Le comité consultatif national d’éthique a rendu, en juin dernier, un avis favorable à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes célibataires et les couples de femmes. Pour ces femmes, il s’agit de se faire inséminer par des donneurs de manière à avoir un enfant sans composer avec un homme. Pour l’enfant, ces PMA signifient être privé de père, tout simplement. Certains objecteront qu’un donneur n’est pas un père mais, si tel est le cas, l’enfant n’en est que plus et encore mieux privé de père.
Cet avis pose une question simple, mais cruciale : est-il indifférent d’avoir un père ou de ne pas en avoir ? Les femmes qui revendiquent ces inséminations veulent croire que la filiation n’a rien à voir avec l’engendrement de l’enfant et que seule compte la volonté, l’intention d’être parent. Pourtant, laquelle d’entre elles accepterait de quitter la maternité avec un autre enfant que le sien ? Il apparaît que l’engendrement de l’enfant n’est peut-être pas si indifférent que cela.
Il est acquis que la filiation ne se réduit pas à la biologie et que l’engendrement auquel elle renvoie l’enfant, s’il est le plus souvent biologique, peut être aussi symbolique. L’adoption fonctionne sur ce schéma symbolique mais, de façon plus courante, on ne vérifie pas la paternité du mari ou de l’homme qui reconnaît un enfant. Encore faut-il pourtant que les parents offrent à l’enfant un cadre rendant possible la mise en place de ce schéma symbolique, autrement dit un cadre cohérent avec les exigences de la biologie pour la procréation. Or deux femmes, pas plus que deux hommes, ne peuvent indiquer à l’enfant une origine, pas même symbolique. En dépit du mot filiation employé comme si de rien n’était, cette prétendue filiation indique à l’enfant des responsables légaux, des adultes référents mais ne peut lui désigner des parents.
Le comité d’éthique invite donc le législateur (cet avis n’a rien d’obligatoire) à organiser une conception privant d’abord l’enfant de père, pour le doter ensuite d’une filiation incohérente, incapable de jouer le rôle attendu de la filiation. Rien que cela. Mais, qu’on se rassure, le comité se déclare dans le même temps toujours contre la gestation pour autrui (GPA). Sachant qu’il se prononçait en défaveur de la PMA sans père en 2005, combien de temps lui faudra-t-il pour retourner aussi sa veste sur la GPA ? Sans doute beaucoup moins car la Cour de cassation prépare méthodiquement le terrain comme l’ont encore illustré plusieurs décisions rendues en la matière le 5 juillet dernier.
Entre autres choses, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence spectaculaire bien que minimisé pour admettre l’adoption de l’enfant issu de la GPA par le conjoint de son père : elle permet ainsi à deux hommes de priver délibérément un enfant de sa mère, c’est le but de la GPA, pour laisser la place libre pour le « mari » du père.
Après avoir admis dans deux avis du 22 septembre 2014 que l’« épouse » de la mère pouvait adopter l’enfant délibérément privé de père par PMA réalisée à l’étranger, l’adoption par le conjoint du père de l’enfant obtenu par GPA était hélas prévisible. N’est-il pas urgent que l’adoption cesse de servir de prétexte à ces bricolages procréatifs ? Rappelons-le, martelons-le : l’adoption est une institution au service de l’enfant, qui ne prive l’enfant de rien mais intervient au profit d’un enfant privé, par les malheurs de la vie, de son père, sa mère ou les deux. Au contraire, ces PMA et GPA privent l’enfant d’un de ses parents pour le rendre disponible au projet d’autrui, autrement dit organisent, provoquent ce que l’adoption vise à réparer.
Le Code civil issu de la loi Taubira admet que deux hommes ou deux femmes soient ensemble parents d’un même enfant. Mais modifier le Code civil ne change pas la réalité qu’un enfant est toujours issu d’un homme et d’une femme, et la fabrication prévue et annoncée d’enfants sans père ou sans mère pour réaliser cet artifice de l’homoparenté se met en place. Ces PMA et GPA, encore illégales, sont pour l’instant réalisées à l’étranger mais les médias ne devraient pas tarder à s’indigner de ce que seuls les riches puissent se payer des inséminations, des mères porteuses et finalement des enfants à l’étranger.
Pour autant, si la machine est bien huilée, il serait trop facile de se résigner devant une prétendue fatalité. Il est encore temps pour nos députés et nos concitoyens de réaliser ce que signifient réellement ces pratiques pour les enfants. Il faudrait pour cela que quelqu’un le leur explique et cette tâche est l’affaire de tous, à l’occasion d’une conversation en famille, chez le coiffeur ou dans un train et, pourquoi pas, un courrier à son député. La machine est bien huilée mais chacun peut être un grain de sable qui enraie le processus sans rien lâcher jusqu’à ce que la raison, c’est bien le cas de le dire, reprenne ses droits.
Aude Mirkovic
Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé et auteur de PMA-GPA : quel respect pour les droits de l’enfant ? (Téqui, 2016) et En Rouge et Noir (Éditions Scholae, 2017).
© LA NEF n°295 Septembre 2017