Tugdual Derville © Christophe Damaggio

Fin de vie : anticipons le débat

L’offensive « sociétale » des promoteurs de l’euthanasie est continue. Elle force presque l’admiration. Nous devons être vigilants. Ils tablent sur 2018 pour imposer leur loi en France.
Technique éprouvée : exploiter des cas et miser sur l’émotion pour dissimuler la réalité. J’ai décrypté en 2012 sept affaires emblématiques qui ont manipulé l’opinion (1). On était en plein procès du docteur Bonnemaison, qui avait euthanasié des patients âgés en marge d’un service d’urgence… Deux catégories de situations sont montées en cheval de Troie de l’euthanasie. À chaque fois, l’emballement audiovisuel trompe l’opinion.
D’abord la grande dépendance. Quatorze ans après son euthanasie, l’histoire de Vincent Humbert et de sa mère Marie est presque oubliée. C’est un autre Vincent (Lambert), lui aussi très dépendant, qui défraye la chronique… Mais quel contraste dans le traitement médiatique fait à chacune de leurs deux mères ! Mme Humbert fut sciemment présentée comme catholique ; Mme Lambert est taxée d’intégrisme. On a encensé Mme Humbert comme une « mère courage » pour avoir voulu faire mourir son enfant la veille de la sortie du livre qui lui était attribué, après l’avoir annoncé à la télévision (seul le kinésithérapeute du jeune homme a osé contester son geste…). On blâme Mme Lambert qui réclame le maintien de l’alimentation et de l’hydratation de son fils et son transfert dans un établissement dédié aux patients EVC-EPR (état pauci-relationnel ou neurovégétatif). Il y bénéficierait, notamment, d’une kinésithérapie adaptée. Qui sait que quelque 1700 autres personnes en France vivent dans un état comparable, soignées et entourées en toute discrétion ? Et qui s’en soucie ?
La technique de « l’exil pour mourir » est l’autre grande arme des pro-euthanasie. Oubliés, le suicide ultra-médiatisé, en Suisse, en 2007, de la comédienne Maïa Simon, atteinte d’un cancer, et son interview post-mortem orchestrée par RTL ! Dix ans plus tard, un auteur de romans érotiques a pris le relais. Anne Bert s’est rendue en Belgique pour y obtenir en octobre l’euthanasie revendiquée. Atteinte de la maladie de Charcot, elle avait dit préférer mourir que de dépendre d’autrui pour les repas et la toilette. Son éditeur avait aussi planifié avec elle la sortie de son tout dernier livre (2) au lendemain de son suicide. Au risque, à nos yeux, d’enfermer la pauvre Anne Bert dans cette issue médiatisée.
Jusqu’à présent, malgré la pression et certaines ambiguïtés, les gouvernants français ont à peu près trouvé la parade : « On ne légifère pas sous le coup de l’émotion » ou « Un cas ne fait pas loi ». De son côté, la presse écrite a pu rétablir la vérité, par exemple sur Chantal Sébire. Cette femme, qui souffrait en 2008 d’un spectaculaire esthésioneuroblastome, avait refusé de se faire opérer. Révélation : contrairement à ses assertions médiatisées elle n’était pas allergique à la morphine !
Parfois, la justice a fini par faire la lumière sur l’abus des actes d’euthanasie, mais tout cela sans jamais compenser l’impact médiatique de chaque affaire à ses débuts.
Voilà comment les Français en sont arrivés à croire au choix truqué qu’on leur assène : il leur faudrait choisir entre « souffrir » et « mourir ».
Pourtant le mouvement des soins palliatifs s’étend. Il montre qu’on peut être accompagné, pris en compte dans ses douleurs physiques et ses souffrances morales, sociales et spirituelles jusqu’au terme de sa vie, sans lui porter atteinte. Bref, être soulagé sans être tué.
De plus en plus de personnes handicapées ont aussi pris la parole, avec leurs proches. Axelle Huber témoigne (3) magnifiquement de l’accompagnement de son mari Léonard, lui aussi atteint de la maladie de Charcot. Leur lutte contre le mal ne s’est jamais faite complice de la mort. Le moment venu, ils y ont consenti. Quand les médias ont présenté le suicide d’Anne Bert comme un acte admirable, des associations de patients ont protesté : faudrait-il exalter un « courage » de mourir pour éviter la dépendance, et occulter le courage de vivre avec la dépendance dont témoignent tant de personnes atteintes de la même maladie, leurs proches et leurs soignants ?
Pour favoriser le respect de la vie jusqu’à son terme, Alliance VITA diffuse un nouveau Guide des directives anticipées (4) qui renvoie dos-à-dos acharnement thérapeutique et euthanasie. Lancé par mille volontaires, dans le cadre d’une campagne nationale Anticipons avant de mourir, il répond au désir de chacun d’être soigné et aimé jusqu’au bout. À faire connaître, largement.

Tugdual Dervile

(1) La bataille de l’euthanasie, Salvator, 2012.
(2) Le tout dernier été, Fayard, 2017.
(3) Si je ne peux plus marcher, je courrai !, Mame, 2016.
(4) www.directivesanticipees.sosfindevie.org

© LA NEF n°298 Décembre 2017