« Make America great again ! » était le slogan de campagne de Donald Trump. Quels changements son élection peut-elle entraîner ? Analyse.
Après le Brexit, la gauche libérale essuie un second traumatisme. La victoire surprise de Donald Trump dans les États clés du Midwest et de la « ceinture de rouille industrielle » (Rust belt) a sonné la plupart des éditorialistes des deux rives de l’Atlantique. La presse titrait déjà sur le retour « historique » de l’épouse de l’ex-président des années 90 à la Maison-Blanche. Thérapie de groupe, séances collectives de câlins, pleurs en direct, les pires angoisses se sont étalées à Manhattan et à Sciences Po. Les vedettes du show-biz recherchaient sur Google comment s’exiler au Canada. Le New York Times a demandé pardon à ses lecteurs. Il a fallu pourtant se rendre à l’évidence : l’élection de Donald Trump n’était pas comme le croyait Laurent Sagalovitsch dans Slate, le 9 novembre au petit matin, « la fin d’un monde, la fin du monde ».
APRÈS LA VICTOIRE SURPRISE, UN RÉVEIL DIFFICILE
Côté conservateur aussi, le réveil n’est pas simple. Après les slogans, les diatribes et les attaques contre Wall Street, la Maison-Blanche et CNN, ce fut le temps de l’apaisement, de l’appel au calme et de la responsabilité. Le premier surpris par la victoire était sans doute Donald Trump lui-même. Bon nombre de promesses intenables semblaient déjà archivées dans un tiroir le soir même des résultats. Sur l’immigration, sur l’Obamacare, ou sur les grandes alliances militaires, les militants qui ont suivi la campagne de Trump s’attendaient sans doute à un « grand soir ». La poignée de main avec Barack Obama dans le bureau ovale, « un homme bien » pour le nouveau président élu, a douché la ferveur des trumpistes les plus convaincus. La satisfaction d’avoir fait barrage à Hillary et sa clique a toutefois suffi à dissiper ce sentiment de malaise. Et l’engagement confirmé de la nomination d’un juge conservateur à la Cour suprême rassure aussi l’électorat chrétien pour un moment.
Traditionnellement, les 75 jours qui séparent l’élection de l’investiture sont déterminants. Le Président a quelques semaines pour choisir ses principaux collaborateurs ; ses équipes doivent être au travail au plus vite afin de préparer les premières mesures à prendre fin janvier. Si Donald Trump est apprécié pour sa capacité à prendre rapidement des décisions, il sait aussi composer des équilibres et faire des concessions. Il a beaucoup insisté au cours de sa campagne sur sa capacité à négocier. Il vantait au passage son best-seller, L’art du Deal, bref il est avant tout pragmatique. Il a commencé à amadouer le Congrès aux mains du parti républicain et le speaker de la Chambre des Représentants, Paul Ryan. Reince Prebus, le président du Comité national républicain, a été désigné directeur de cabinet de la Maison-Blanche, un poste crucial dans la mesure où le poste de Premier Ministre n’existe pas aux États-Unis. Les milieux financiers ont vite repris leur souffle et à la Bourse de New York, le Nasdaq a clôturé en forte hausse le 9 novembre, très proche de son record. Il faut préciser que dans l’entourage de Donald Trump, se pressent déjà les principaux collaborateurs de la dérégulation financière de l’économie américaine des années 2000. Jamie Dimon, ex-PDG de JP Morgan Chase Co, adversaire de toute régulation financière est pressenti pour être secrétaire au Trésor selon Patrice de Plunkett. Pour Jamie Dimon vouloir réguler est tout simplement « puéril et anti-américain ».
VOL DE FAUCONS AU DESSUS DE LA MAISON-BLANCHE
En ce qui concerne la politique étrangère, les conseillers étaient si hétéroclites pendant la campagne qu’il a longtemps été difficile d’anticiper ce que pourrait être la diplomatie de Donald Trump. Des réalistes comme le chroniqueur de Fox news Walid Phares y côtoyaient des néo-conservateurs tels que James Woosley, ancien de la CIA et faucon membre de la Foundation for Defense of Democracies. Une partie du programme de Trump a été rédigée par l’ancien ambassadeur en Afghanistan et en Irak sous l’administration Bush, Zalmay Khalilzad. Un républicain comme Rudy Guliani, l’ancien maire à poigne de New York, est aussi dans le premier cercle : une figure du bushisme qui pourrait accéder au poste clé de Secrétaire d’État. Autre faucon de l’ancienne équipe Bush, John Bolton serait de retour. Finalement Donald Trump a tranché, c’est Michael Flynn qui présidera le Conseil à la sécurité nationale. Il va succéder à la diplomate Susan Rice. Principal conseiller du Président pour la politique étrangère et de Défense, cet ancien général, responsable du renseignement militaire de 2012 à 2014, est connu pour sa ferveur « exceptionnaliste » et sa forte méfiance de l’islam. Nationaliste américain, il croit dans la mission divine (exceptionnelle) de son pays. L’Amérique est le phare de l’humanité. Elle devra reprendre la tête du monde libre.
