Dans un système verrouillé où domine l’idéologie malgré les échecs flagrants de décennies de réformes absurdes, les écoles libres sont un aiguillon essentiel désormais menacé.
Voici que le gouvernement a pris soudainement l’initiative, en fin de quinquennat, de rouvrir la guerre scolaire en attaquant les libertés constitutives des écoles hors contrat. Dans un projet de décret, Najat Vallaud-Belkacem entend contraindre ces écoles à respecter les programmes scolaires publics, alors qu’elles n’étaient jusqu’à présent tenues qu’au respect du « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » à 16 ans (1). Le gouvernement cherche à imposer l’essentiel des contraintes pédagogiques que la loi Debré fait peser sur les établissements sous contrat, sans prévoir pour autant de compensation financière ! La Fondation pour l’école entretient un dialogue juridique serré avec le Ministère en vue de la suppression des dispositions liberticides de ce décret, qu’elle attaquera sans coup férir devant le juge administratif par voie de référé s’il devait être signé en l’état.
Dans le même temps, le gouvernement a annoncé vouloir changer les modalités légales d’ouverture des écoles hors contrat, en passant du régime actuel de déclaration à un régime d’autorisation préalable. La création de toute école libre serait désormais soumise à une autorisation de l’État, et donc à son bon vouloir. Le texte, en cours d’adoption au Parlement, doit arriver ce mois-ci au Sénat. La Fondation pour l’école est le fer de lance d’une résistance déterminée contre cette réforme, soutenue par la prière de nombreux clercs et communautés religieuses. L’Enseignement catholique, les AFC, l’Apel nationale et même la Conférence des évêques de France ont fait part de leur opposition au projet gouvernemental ; outre la tribune dans Le Figaro du 29 juin 2016 signée par 47 députés Républicains, des hommes de gauche se sont exprimés dans l’hémicycle pour dénoncer cette politique gouvernementale liberticide. Il faut dire que le caractère contreproductif de cette réforme saute aux yeux. Elle ne préviendra en rien les risques d’ouverture d’écoles islamistes ou académiquement indigentes, mais elle freinera à coup sûr le remarquable essor des écoles indépendantes. Là encore, la Fondation pour l’école s’est organisée pour déférer l’ordonnance devant le juge compétent.
UNE QUESTION QUI NOUS CONCERNE TOUS
Malgré les apparences, cette bataille pour les libertés des écoles hors contrat nous intéresse tous. Ne serait-ce que parce que les écoles sous contrat vont avoir de plus en plus besoin du hors-contrat pour mener à bien leur mission (cf. encadré ci-dessous), mais aussi et surtout parce qu’elle permet de saisir quels changements opérer pour sortir de l’impasse éducative.
En effet, on s’étonne souvent de ce que notre pays ne réussisse pas à s’arracher au marasme scolaire dans lequel il s’est embourbé depuis près de quarante ans, y compris pour des questions aussi simples que celles de la méthode de lecture. À mes yeux, la réponse est maintenant claire, bien qu’elle choque le sens commun : la politique scolaire suit aveuglément une ligne idéologique, en se dispensant de prendre en compte de manière pragmatique le réel. Vincent Peillon, dans La Révolution française n’est pas terminée, donne la clé de lecture de décennies de politique éducative française : l’école doit être « la matrice qui engendre en permanence des Républicains pour faire la République. […] elle doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines, va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Église, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi » (2).
Il est temps pour nous de comprendre que l’Éducation Nationale ne cherche pas à instruire, mais essentiellement à transformer la société, et d’abord à rendre impossible la transmission intergénérationnelle au sein des communautés naturelles, qu’elles soient familiale, religieuse ou autre. Seul le bon peuple croit que les professeurs sont missionnés pour instruire les enfants, leur transmettre le patrimoine culturel français, tandis que les responsables administratifs et politiques poursuivent un autre but : réduction des inégalités sociales, transmission des « valeurs de la République », lutte contre les déterminismes et les stéréotypes, et construction du vivre-ensemble. Que le système scolaire français soit « en fait structuré sur des considérations avant tout idéologiques », le recteur de Paris, François Weil, le déclara tout de go au ministre britannique Lord Nash, alors que ce dernier lui suggérait naïvement d’étudier le redressement scolaire anglais, qui repose sur le succès des free schools et academies. Il me fut donné d’assister à cette scène mémorable, qui médusa littéralement le lord britannique.
