Nous avions évoqué dans nos numéros de mai et juin les interrogations que suscitait l’exhortation sur la famille du pape François, Amoris Laetitia. Ces interrogations sont bien réelles et appellent une clarification de l’Autorité, il est néanmoins important de ne pas oublier, qu’en l’état, ce texte pontifical est recevable dans une herméneutique de continuité. Démonstration.
Le chapitre VIII de l’Exhortation apostolique Amoris Laetitia (= AL), intitulé Accompagner, discerner et intégrer la fragilité, concerne la pastorale des personnes vivant en situation matrimoniale « irrégulière ». Il a soulevé une tempête de commentaires, voire de contestation. Nous cherchons ici à dissiper plusieurs idées fausses répandues sur ce texte.
AL n’est pas un document du magistère : vrai ou faux ?
Faux. Mais, dans un document du magistère, tout n’est pas revêtu de la même autorité, selon que c’est directement doctrinal, prudentiel, etc.
AL ne contient aucune doctrine : vrai ou faux ?
Faux. AL fournit en matière doctrinale et des rappels et des précisions nouvelles.
AL comprend surtout des conseils et des encouragements : vrai ou faux ?
Vrai. Le chapitre VIII, en particulier (par exemple le n° 308), semble donner aux prêtres des conseils, plutôt que des préceptes.
On est toujours tenu en conscience d’être d’accord avec les assertions d’AL : vrai ou faux ?
Cela dépend des termes employés, selon qu’ils ne formulent qu’un encouragement, voire une opinion personnelle, ou au contraire des passages plus catégoriques en doctrine ou en discipline (numéros 292 et 293, note 336, n° 301, 302, 303, 305, avec la note 351 ; n° 311, et la note 364).
AL considère les unions homosexuelles comme des imitations analogiques du mariage : vrai ou faux ?
Faux. AL ne reconnaît aucune ressemblance entre les unions homosexuelles et le mariage (n° 251).
AL prétend que les unions hétérosexuelles irrégulières ont au fond la même valeur que le mariage : vrai ou faux ?
Faux. Mais plus une union irrégulière est stable et prend soin d’enfants, et plus elle a une certaine analogie imparfaite avec le mariage monogamique et indissoluble (cf. n° 292-293).
D’après AL quelquefois, un couple, pour des raisons économiques, est dispensé de se marier : vrai ou faux ?
Faux. Ces raisons peuvent seulement constituer une circonstance qui atténue la culpabilité, mais doivent être surmontées (cf. n° 293, 294).
Selon AL, la loi divine concernant l’adultère et la fornication peut ne pas s’appliquer à un moment donné, et n’est qu’un idéal à atteindre plus tard : vrai ou faux ?
Faux. L’idéal est l’application parfaite de la norme, et sera probablement atteint plus tard, progressivement, vu la faiblesse des personnes (c’est la loi de gradualité), mais il s’impose dès à présent objectivement à la conscience (il n’y a pas de gradualité de la loi) (cf. n° 295 ; 300).
AL pense que l’accomplissement de certains commandements de Dieu est impossible à certains chrétiens : vrai ou faux ?
Faux. À deux reprises, AL affirme que la volonté de Dieu est toujours possible à accomplir, mais avec l’aide de Dieu (cf. n° 295 ; 297). Dieu ne commande jamais l’impossible, et ce qui ne nous est pas possible, Dieu nous le rend possible par sa grâce (cf. concile de Trente).
AL renonce au dogme de l’éternité de l’Enfer en déclarant au n° 296 : « La route de l’Église est celle de ne condamner personne éternellement » : vrai ou faux ?
Faux. La même phrase précise que la route de l’Église est « de répandre la miséricorde de Dieu sur toutes les personnes qui la demandent d’un cœur sincère ». C’est la personne qui demande pardon qui ne pourra pas être condamnée pour toujours.
AL demande qu’on n’expose pas la totalité de la volonté de Dieu aux personnes en situation irrégulière, afin de ne pas les contrister : vrai ou faux ?
Faux. Selon AL, on doit « les aider à parvenir à la plénitude du plan de Dieu sur eux, toujours possible avec la force de l’Esprit Saint » (n° 297).
AL introduit une nouveauté en supposant que parfois les divorcés remariés ne peuvent pas se séparer sans commettre de nouvelles fautes : vrai ou faux ?
Faux. Selon saint Jean-Paul II, Familiaris consortio (= FC), n° 84, cité par AL n° 298, il arrive que, ayant le devoir grave de prendre soin d’enfants, les pseudo-conjoints doivent rester sous le même toit.
AL n° 298, note 329, prétend qu’il est impossible que les divorcés vivent ensemble comme frère et sœur : vrai ou faux ?
Faux. Certes, selon la note, sans les actes charnels, la stabilité de l’union de fait est compromise, au détriment notamment des enfants. Mais c’est une difficulté, non une impossibilité, et une circonstance atténuante chez ceux qui n’arrivent pas à la surmonter.
AL soutient qu’un divorcé qui estime son premier mariage invalide, ou détruit sans faute de sa part, peut vivre légitimement de manière matrimoniale avec un 2e conjoint : vrai ou faux ?
Faux. Le sens est que ces situations sont moins graves objectivement, que celle d’un divorcé déjà marié, voire coupable du naufrage de son mariage, et qui peut encore se séparer de son 2e conjoint (cf. n° 298).
