaient en général pour eux-mêmes pendant que leur femme veillait à tout sauf à elle-même). Tandis qu’à présent les femmes aussi sont en train de devenir individualistes : d’où l’éclatement des familles, tellement pernicieux pour les enfants d’abord mais aussi pour les adultes concernés. La solution est-elle de revenir au patriarcat au sein duquel seul l’homme a le droit d’être égoïste ? Je pense plutôt que la solution serait une situation où les deux membres du couple, l’homme comme la femme, seraient capables de faire des sacrifices (en terme de temps, de carrière, de loisir, etc.) pour l’autre et pour la famille – et naturellement, chacun selon sa vocation propre : les nourrissons ont davantage besoin de leur mère, un garçon adolescent a davantage besoin de son père…

Cette évolution est-elle aisée ? Non, elle est terriblement difficile pour les hommes, qui voient fondre presque d’un coup leurs privilèges immérités. J’ai interrogé des amis historiens sur l’évolution de ce genre de situation dans les siècles passés, par exemple quand on a supprimé le servage et qu’il a fallu une réorganisation générale des mentalités. Ils m’ont répondu : il faut deux siècles.

Chantal Delsol

© LA NEF n°282 Juin 2016