IDÉOLOGIE CONTRE PRAGMATISME
Bien sûr, toute entreprise pédagogique repose sur une anthropologie ou une métaphysique. Comment éduquer un enfant sans référence à une finalité, un homme idéal ou une société idéale ? À cet égard, toute éducation, et donc tout système éducatif, est politique par construction. Mais, ce qui distingue la France est que chez ses dirigeants, les objectifs idéologiques ont tout envahi, sans qu’aucune considération pragmatique vienne tempérer leurs ardeurs révolutionnaires. Si le collège unique à la française n’est toujours pas remis en cause – alors que le système allemand de filières professionnelles conduit à un taux de chômage des jeunes de seulement 6,9 % tandis qu’un Français de moins de 25 ans sur quatre est sans emploi –, c’est parce que l’objectif égalitariste de garder tous les collégiens dans une même institution l’emporte absolument sur toute considération pragmatique. Comme Yves Morel le montre, l’école publique est perverse dans son principe même – et pas seulement parce qu’elle est anticléricale (3). Les pédagogues égalitaristes à la Meirieu n’ont pas trahi l’école républicaine méritocratique des hussards noirs. L’échec structurel de l’Éducation Nationale provient de son refus de principe de prendre en compte la variété des aspirations et aptitudes des jeunes et les exigences de l’économie moderne pour orienter les élèves dans des filières différentes.
Même à droite, les responsables politiques français ont le plus grand mal à rejeter l’idéologie égalitariste. Il en va de même pour leur croyance au caractère régalien de l’école, comme si instruire, ou pire éduquer, était par nature une compétence étatique, comme l’est le bloc classique police-justice-armée-diplomatie ! L’État sait mieux que les parents ce qu’il faut pour leurs enfants.
Plus on mettra l’accent sur le vivre ensemble et l’égalité, plus s’imposera l’idéal de la scolarisation de tous les enfants dans un système unique (hormis les enfants des élites opportunément exfiltrés à l’étranger ou dans les quelques établissements refuges s’il en reste). L’esprit de la réforme Savary instaurant une école unique continue à souffler. Qu’est-ce qui justifie aujourd’hui le maintien d’écoles confessionnelles financées par l’État, à l’heure où les religions sont mal vues ? Presque rien. Pour se faire admettre, l’Enseignement catholique n’a eu de cesse de donner des gages de sa participation au « service public d’éducation nationale ». À l’instar du vote des femmes qui fut réputé enfin mûr lorsqu’il devint identique à celui des hommes, l’école privée ne sera considérée comme parfaitement acceptable que lorsqu’elle se sera totalement alignée sur l’école publique. Et elle n’en est pas loin : mêmes concours de recrutement, même gestion de carrière par l’Éducation Nationale, mêmes programmes, mêmes volumes horaires et mêmes diplômes, même obligation d’accepter tous les élèves sans discrimination, et limitation du caractère propre hors des heures de cours, comme le ferait un lycée public qui serait doté d’une aumônerie…
FASCINÉS PAR L’ÉTAT
Il est frappant de sentir à quel point nous sommes collectivement fascinés par l’État dans notre pays, alors que ce dernier inspire une saine méfiance dans les pays anglo-saxons par exemple. On prête à l’État des vertus surprenantes dans le champ éducatif, en dépit des résultats catastrophiques qu’il obtient : l’État détermine ce qu’il faut enseigner, octroie la gratuité à son école qu’il refuse sans raison aux concurrents privés. Il maîtrise le recrutement des titulaires du public comme du privé, tout comme il impose à l’enseignement privé les outils informatiques de gestion. Il a supprimé les évaluations nationales et récemment le redoublement. Il est incroyablement juge et partie : c’est lui qui inspecte les professeurs après les avoir lui-même formés, et c’est encore lui qui – fidèle à Napoléon – conserve jalousement le monopole de la collation des grades, refusant à toute faculté privée d’émettre des diplômes équivalents aux siens. Ainsi en vertu du processus européen de Bologne, il reconnaît sans problème un obscur master du fin fond de la Roumanie, mais pas celui de l’Université catholique de Paris, alors que l’Église catholique fut mère de toutes les universités, des siècles avant que l’État laïque ne s’avisât de faire une OPA dessus !
