L’abbé Arnaud Devillers, ancien supérieur de la Fraternité Saint-Pierre aux États-Unis, ancien supérieur général (2000-2006), est aujourd’hui curé de la paroisse Sainte-Rose de Lima à Quincy dans l’Illinois. Il connaît bien les catholiques américains dont il nous parle ici.
La Nef – Vous êtes le curé d’une paroisse du Middle West : comment un Français s’est-il retrouvé dans un lieu si improbable ?
Abbé Arnaud Devillers – Mon premier contact avec le Middle West américain remonte à 1985 ; c’est mon premier apostolat. Lorsque la Fraternité Saint-Pierre est fondée, je la rejoins en mai 1989. Je passe ensuite deux ans en Allemagne, au séminaire international de Wigratzbad, y enseignant la théologie.
En septembre 1991, je suis envoyé par mes supérieurs pour développer la Fraternité Saint-Pierre aux États-Unis. Nous n’étions alors que deux prêtres. Après quelques mois à Manhattan (New York City), je rejoins mon collègue à Dallas en janvier 1992. Tant à New York qu’à Dallas, je voyage beaucoup pour faire connaître la Fraternité Saint-Pierre en particulier auprès des évêques. C’est une tâche ardue et les résultats se font attendre. Au début de l’année 1992, je suis quelque peu découragé. Sur les conseils d’un prêtre de rite ukrainien, je demande à nos amis et bienfaiteurs de faire une neuvaine à l’Immaculée Conception et à saint Michel Archange. Marie est patronne des États-Unis sous ce vocable.
Son effet ne se fait pas attendre. À peine deux mois se passent qu’en avril 1992, nous recevons deux invitations d’évêques. Au mois de novembre 1992, je m’installe dans le diocèse de Scranton, dont l’évêque, Mgr Timlin, nous sera toujours d’un soutien sans faille. En juin 2000, nous sommes présents dans plus d’une vingtaine de diocèses avec déjà presque une quarantaine de prêtres.
De juillet 2000 à novembre 2008, je suis successivement en Allemagne, en Suisse et en Italie. En 2008, mes supérieurs me renvoient dans le Middle West, dans une petite ville de 40 000 habitants, Quincy, sur les bords du Mississipi. L’évêque nous confie une belle église construite en 1912 mais fermée depuis 2005. Un peu plus de 120 familles pratiquent régulièrement dans notre paroisse. La paroisse (depuis 1896) et l’église (depuis 1912) sont sous le patronage principal de sainte Rose de Lima, la première sainte des Amériques, morte en août 1617.
Comment caractériseriez-vous les catholiques américains ?
Les catholiques américains en général sont sans doute plus pratiquants et plus fervents que les Français. Il n’est pas rare, notamment dans le Middle West, de trouver des diocèses avec des taux de pratique proche de 50 %. La paroisse américaine est très vivante. Les fidèles se rencontrent non seulement après les messes dominicales mais pour toutes sortes d’activités : banques alimentaires, repas pour les pauvres, boutiques d’habillement d’occasion, repas paroissiaux, pique-niques, enfants de Marie, tiers ordres, catéchisme… Par exemple, chaque année, pour la saint Patrick (17 mars), nous nourrissons plus d’un millier de personnes dans une atmosphère décontractée et familiale.
Les catholiques immigrants ont constitué pendant longtemps la classe ouvrière. Ils étaient souvent victimes d’ostracisme par la bourgeoisie protestante. Le Ku Klux Klan, par exemple, n’était pas seulement anti-noir mais aussi anticatholique. Ce n’est que dans la seconde partie du XXe siècle que les catholiques ont été considérés comme citoyens à part entière, en particulier avec l’élection de J.F. Kennedy. Aujourd’hui les catholiques sont de toutes les classes sociales. Par exemple, les candidats républicain et démocrate à la vice-présidence sont catholiques. Cinq des huit juges de la Cour suprême le sont également.
Vous avez été six ans supérieur général de la Fraternité Saint-Pierre : quel regard portez-vous sur cette expérience ?
Lorsque je fus nommé supérieur général en 2000, la Fraternité traversait une crise. Ma mission était de ramener la paix. Certains l’ont décrite comme une mission impossible. J’ai essayé de calmer les esprits. Les nouvelles fondations religieuses connaissent souvent des crises analogues. La crise n’avait pas empêché la Fraternité de croître et de s’étendre. Mon successeur, M. l’abbé John Berg, supérieur général depuis dix ans, semble avoir les choses en main.