Le pape François estime que les pseudo-conjoints peuvent décider en conscience que leur 1er mariage était nul et que le 2e est le véritable : vrai ou faux ?
Faux. Le Saint-Père a maintenu le 15 août 2015 la nécessité d’une procédure judiciaire pour déclarer le premier mariage nul, et n’a rien changé à la forme canonique du mariage.
AL pose comme condition à toute intégration des « divorcés remariés » dans la vie de l’Église d’éviter « toute occasion de scandale » : vrai ou faux ?
Vrai (cf. n° 299). Le mot « scandale » désigne le péché qui consiste à induire autrui à pécher. En outre, le n° 297 émet une restriction si de tels fidèles étaient arrogants.
AL permet aux ministres de l’Eucharistie de donner publiquement la sainte communion aux divorcés remariés connus comme tels : vrai ou faux ?
Faux. Le pape n’a rien changé à la législation, fondée sur l’Écriture (cf. Jean-Paul II, FC 84), sur ce point. Surtout qu’on n’a aucun moyen de savoir si ces divorcés ont renoncé aux relations charnelles (cf. canon 915).
AL estime que toutes les personnes persistant dans une situation matrimoniale irrégulière sont en état de grâce : vrai ou faux ?
Faux. Seulement celles affectées d’ignorance sur la norme ou sa valeur ou dont la volonté se sent dans l’impossibilité de changer sans de nouveaux péchés sont dites pouvoir être en état de grâce (cf. n° 301).
AL permet aux confesseurs d’absoudre tous les divorcés remariés qui ne renoncent pas à avoir des relations charnelles : vrai ou faux ?
Faux. AL ne le permet que si le confesseur au for interne discerne que, en raison des circonstances atténuantes susdites, le pénitent ne commettra pas un péché mortel en agissant ainsi dans le futur (cf. n° 301), bien que la situation au for externe demeure objectivement grave.
AL, en permettant une telle absolution, contredit la doctrine définitive du concile de Trente sur la nécessité de la contrition et du ferme propos pour être absous, réitérée par le pape Jean-Paul II dans Ecclesia de Eucharistia, §§ 36-37 et le code de droit canonique, canon 916 : vrai ou faux ?
Faux. La doctrine définitive susdite sur la contrition et le ferme propos concerne seulement les péchés mortels, alors que AL fait précisément l’hypothèse que, malgré la matière objectivement grave, les personnes, par imperfection de la connaissance et de la volonté, ne pèchent pas mortellement.
AL permet aux personnes ainsi absoutes d’aller communier : vrai ou faux ?
Vrai, mais seulement dans des lieux où elles ne sont pas connues comme étant divorcées remariées, puisqu’il faut éviter toute occasion de scandale (n° 299).
AL permet au prêtre de ne jamais informer le pénitent sur la gravité objective de sa situation : vrai ou faux ?
Faux. Le n° 300 affirme : « Le colloque avec le prêtre, dans le for interne, concourt à la formation d’un jugement correct sur ce qui entrave la possibilité d’une participation plus entière à la vie de l’Église […]. Étant donné que, dans la loi elle-même, il n’y a pas de gradualité […], ce discernement ne pourra jamais s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église. »
AL renonce à la doctrine selon laquelle il y aurait des actes en eux-mêmes graves, indépendamment des circonstances et de l’intention : vrai ou faux ?
Faux. AL se fonde simplement sur le fait que, pour être péché mortel, un acte doit posséder à la fois trois propriétés : 1° être grave quant à sa matière (objet moral + intention + circonstances) ; ici, par hypothèse, l’objet moral est déjà grave (fornication, adultère), et ni l’intention ni les circonstances n’y peuvent rien ; 2° la pleine connaissance de l’acte, de son immoralité et de sa gravité ; 3° enfin, le plein consentement de la volonté. AL (n° 301) se place dans l’hypothèse où ces deux dernières conditions (2° et 3°), qui dépendent du sujet et des circonstances, ne sont pas réalisées.
Mais il est impossible qu’un tel catholique, une fois éclairé par le confesseur, puisse continuer à penser que ses actes ne sont pas graves : vrai ou faux ?
Faux. Le prêtre doit éclairer la personne (AL, notamment n° 300, le rappelle). Mais parfois il ne parviendra pas dès une première confession à la convaincre. En effet celle-ci peut avoir été déformée de bonne foi par d’autres « autorités ». Le prêtre doit alors au minimum lui demander des gestes de bonne volonté, de se renseigner, de revenir. Et si elle accepte, elle semble avoir la volonté de ne pas offenser Dieu gravement à l’avenir. Ce sont des situations sortant de l’ordinaire, mais déjà connues par la pratique des confesseurs.
Cette mesure pastorale sera difficile à appliquer, exigeant discrétion, science, sagesse et doigté, et donnera lieu à des abus si au contraire on l’applique de façon simpliste : vrai ou faux ?
Vrai. C’est pourquoi il est si important qu’un document du Saint-Siège clarifie tout cela.
Père Basile Valuet, osb
Le Père Basile, moine du Barroux, a fait paraître une étude substantielle sur ce même sujet dans la Revue Thomiste de l’automne 2016 (cf. https://www.revuethomiste.fr/).
© LA NEF n°284 Septembre 2016