N’est-il pas extraordinaire que ce soit encore l’Éducation Nationale qui produise les statistiques et évaluations du système éducatif français, sans même l’intervention d’un certificateur extérieur pour en garantir la sincérité ? N’est-il pas quelque peu surréaliste que l’Éducation Nationale inspecte les écoles privées sous et hors contrat, alors qu’elle se distingue sur la scène internationale par son incapacité à se réformer, illustrée par sa descente aux enfers dans le classement PISA de l’OCDE, et alors que les résultats académiques des écoles privées sont en moyenne supérieurs à ceux du public ?
On pourrait continuer la liste des prérogatives éducatives qu’on s’est scandaleusement habitué à reconnaître à l’État. Avec les années, ce qui était subi en attendant des temps meilleurs fut érigé en droit à préserver. Il n’est pas rare de rencontrer des responsables politiques, administratifs ou religieux pour lesquels seules des écoles sous contrat peuvent être catholiques, comme si le contrat était gage de catholicité ! N’oublions pas que le compromis de la loi Debré de 1959 a été conclu in extremis, sur fond de démission du SGEC (Secrétariat général de l’Enseignement catholique) de l’époque et du Ministre de l’Éducation Nationale. C’était un compromis consenti pour recevoir de l’État des moyens financiers précisément perdus en raison des spoliations révolutionnaires et républicaines contre l’Église, et notamment les congrégations enseignantes, pas un idéal.
En 2011, l’État chercha à faire croire que l’intérêt général d’une école subsistait dans le caractère sous contrat, et décida par conséquent de retirer la déductibilité des dons aux écoles hors contrat. La Fondation pour l’école se battit farouchement et obtint, grâce à Dieu, que l’État renonçât à cette hérésie juridique et adopte un texte (un rescrit fiscal général) rétablissant les écoles hors contrat dans leur droit et renforçant leur statut fiscal. Si l’attaque précise a été repoussée, on sent que la confusion reste prégnante dans les esprits.
Le combat que nous menons actuellement pour les libertés des écoles indépendantes ne sera probablement pas le dernier. Il nous aura en tout cas permis de mesurer à quel point, pour gagner la guerre au-delà de cette seule bataille, il faut mener un travail de réinformation de longue haleine sur les bases philosophiques, juridiques et historiques qui explique le bienfondé de la liberté d’enseignement, nous libère de la fascination qu’exerce sur nous l’État dans le champ éducatif, et dénonce la coupable nocivité pratique de l’idéologie égalitariste.
Anne Coffinier
(1) Ce socle, dont une nouvelle mouture entre en vigueur cette rentrée, est défini à l’annexe du présent texte : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html&cid_bo=87834#socle_commun
(2) Vincent Peillon, La Révolution française n’est pas terminée, Seuil, 2008, p. 17.
(3) Lire Yves Morel et Godefroy de Villefollet, En finir avec l’école républicaine, DMM, 2016, 128 pages.
Le hors-contrat au service des écoles sous contrat
Le contrat est conclu par classe, non pour un établissement pris dans sa globalité. Ainsi, en pratique, sans que ce soit très connu, nombre d’établissements privés dits sous contrat comportent des classes hors contrat. Leurs raisons d’être ? Accueillir tous les enfants qui le souhaitent, notamment pour éviter de séparer des fratries, alors que les classes sous contrat sont pleines mais que le Rectorat leur refuse d’en ouvrir de supplémentaires sous contrat ; donner des cours non dispensés dans les écoles publiques : cours de culture classique, comme à Saint-Jean-de-Passy, cours de catéchisme ou de culture religieuse, ou pour la rentrée prochaine, maintenir des heures d’enseignement de latin ou français, malgré la fin de leur financement par l’État en raison de la réforme du collège. Gageons que cette expérimentation de la liberté pédagogique, même réduite, sera bénéfique aux écoles sous contrat.
A.C.
© LA NEF n°284 Septembre 2016