Le 16 octobre 2016, le pape François a canonisé à Rome la carmélite dijonnaise Élisabeth de la Trinité, béatifiée par Jean-Paul II en 1984. Présentation de sa spiritualité trinitaire.
Octobre 2016 : canonisation d’Élisabeth de la Trinité (1880-1907). Enfin ! Reconnaissance tardive, tant le culte de la carmélite dijonnaise était éclipsé par le rayonnement de Thérèse de Lisieux avant elle, et d’Édith Stein après. Dans l’ombre de ces deux géantes, Élisabeth gagne pourtant à être connue. Il peut sembler incongru qu’un dominicain évoque Élisabeth de la Trinité. Rien de plus naturel pourtant. De son vivant, le P. Vallée, op, prédicateur fameux, introduit Élisabeth dans une meilleure compréhension des mystères qu’elle contemple. Après sa mort, le P. Philipon, op, théologien et expert à Vatican II, publie dès 1933 La doctrine spirituelle d’Élisabeth de la Trinité, ouvrage de référence encore aujourd’hui qui fait connaître Élisabeth dans le monde entier.
L’œuvre et la vie d’Élisabeth trouvent leur expression parfaite dans l’Élévation à la Trinité, prière rédigée en 1904. On comprend d’emblée, à sa lecture, pourquoi Élisabeth a conquis les P. Vallée et Philipon mais aussi Hans Urs von Balthasar, Louis Bouyer, Charles Journet… Dans cette prière comme dans ses autres écrits, elle s’attache moins à la description subjective des états spirituels traversés – ce qui est le génie propre de Thérèse d’Avila – qu’à la saisie objective des mystères contemplés. Avec elle, non seulement le psychologique ne prend jamais le pas sur le théologal, ce qui est une des clés de la vie spirituelle, mais le mystique est toujours l’épanouissement du théologique.
La dynamique de l’Élévation est donc théologale et doctrinale : elle commence dans la Trinité par l’invocation « Ô mon Dieu, Trinité que j’adore », et s’y achève par ces mots : « Ô mes Trois, mon Tout ». Entre les deux, Élisabeth s’adresse successivement au Christ incarné, au Verbe éternel, à l’Esprit-Saint. C’est tout le mouvement d’exitus/reditus qui façonne l’histoire du salut, de la Trinité créatrice à la Trinité habitant dans l’âme des saints dès ici-bas, puis en plénitude au Ciel. C’est là le mystère qui fait vibrer l’âme contemplative d’Élisabeth. Lexique musical car, pianiste douée, Élisabeth veut être une louange de gloire (laudem gloriae est son surnom qu’elle affectionne), un instrument vibrant sous le doigt de Dieu. C’est que l’âme est le lieu même des opérations trinitaires : « Vis au-dedans, avec Eux, dans le ciel de ton âme ; le Père te couvrira de son ombre, mettant comme une nuée entre toi et les choses de la terre pour te garder toute sienne. Il te communiquera sa puissance pour que tu l’aimes d’un amour fort comme la mort ; le Verbe imprimera en ton âme comme en un cristal l’image de sa propre beauté, afin que tu sois pure de sa pureté, lumineuse de sa lumière ; l’Esprit-Saint te transformera en une lyre mystérieuse qui, dans le silence, sous sa touche divine, produira un magnifique cantique à l’Amour. »
Héritière de la tradition carmélitaine, Élisabeth sait que le silence est la condition de cette inhabitation trinitaire. Pour pouvoir écrire dans sa correspondance : « J’ai trouvé mon ciel sur la terre, puisque le ciel c’est Dieu, et Dieu est en mon âme », il faut d’abord « s’oublier entièrement », comme elle le demande au début de l’Élévation.
Élisabeth se sent d’ailleurs une vocation toute spéciale pour aider les âmes contre la tendance à l’introspection et contre le tumulte intérieur de la vie moderne : « Il me semble qu’au ciel ma mission sera d’attirer les âmes en les aidant à sortir d’elles-mêmes, pour adhérer à Dieu par un mouvement tout simple et tout amoureux ; de le garder en ce grand silence du dedans qui permet à Dieu de s’imprimer en elles et de les transformer en lui. » Les thèmes classiques de la passivité et de l’abandon affleurent, mais contre une mauvaise compréhension de Thérèse de Lisieux, Élisabeth réhabilite la valeur d’un effort de la volonté dans la vie chrétienne, même mystique (remarquable récurrence du « je veux » dans l’Élévation). Il en va de la consistance des causes secondes et de la réponse libre de l’homme face aux sollicitations de la grâce, contre le quiétisme facile qui envahit la prédication contemporaine.
Élisabeth marque aussi par l’équilibre entre son audace à se situer d’emblée au sein même de la Trinité et son christocentrisme tout carmélitain. Là encore, la dynamique de l’Élévation est éloquente : si les points de départ et d’arrivée sont dans la Trinité, c’est par le Verbe incarné qu’Élisabeth commence l’alternance de louange et de supplication qui caractérise sa prière, selon un rythme emprunté tant aux psaumes qu’au Pater. C’est du Christ crucifié qu’il s’agit, à qui elle veut par sa vie conférer une « humanité de surcroît ». Spiritualité incarnée, qui dessine un itinéraire de sainteté aux accents pauliniens : « Je vous demande de me revêtir de vous-même, d’identifier mon âme à tous les mouvements de votre âme, de me submerger, de m’envahir, de vous substituer à moi, afin que ma vie ne soit qu’un rayonnement de votre Vie. » Ce chemin-là, Élisabeth l’a parcouru comme un trait de feu jusqu’à sa mort, à 26 ans, devenant un modèle pour entrer dans l’intimité de la Trinité.
Père Jean-Thomas, op
© LA NEF Novembre 2016