L’armée, en retrait après les deux mandats Obama, va revenir au premier plan de la diplomatie américaine. Dans un entretien avec le journaliste Antoine Vitkine, le général Michael Flynn a regretté que l’Amérique ne soit pas intervenue en 2013 pour renverser Bachar Al-Assad (tout en reconnaissant que la probabilité de voir des djihadistes au pouvoir aurait été très forte) ! La gauche atlantiste française, qui tremblait de voir en Trump un isolationniste qui laisserait l’Europe à elle-même, peut se rassurer ; la puissance américaine est de retour. Tout indique que l’administration Trump est déjà prête pour frapper fort au Moyen-Orient. La nouveauté est que la Russie n’est a priori plus un ennemi. Contre Daech, le général Flynn est sensible aux efforts de la Russie pour stabiliser la Syrie. En Irak, Daech est poussé dans ses derniers retranchements. La crise ukrainienne apparaît, dans ce contexte, remisée au rang de dossier secondaire.
America great again ! Ce cri du cœur de l’électorat conservateur peut se traduire en politique étrangère non pas par un retrait du monde mais au contraire par un recadrage des alliés des États-Unis, en particulier budgétaire. L’Amérique doit se réarmer et cesser de payer pour une Europe angéliste. L’US Army doit en finir avec ce califat irako-syrien, ce qui passe par un réengagement militaire au Moyen-Orient. Avec la nomination de Flynn, c’est le choix d’un net durcissement qui a été fait. Vétéran de l’Afghanistan et de l’Irak, il a été évincé pour avoir critiqué la mollesse du président Obama. Les faucons, davantage épris de puissance que des droits de l’homme, sont aux manettes pour quatre ans. Mike Pompeo prend la direction de la CIA. Élu républicain du Kansas, proche du Tea Party à la Chambre des représentants, il est lié au lobby de l’armement et de l’énergie. Il sera lui aussi très offensif dans la politique du renseignement américain. « Leading from behind » (diriger de l’arrière), la formule de Barack Obama était inconcevable pour les militaires américains comme Flynn. Que les États-Unis soient un partenaire parmi d’autres d’une coalition en Libye, en Irak ou en Syrie a été mal vécu. Pour le général Flynn, le fiasco irakien n’est pas, par exemple, dû à l’aventureuse chute de Saddam Hussein en 2003, mais au fait que les troupes du Pentagone ne soient pas restées à occuper l’Irak et à rebâtir son État. Le « nation building » à l’américaine, après une décennie de déroute financière et militaire, pourrait dès lors revenir à la mode à Washington.
NOUVELLE DONNE EN EUROPE
Donald Trump a déjà envoyé des signaux en direction de Vladimir Poutine à Moscou. En échange, le Kremlin a renouvelé ses offres de « reset », c’est-à-dire d’effacement des contentieux accumulés et de redémarrage des relations américano-russes. Trump veut replacer son effort stratégique face à la montée de la Chine. Achever le pivot asiatique en quelque sorte. Il sait qu’il aura besoin de la Russie pour contenir la poussée chinoise, même dans le pacifique. Dans ce contexte, relancer une inutile guerre froide avec la Russie n’a aucun sens. Mais il devra résister à la pression du lobby anti-russe, très forte à Washington. Pour le couple Poutine-Lavrov, de belles paroles ne suffiront pas à faire une détente. Ils attendent des avancées sur la levée des sanctions économiques. Pour cela Trump devra convaincre l’Europe de l’Est d’être plus compréhensive vis-à-vis de la Russie.
Donald Trump se tourne aussi vers Londres où Theresa May a été la première à être invitée à Washington. Et une visite d’État est déjà programmée par Elizabeth II à l’été 2017. Après quelques années de relations compliquées avec l’Angleterre, les États-Unis se rapprochent de leur plus fidèle allié. La diplomatie Trump aura là aussi à convaincre le Foreign Office et Boris Johnson d’adoucir ses positions face à la Russie, en Ukraine notamment. En revanche, le Brexit sort plutôt renforcé de cette élection américaine. La France et l’Allemagne qui ont maladroitement affiché leur mépris du candidat républicain rongent leur frein. Hollande et Merkel semblent aujourd’hui entretenir une sorte de nostalgie Obama décalée et sans issue. Heureusement pour les deux principales puissances d’Europe continentale, les élections se profilent en 2017. Une bonne occasion de remettre à plat notre diplomatie et de choisir enfin l’indépendance entre la Russie et les États-Unis.
Hadrien Desuin
© LA NEF n°287 Décembre 2016