La crise de l’époque était surtout franco-française. Elle n’affectait guère l’Amérique du Nord. Cela explique peut-être pourquoi aujourd’hui plus d’un tiers des prêtres et diacres et 40 % des séminaristes sont de nationalité américaine (50 % avec le Canada et le Mexique). Autrefois c’était la nationalité française qui était majoritaire. Les divisions affaiblissent.
Les évêques américains sont-ils intervenus dans la campagne présidentielle ?
Les évêques américains ne peuvent soutenir un candidat politique sans risquer de faire perdre à l’Église catholique non seulement certains avantages fiscaux mais également des subventions importantes pour leur action caritative, comme les banques alimentaires et l’aide aux réfugiés. La Conférence des évêques, cependant, à mis au point des règles précises pour aider les catholiques à faire leur choix. La question de l’avortement prime sur toutes les autres. On doit voter pour le candidat pro-life s’il y en a un. Dans la course à la Maison Blanche cette année, seul le candidat républicain Donald Trump est pro-vie. La conclusion semble s’imposer. La question se complique un peu du fait de la personnalité flamboyante de Trump, de certaines déclarations inquiétantes et de ses prises de position sans nuances. Le grand enjeu de cette élection n’est pas seulement la présidence du pays, mais l’orientation de la Cour suprême de justice. Depuis la mort d’Antonin Scalia, il manque un juge et il sera nommé par le prochain président.
Historiquement les catholiques votaient pour le parti démocrate, le parti des minorités. Certains catholiques votent toujours pour des démocrates, favorables à l’avortement, à force d’habitude bien qu’ils n’y soient pas eux-mêmes favorables…
Comment analysez-vous la situation économique et sociale des Américains, percevez-vous notamment la paupérisation des classes moyennes et l’exaspération contre le « système » qui ont fait le succès de Bernie Sanders et Donald Trump ?
Ma paroisse se trouve dans la partie ancienne et pauvre de la ville. Je suis appelé à venir en aide à des familles en situation difficile. Depuis hut ans que je suis ici, les banques alimentaires nourrissent de plus en plus de familles chaque année. Les écoles publiques doivent commencer la journée scolaire en donnant un petit-déjeuner gratuit, sans parler du déjeuner et ce même pendant les vacances scolaires ! La situation des pauvres a empiré sous la présidence d’Obama. Cela devient une charge de plus en plus lourde pour les petites entreprises et les travailleurs, en particulier ceux sans qualification. Il y a de plus en plus de gens qui ont une mentalité d’assistés et qui pensent que tout leur est dû.
Aux États-Unis, les chrétiens pro-vie sont très organisés et pèsent sur la vie politique : est-ce un aspect perceptible au niveau d’une paroisse comme la vôtre ?
Notre paroisse est trop petite pour organiser ses propres activités, mais nos paroissiens participent volontiers aux activités pro-vie à tous les niveaux : ville, diocèse, État, nation. Les avortements ici se font rarement à l’hôpital mais dans des cliniques spécialisées. Il n’y en a pas à Quincy. Cependant, il y a une organisation pro-vie au niveau de la circonscription qui s’occupe d’informer les gens sur cette question ; elle intervient dans les établissements scolaires et au niveau politique local. Des organisations s’occupent d’aider et d’informer les femmes et jeunes filles enceintes en difficulté et facilitent l’adoption. Au niveau diocésain, il y a des prières publiques près des cliniques d’avortements. Chaque année, il y a la grande manifestation de Washington et le diocèse organise des bus pour s’y rendre. Lorsque l’État de l’Illinois a adopté le « mariage » homosexuel, notre évêque a organisé une cérémonie de réparation au cours de laquelle il y avait une prière d’exorcisme. Les fidèles se mobilisent lorsqu’une loi se profile, soit au niveau de l’État, soit au niveau national, en contactant les élus, souvent avec succès. Il faut savoir que tant l’avortement que le « mariage gay » ont été imposés par voie juridique et non par voie électorale.
Propos recueillis par Christophe Geffroy
© LA NEF n°285 Octobre 2016