Saint Jean Chrysostome, alors même qu’il est exilé et persécuté, nous offre une belle leçon spirituelle sur la façon de conserver une parfaite sérénité dans les épreuves.
Le 20 juin 404, l’empereur Arcadius envoie saint Jean Chrysostome en exil, à Cucuse, au milieu de nulle part. Il a été le plus célèbre prédicateur de l’Orient. Il a été l’un des principaux personnages de l’Empire. De la façon la plus injuste qui soit, il a été chassé de son siège de patriarche de Constantinople. Il n’est plus rien, il n’a plus rien, il est considéré comme un criminel par les autorités, et il est très malade. Or cet homme-là va écrire deux opuscules, ses derniers textes, qui sont deux joyaux de spiritualité chrétienne, expliquant à ceux qui souffrent de son absence pourquoi et comment on doit conserver la plus parfaite sérénité dans les épreuves.
Le premier est intitulé : Nul ne peut nuire à celui qui ne se fait pas de tort à lui-même ; et le second : A ceux qui se scandalisent.
Le premier s’adresse d’abord à Olympias, sa grande amie, elle aussi exilée. La « diaconesse » Olympias était à la tête d’une communauté de religieuses établie dans le bâtiment jouxtant le palais épiscopal. Jean s’occupait de la vie spirituelle des religieuses, et Olympias lui préparait ses repas, sachant ce que ses maux d’estomac lui permettaient de manger. Or Olympias, en exil, tomba dans une terrible dépression, envoyant à Jean des lettres désespérées. Celui-ci lui répondait assidûment, et il eut l’idée de reprendre des éléments de ces lettres pour en faire une sorte de traité, qui pourrait servir à tous ceux qui souffraient du même mal.
Le titre est un parfait résumé du texte. Au bout de quelques pages l’auteur va ajouter que « non seulement personne ne subit de tort de la part d’autrui, mais encore que ceux qui prennent garde à eux-mêmes en tirent grand profit ». Et aussi que « ceux qui subissent le plus de tort sont les auteurs des injustices ».
Jean va prendre des exemples dans la Bible. Il commence par Job, bien sûr : Job a accepté ce qui lui arrivait, et en conséquence il n’a pas subi de tort, au contraire il y a gagné, parce qu’il a su supporter l’épreuve.
Il évoque ainsi tour à tour les Apôtres, le pauvre Lazare, Joseph vendu par ses frères, saint Paul qui se réjouit et se glorifie dans ses épreuves…
Par contraste il montre ensuite que les bienfaits de la richesse sont de faux bienfaits, que la vie de plaisirs conduit à la maladie et à la mort, que le riche prend la flatterie pour de la considération, que tout autour de lui n’est qu’illusion…
Puis il fait un superbe commentaire de la parabole de la maison construite sur le roc et la maison construite sur le sable : aucune tempête ne peut nuire à celui qui se tient sur les fondements de la vertu et de la foi, mais le moindre vent de contrariété met à bas celui qui se laisse aller.
Et il termine par l’exemple des trois jeunes Hébreux dans la fournaise, qui tiennent une grande place dans la liturgie byzantine. Ces trois jeunes gens étaient en exil, ils étaient soumis à des diktats contraires à leur religion, mais ils restèrent forts et ils vainquirent le plus grand roi de la terre, et aujourd’hui partout on chante leur cantique de victoire.
Dans le second opuscule, A ceux qui se scandalisent, Jean s’adresse d’abord aux chrétiens de Constantinople qui lui sont restés fidèles et qui sont persécutés : considérés comme schismatiques, ils ne peuvent se réunir qu’en dehors de la ville, tandis que triomphent un patriarche indigne et un clergé corrompu.
Les fidèles certes se scandalisent de ce qui se passe, mais d’abord du sort fait à leur patriarche. Jean ne va pas y faire la moindre allusion. Il va d’abord tonner que c’est une coupable impudence que de prétendre juger de « la providence de Dieu, dont la puissance est inénarrable, inexplicable, incompréhensible même pour les anges du ciel ».
Au lieu de se poser des questions impies sur le pourquoi du comment, il convient de contempler l’amour que Dieu nous porte, de se faire « une idée de la grandeur inexprimable d’un tel amour ». Il cite Osée et Isaïe, et s’étend sur ce que le Christ a souffert par amour. « Il a passé par toutes ces épreuves, il les a toutes partagées avec toi, il a triomphé de toutes avec la plus grande gloire, pour t’enseigner et t’apprendre à ne redouter aucune d’elles. Arrête donc désormais ta vaine curiosité et sois sûr de cette vérité, que tu as un Dieu qui t’aime avec une tendresse qui surpasse celle des pères, avec une sollicitude que n’égale pas celle des mères, avec une ardeur que n’atteint pas celle d’un jeune époux, celle d’une jeune épouse. »
Puis, comme dans l’autre traité, Jean Chrysostome va reprendre un à un les exemples des justes de la Bible, qui ne se sont pas scandalisés de ce qui leur arrivait, mais ont cru aux promesses de Dieu quand tout paraissait aller en sens contraire. Notre vertu doit être éprouvée comme l’or par le feu. Et il ne faut jamais oublier que lorsque Dieu veut montrer son amour pour nous, il nous montre la croix de son Fils.
Or le Fils est ressuscité, et Dieu a préparé pour ceux qui resteront fermes dans la foi une récompense infinie qui surpasse de très loin leurs mérites.
Ce qui est le plus impressionnant, dans ces deux textes, c’est que saint Jean Chrysostome est tout tendu vers les gens à qui il s’adresse, sans jamais le moindre retour sur soi, la moindre plainte, la moindre allusion à ses propres épreuves. Il reste le maître, d’abord maître de lui-même, plus que jamais Chrysostome, bouche d’or, d’un or sept fois purifié, dont l’absolue sérénité est déjà celle du ciel.
Yves Daoudal
© LA NEF n°296 Octobre 2017