Démographie : quelle politique familiale ?

Les politiques familiales ont une efficacité prouvée en matière de natalité. Point de vue de Jacques Bichot qui propose un « New Deal » des politiques familiales, une réforme ambitieuse plutôt qu’un énième réajustement. Explications.

Pourquoi a-t-on des enfants ? Au point de départ il y a l’instinct sexuel. Mais, déjà chez certains animaux, et plus encore chez l’homme, la fécondité naturelle est contrôlée. Dans la partie de l’humanité techniquement développée, les méthodes contraceptives et l’avortement sécurisé ont une efficacité suffisante pour que la mise au monde d’un bébé ne survienne quasiment que si elle est voulue, ou du moins acceptée. C’est dans ce cadre que se pose la question des rapports entre politiques familiales et natalité.
L’espoir de satisfaction – fut-ce celle du devoir accompli – est un puissant moteur de nos actions. Le sentiment maternel et paternel rend généralement satisfaisante l’arrivée d’un premier enfant. Au-delà, la loi des rendements décroissants s’applique au plaisir que procure une naissance supplémentaire. Les difficultés matérielles et professionnelles croissent en fonction du nombre d’enfants. Beaucoup de couples en ont peu parce que les inconvénients de la famille nombreuse l’emportent à leurs yeux sur les joies supplémentaires qu’elle procure.
Michel Godet dit à juste titre que le comportement DINK (Double Income, No Kid) est ce que conseille, implicitement mais très efficacement, notre assurance vieillesse : car les bonnes pensions vont à ceux qui ont deux bons emplois à plein-temps et pas de gamins dans les pattes, en dépit du fait que les pensions sont payées en grande partie par les enfants des couples ayant élevé 2 enfants ou plus grâce à une mère qui s’est contentée d’un petit job à temps partiel… et qui touche une pension aussi modeste que son salaire.
L’enfant était jadis le « capital du pauvre » – son bâton de vieillesse. Pour couler des jours paisibles à l’abri du besoin, chacun comptait sur ses propres enfants. Les parents avaient fortement contribué à faire de leurs enfants des travailleurs compétents, et ceux-ci leur renvoyaient l’ascenseur en appliquant le commandement que l’on trouve aussi bien dans le traité confucéen de la piété filiale que dans les textes judéo-chrétiens et islamiques : « Tu honoreras ton père et ta mère. » L’organisation démente des retraites par répartition a été un outil de destruction massive pour ce mode de rapport entre générations successives, nous allons voir pourquoi.
Une des rares certitudes que nous ayons en économie est que les retraites par répartition dépendent de la natalité et de la bonne éducation des enfants. Comme le disait Sauvy au milieu des années 1970, quand est arrivée la fin du baby-boom, « pas d’enfants, pas de retraites ». Mais le législateur ne s’en est rendu compte ni en France ni ailleurs. Ses textes sont conçus pour un monde où les bébés seraient apportés par les cigognes, nourris de l’air du temps puis instruits par de bonnes fées. Les organismes officiels se couvrent de ridicule en classant les quelques miettes de pension accordées aux parents ès-qualités comme étant des « avantages non contributifs », alors que ce sont ces parents qui préparent les futures retraites. Comme si, pour tout salaire, vous donniez un sandwich au maçon qui construit votre maison, en précisant bien que c’est pure générosité de votre part !
Il faut traiter équitablement les maçons qui construisent nos retraites, c’est-à-dire les parents, faute de quoi ils travailleront mollement. La politique familiale nécessaire pour encourager la fécondité n’est donc pas un paquet-cadeau électoral contenant trois ou quatre mini-augmentations de prestations familiales et une énième promesse de création de places de crèche, mais une refondation complète de notre sécurité sociale. Il faut cesser de penser en termes d’aide à la famille, se mettre à raisonner en termes d’investissement dans la jeunesse et d’échange entre générations successives. Notamment, les cotisations famille, que certains veulent bêtement faire financer par l’impôt au lieu de les introduire dans une économie d’échange, devraient être créatrices de droits à pension, ainsi que l’éducation des enfants par leurs propres parents, tandis que les cotisations vieillesse, remboursement de ce qui est dû à nos géniteurs, cesseraient de donner droit à quoi que ce soit.
L’absurdité de l’idée selon laquelle l’activité professionnelle, et non le renouvellement des générations, crée légitimement des droits à pension, n’est hélas pas comprise en haut lieu. Charles de Gaulle et Pierre Laroque ont eux-mêmes repris sans sourciller le mode d’organisation des retraites par répartition instauré par Vichy en 1941. Les autorités de la IVe République manifestèrent leur attachement à la famille par des prestations familiales simples et généreuses, mais sous la Ve, à partir du milieu des années 1960, celles-ci ne cessèrent de s’amenuiser et de se compliquer.
Chercher à remonter cette pente serait une stratégie perdante : le déficit de l’ensemble formé par la sécurité sociale et l’État est trop important pour que soit réalisée une revalorisation convenable des prestations familiales. La seule solution est d’innover en réalisant une réorganisation majeure des échanges entre générations successives, comportant un changement radical de l’attribution des droits à pension.
Actuellement, ces droits sont attribués quasiment sans référence à l’investissement dans la jeunesse, puisque les miettes qui sont attribuées aux parents ès-qualités sont déclarées « non contributives », alors même qu’en l’absence de cette contribution – la mise au monde et l’éducation des enfants – il n’y aurait tout simplement pas de pensions par répartition. Réformons le système en attribuant aux parents des droits à pension convenables en raison de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font, ainsi qu’aux cotisants à la branche famille, et nous obtiendrons à la fois : la disparition d’un frein à la natalité, puisque le fait d’être parent sera enfin valorisé ; une meilleure acceptation des contributions à la branche famille, puisqu’elles procureront des droits à pension ; et un moindre empressement à verser des cotisations vieillesse, puisqu’elles ne procureront plus de droits à pension. Ce New Deal fera repartir à la hausse la natalité, en baisse inquiétante depuis le début de l’année 2015.

Jacques Bichot

Jacques Bichot est économiste, professeur des universités, membre honoraire du Conseil économique et social ; ses travaux portent sur l’économie monétaire, la politique sociale et la politique familiale.

© LA NEF n°286 Novembre 2016