Daech et l’islam

J’ai vu le jour dans une famille musulmane. Mon éducation, mon encadrement se sont faits dans un milieu totalement musulman. Mon père et la plus grande partie de ma famille sont encore musulmans alors que je rédige ce livre. Je n’ai jamais cessé d’aimer ma famille, tout comme j’aime mon pays. Mais j’ai dû le quitter. Je ne l’ai pas quitté par plaisir, j’y ai été contraint. […] Quand je vois ces actes terroristes, ces massacres qui ensanglantent le monde, je me pose des questions et je me dis : mon père était l’imam de notre village. Sa vie était totalement consacrée à sa religion. Pour conduire la prière de l’aube, il se levait tôt chaque jour, même durant les nuits froides de l’hiver. Est-il possible de qualifier cet homme de terroriste uniquement parce qu’il est musulman ? […] En face, peut-on dire que les membres de Daech, al-Qaeda, Boko Haram, Taliban, et tant d’autres organisations islamistes, ne sont pas musulmans ? N’attestent-ils pas qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et que Mahomet est son messager ? Ne font-ils pas la prière ? Ne jeûnent-ils pas ? N’appliquent-ils pas les préceptes que leur prescrit leur religion, des plus délicats aux plus atroces ? […] Dans ce cas, comment peut-on dire qu’ils ne sont pas des musulmans et qu’ils ne représentent pas l’islam ?
Ce problème se pose à l’Orient comme à l’Occident. Il se pose aux médias, aux experts, aux hommes politiques et aux gens du commun. Mais pour être élus, les politiciens s’empressent d’innocenter l’islam chaque fois qu’une opération terroriste est commise en son nom. […] Le pire, c’est quand les musulmans se mettent à défendre leur islam avec acharnement, et à l’absoudre de tout terrorisme, répétant : « Les organisations terroristes ne représentent pas l’islam ». […] Les défenseurs de l’islam donnent de cette religion une vision très particulière. Selon eux, le djihad est un effort spirituel intérieur que doit faire le croyant. Selon eux, l’islam ne fait la guerre que quand il est agressé, et son nom dérive du mot silm qui signifie pacifisme. Selon eux, l’islam n’a été révélé que pour répandre la sécurité et la paix. Selon eux, des gens biaisés ou mal intentionnés ont défiguré l’image de l’islam à travers l’histoire. Dans ce cas, que dire des conquêtes islamiques du premier siècle de l’islam (VIIe s.), qui ont abouti à la création de grands empires islamiques ? Ces conquérants auraient-ils mal compris l’islam ? […] Et l’on fait taire ceux qui critiquent cette religion et ses croyants. On les traite d’islamophobes incitant à la haine et au racisme. […] À mes lecteurs musulmans je veux dire que l’objet de ce livre est de faire la lumière sur la cause de nos problèmes et de nos souffrances en tant que peuples musulmans. Car, culturellement, j’appartiens toujours à la nation islamique, même si un autre choix a changé ma vie. Je voudrais mettre le doigt sur la plaie. Si je fais cela, ce n’est pas parce que je hais le blessé, mais parce que je désire sa guérison. Mais le malade ne peut vouloir guérir s’il ne connaît pas son mal et s’il n’a pas la volonté d’y faire face, avec courage.
Et à mes lecteurs non-musulmans, je voudrais faire partager mon expérience d’un islam vu, respiré, vécu dans une famille conservatrice. […]

NÉCESSITÉ DE COMPRENDRE L’ISLAM
Que les politiciens cessent de jouer aux maîtres d’école coranique et de nous enseigner, à nous qui avons été élevés dans l’islam, ce qu’est l’islam et ce qu’il n’est pas. […] Je dis tout simplement à ces hommes politiques qu’ils peuvent condamner les terroristes, mais qu’ils laissent l’interprétation de l’islam à ceux qui sont qualifiés pour le faire. Jugez le terrorisme, mais ne condamnez pas l’islam et ne le dédouanez pas. Ce n’est ni votre rôle ni votre domaine de spécialisation. C’est une tâche qui incombe aux musulmans et à ceux qui sont nés et ont été élevés et formés dans l’islam. […] Pour comprendre Daech ou le groupe de l’État Islamique au Levant, il faut d’abord comprendre l’islam avant la politique et la géographie. Daech n’est pas une structure politique pure. Son essor fondamental est religieux. Sa doctrine de combat est également religieuse. Ceux qui ont été recrutés pour rejoindre Daech et ceux qui ont été incités à le faire, ont trouvé dans la religion un rôle déterminant pour s’en convaincre. […] Ceux qui cherchent à traiter avec ce groupe en vue de le combattre, se trompent. Prétendre que la religion n’est pas le fondement de Daech mais simplement un de ses facteurs, révèle la naïveté occidentale dans le traitement du terrorisme. Il est dommage que les responsables de ce dossier ne saisissent pas la gravité de cette option et n’y voient pas une fausse piste. Ils se trompent lourdement dans leur approche et se font ainsi les alliés, voire les complices du terrorisme, dont ils retardent la fin alors même qu’ils lui font la guerre. Ce faisant, ils aggravent sa situation au risque de la voir déborder de ses limites et devenir incontrôlable. La maladie ne sera pas guérie si l’on n’en trouve pas les causes. Tenter de combattre Daech sans comprendre l’islam, c’est comme tenter d’éradiquer l’épidémie d’Ebola sans diagnostiquer la nature de son virus ni la manière de sa transmission entre les humains.

Frère Rachid

Frère Rachid, Marocain converti au christianisme, est l’un des « télévangélistes » les plus reconnus au Proche-Orient. Il vient de publier Daech et l’islam. L’analyse d’un ex-musulman, traduit de l’arabe par Maurice Saliba, Water Light Publishing et la Fédération des Nord Africains Chrétiens en France (FNACF), 2017, 426 pages, 25 €. Nous publions ici en exclusivité des extraits de l’introduction de ce livre. Pour le commander, FNACF, 5 rue d’Arcueil, 92120 Montrouge. Tél. 06 36 35 32 52.

© LA NEF n°292 Mai 2017