Les catholiques sont une petite minorité au Japon aujourd’hui. Panorama d’une Église profondément marquée par le drame de Nagasaki et Hiroshima.
La petite Église japonaise qui a connu après la guerre une arrivée massive de missionnaires occidentaux s’est dotée depuis d’une organisation efficace, tout en s’efforçant, lentement mais sûrement, de s’ouvrir à l’Église universelle et de mettre en application l’esprit et les directives du concile Vatican II. Elle s’est également réformée en profondeur grâce à la tenue, à la fin des années 1980, de deux synodes nationaux inspirés des trois orientations communes aux Églises d’Asie visant à promouvoir une meilleure inculturation, une plus grande ouverture aux autres religions et un souci plus concret des pauvres. En cela, et tout en restant fidèle aux consignes et orientations venues de Rome, elle est devenue une Église authentiquement locale administrée non plus par des congrégations venues de l’étranger mais par les évêques japonais eux-mêmes au sein de la Conférence épiscopale du Japon.
Celle-ci est composée de 17 évêques, qui administrent 16 diocèses, deux étant actuellement vacants. Le dernier recensement, basé sur les registres paroissiaux, fait état de 436 505 fidèles, c’est-à-dire 0,34 % de la population. Le clergé, malgré une diminution rapide, compte encore 1357 prêtres diocésains et religieux, dont 838 locaux et 519 missionnaires originaires de l’étranger. Aujourd’hui, ceux-ci viennent pour la plupart non plus des pays occidentaux mais de toute l’Asie. On compte un prêtre pour 322 fidèles ce qui fait de l’Église japonaise l’une des plus « cléricales » du monde. Il faut ajouter à ce chiffre quelque 4972 religieuses, reliquat de l’élan des prises de voiles de l’après-guerre. L’âge moyen étant très élevé, elles se maintiennent souvent grâce au recrutement de jeunes religieuses asiatiques. Les vocations également ont baissé dramatiquement, avec une seule entrée cette année au séminaire pour tout le pays. L’Église, qui a beaucoup bâti après la guerre, gère encore 24 hôpitaux, 524 jardins d’enfants, 286 écoles et 19 universités, mais elle n’a plus le personnel suffisant pour les soutenir et cherche souvent à s’en défaire. Les laïcs, dans l’ensemble, sont très engagés dans les paroisses, mais les mouvements, qui ont connu après la guerre un essor remarquable, ont pratiquement tous disparu, laissant place à une Église presque exclusivement paroissiale gérant plus ou moins bien le vieillissement marqué de ses effectifs. La génération précédente, qui comptait de grands intellectuels et écrivains catholiques, tel le romancier Shûsaku Endô, dont le roman Silence vient d’être porté de nouveau à l’écran, est, elle aussi, en train de disparaître, ce qui nuit gravement à la visibilité et vitalité d’une Église qui se contente souvent d’une approche très gestionnaire de l’institution aux dépens de la mission.
Comme le montrent ces chiffres, l’Église, bien qu’estimée et respectée par l’ensemble de la population, perd ces derniers temps de son influence et beaucoup se demandent pourquoi ses effectifs n’augmentent pas, malgré les attentes de l’après-guerre, alors qu’au même moment les Églises voisines de Corée, Vietnam et même en Chine progressent de façon assez spectaculaire.
RAISONS D’UNE STAGNATION
Les explications sont nombreuses et varient selon l’analyse et sensibilité d’un chacun. Je privilégierai ici trois raisons basées sur ma propre perception du terrain.
1. Des raisons historiques. Au moment de l’introduction du christianisme au Japon, les gouvernants de l’époque ont perçu le christianisme comme étant soit une menace pour l’indépendance du pays, soit un germe de destruction de l’ordre établi. Cette perception, fondée ou non historiquement, reste encore ancrée dans l’inconscient de la plupart des gens, même s’ils ne l’expriment pas ouvertement. Les 240 années de fermeture totale du pays qui ont suivi le décret de prohibition de 1614 n’ont fait que renforcer cette perception. Elle a pu vaciller après la guerre, au moment où le Japon a connu un semblant d’engouement pour l’Occident, mais elle est loin d’avoir disparu et nourrit encore des mouvements nationalistes ou xénophobes plus ou moins latents. Même si, en privé, les gens disent leur admiration et parfois leur intérêt vis-à-vis de la foi chrétienne, ils gardent une distance prudente vis-à-vis de toute tentative d’endoctrinement.
2. Des raisons culturelles. Le comportement des Japonais est fondamentalement régi par une dichotomie du dire et du vrai, qui en toute occasion porte chacun non pas à dire ce qu’il pense ou ressent vraiment, mais à ce qu’il est censé devoir dire selon les règles convenues de l’entourage. Même s’il est en désaccord, un Japonais contredira rarement ce que dit un prêtre étranger, et gardera un sourire affecté jusqu’à la fin, donnant à son interlocuteur l’impression d’être compris. En fait, il se sera vite senti indisposé par l’intransigeance et le trop-plein d’assurance de ce dernier, mais il ne le dira pas, même s’il n’en pense pas moins. Shûsaku Endô a bien analysé ce genre de situation, dont le missionnaire n’est pas toujours conscient, en comparant le christianisme, religion du logos, à un habit mal taillé que les Occidentaux aimeraient imposer, mais dans lequel les Japonais se trouvent mal à l’aise. Il est sûr que les malentendus qui s’ensuivent nuisent à la réception du message chrétien.
