Le Motu proprio Summorum Pontificum présente d’un point de vue canonique un triple intérêt. Tout d’abord, il a fait passer la célébration de la forme extraordinaire d’une logique d’indult ou de tolérance à celle d’un droit qui doit être respecté par tous. Déjà en 1988, saint Jean-Paul II définissait un droit pour les fidèles : « A tous ces fidèles catholiques qui se sentent attachés à certaines formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine, je désire aussi manifester ma volonté – à laquelle je demande que s’associent les évêques et tous ceux qui ont un ministère pastoral dans l’Église – de leur faciliter la communion ecclésiale grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs aspirations. » Cependant nous restions alors dans la logique d’un indult, d’une dispense, le « relâchement de la loi purement ecclésiastique dans un cas particulier » (canon 85). Autrement dit il n’y avait pas une suffisante correspondance entre, d’une part, le droit défini, et, d’autre part, la forme juridique qui garantit ce droit, à savoir un indult. Le Motu proprio a réalisé un double mouvement :
– d’une part il a fait droit aux demandes légitimes des fidèles Ecclesia Dei en leur donnant toutes les garanties juridiques que ce droit serait respecté ;
– d’autre part, il a en quelque sorte universalisé les premières mesures de 1984 puis de 1988, en manifestant le caractère public et général de décisions touchant au gouvernement de la liturgie. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement de garantir les droits d’une portion du peuple de Dieu, mais bien de mettre à la disposition de l’ensemble des fidèles la forme extraordinaire de l’unique rite romain.
Un deuxième point mérite d’être souligné : les modalités concrètes d’application du Motu proprio sont désormais de la responsabilité non pas directement de l’évêque, mais du curé paroissial : « Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la Messe selon le rite du Missel romain édité en 1962 » (article 5, § 1). Cette mesure est importante car elle entre dans le cadre plus général de la nécessaire revalorisation de la charge curiale, rendue plus urgente encore par le remodelage pastoral que connaissent la plupart de nos diocèses. Le texte prévoit aussi une possibilité de recours administratifs possibles lorsque les fidèles, ce qu’à Dieu ne plaise, sont en but à la mauvaise volonté du curé, voire de l’Évêque.
On notera enfin l’originalité de la solution trouvée à propos des rapports entre la liturgie élaborée à la suite du concile et l’usus antiquior. Jusque-là, beaucoup d’auteurs affirmaient la continuité dynamique et le développement homogène de la liturgie romaine. Mais en affirmant qu’il ne s’agissait que de la nouvelle version du missel romain, on ne comprenait pas très bien pourquoi le missel de 1962 ne pouvait plus être utilisé sans une autorisation spéciale (il n’est guère besoin d’une autorisation spéciale de l’autorité lorsqu’on célèbre la nouvelle liturgie dans sa première version, celle de 1970). Si la réforme liturgique avait abouti à un nouveau rite, alors on allait directement contre la volonté du Concile qui affirmait ne vouloir supprimer aucun rite liturgique… Nous avons donc affaire ici à un seul rite romain, mais en deux formes, ou deux versions, l’une et l’autre légitimes et authentiques.
L’élaboration d’une pareille solution canonique permet de protéger, voire de valoriser le droit des fidèles et le patrimoine spirituel de l’Église.
Père Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jussé
Supérieur général des Serviteurs de Jésus et de Marie
© LA NEF n°294 Juillet-août 2017