3. Des raisons religieuses. Contrairement à l’Occident, le Japon n’a jamais connu de guerres de Religion. Shintoïsme, bouddhisme, confucianisme sont entrés en se superposant ou en s’entremêlant, jamais en s’opposant. Seule la religion chrétienne, qui s’est présentée comme une vérité exclusive des autres, a été violemment rejetée. Les Japonais pratiquent sans complexe un syncrétisme qui est parfois déconcertant. La plupart des religions nouvelles issues du bouddhisme et du shintoïsme qui se sont développées après la guerre intègrent hardiment Jésus et même de grands hommes comme Victor Hugo ou Napoléon dans leur panthéon en plus des divinités traditionnelles. Plutôt que la doctrine, elles privilégient le rite ou telle ou telle pratique, comme par exemple le balayage assidu des rues ! Le critère de crédibilité n’est pas celui du vrai mais du bien. Une religion est bonne dans la mesure où elle fait du bien et rend service aux autres. Un mari ne s’opposera pas à la conversion de sa femme si la foi chrétienne agit sur elle comme un bon médicament. Lui-même acceptera peut-être de la suivre au dernier moment, comme on prend une assurance-vie. Cette approche pragmatique dans laquelle le vrai importe moins que l’utile est évidemment peu compatible avec l’annonce chrétienne, jugée beaucoup trop intellectuelle par les Japonais.
Les raisons mentionnées ici pourraient être, à mon avis, surmontées grâce à un souci patient d’inculturation et une prise de conscience du caractère trop cérébral de la foi chrétienne. L’évangélisation se heurte cependant aujourd’hui à de nouvelles difficultés qui ne sont pas propres au Japon, celles qu’engendre un consumérisme à outrance ou l’emprise des technologies nouvelles de communication, qui tendent à susciter une crise des valeurs et celle de leur transmission aux jeunes générations. L’Église japonaise est très consciente de ces difficultés et cherche particulièrement à être davantage présente dans les médias. Plusieurs évêques ont créé leur propre blog et les paroisses sont actives sur les réseaux sociaux. Ces efforts s’accompagnent d’une réflexion approfondie sur les défis du jour pour redonner un second souffle à une Église vieillissante.
DÉFIS ET CHANCES POUR L’AVENIR
Par manque de place, je me limiterai au choix de trois de ces défis.
1. Arrivée de nombreux immigrés venus de pays catholiques. Le mouvement migratoire a commencé il y a 40 ans avec les migrants venus des Philippines et ceux d’Amérique latine qui sont la plupart descendants eux-mêmes de migrants japonais. La plupart n’étant pas inscrits sur les registres paroissiaux, ils ne sont pas comptés dans les statistiques, mais ils seraient plus de 450 000. Quatre diocèses comptent plus d’immigrés que de Japonais parmi leurs fidèles. Les migrants redonnent parfois une nouvelle vie à des paroisses moribondes. Dans les quatre paroisses vieillissantes dont j’ai la charge, tous les enfants et jeunes sont des fils ou petits-fils d’immigrés. Le défi est de les accueillir sans compromettre l’équilibre des communautés dans lesquelles les Japonais se retrouvent souvent minoritaires.
2. Engouement des Japonais pour les rites chrétiens. Si les dogmes passent mal, les rites sacramentaires de l’Église attirent beaucoup les Japonais, spécialement les mariages et récemment les funérailles. Il y a quelques années, le Japon a connu un véritable boom de mariages catholiques et certains dans l’Église l’ont perçu comme une chance pour la mission. Malheureusement, ces mariages sont devenus un commerce très juteux. Tous les grands hôtels ont maintenant une ou plusieurs chapelles avec leur propre staff qui, en dehors d’elle, plagie sans vergogne l’ordo liturgique de l’Église. Récemment, cependant, la baisse des mariages et une moindre demande compromettent ce commerce. Il reste que la participation à des rites chrétiens représente pour beaucoup de Japonais la seule occasion de contact avec l’Église et ce défi mérite que l’on y réfléchisse.
3. Engagement de l’Église dans de nombreuses actions pour la paix et la justice. L’Église japonaise a été récemment en première ligne pour défendre la Constitution pacifique du Japon et l’arrêt de toutes les centrales nucléaires après le séisme de 2011. C’est une chance pour l’annonce de l’Évangile, mais le défi reste de trouver un langage bien ancré dans l’Écriture qui atteigne vraiment le cœur des gens.
Toutes les analyses que l’on peut faire de l’Église doivent évidemment s’accompagner d’un regard de foi. Nul ne connaît le temps de la moisson. Mon sentiment est qu’il suffirait d’une étincelle pour embraser les cœurs de tous ceux qui cherchent ici un sens à leur vie. Je suis convaincu aussi que le peuple japonais, qui a été travaillé par d’éminentes sagesses et traditions spirituelles, est mieux préparé que d’autres pour accueillir le Royaume. C’est porté par cette espérance que le missionnaire, sans se décourager, continue de répandre la semence de la Parole.
Père Olivier Chegaray
Le Père Olivier Chegaray, des Missions Étrangères de Paris (MEP), est missionnaire au Japon depuis près de cinquante ans ; il a la charge de quatre paroisses dans une région à prédominance rurale où vivent de nombreux immigrés.
© LA NEF n°289 Février 2017