Pour son 22e voyage apostolique hors d’Italie – le 6e sur le continent sud-américain – le pape François a visité pendant sept jours le Chili et le Pérou du 15 au 21 janvier.
Le voyage à travers les deux pays a connu six étapes principales, le pape célébrant plusieurs grandes messes en présence de foules importantes de fidèles, mais s’adressant aussi en d’autres rencontres à des groupes plus restreints : évêques, prêtres, séminaristes, jeunes, populations autochtones, femmes en prison, etc. Au total il aura prononcé 21 discours ou homélies. On peut relever trois thèmes et préoccupations qui ont été les plus marquants de ce nouveau voyage apostolique.
LE PAPE PLEURE
À la veille du départ du pape pour l’Amérique latine, Greg Burke, le directeur du Bureau de Presse du Saint-Siège, avait annoncé que les abus sexuels dont se sont rendus coupables des clercs et des laïcs engagés, et les scandales que cela a causés, seraient un « thème important du voyage ».
Aussi, pendant les premiers jours du voyage les médias du monde entier se sont focalisés sur ce sujet. Il est vrai que les faits sont nombreux et graves, mais ils ne sont pas la seule réalité de l’Église dans ces deux pays.
Au Chili, ces quinze dernières années, 80 prêtres – dont 4 évêques – ont été mis en cause et reconnus coupables. Le cas le plus emblématique est celui de Ferdinando Karadima, figure marquante du clergé de Santiago, aujourd’hui âgé de 87 ans. Bien que les faits qu’il a commis dans les années 1980 soient prescrits par la justice chilienne, la Congrégation pour la Doctrine de la foi lui a retiré ses fonctions sacerdotales en 2011 et l’a contraint à se retirer dans un monastère pour mener « une vie de prière et de pénitence ».
Au Pérou, c’est la société de vie apostolique Sodalicio de Vida Cristiana qui est en accusation. Fondée par un laïc, Luis Fernando Figari, reconnue par le Vatican en 1997, elle regroupe des prêtres, des laïcs et des familles et est active auprès des jeunes et des marginaux dans divers pays d’Amérique latine, aux États-Unis et en Italie. À partir de 2015 ont été révélés les abus psychologiques et sexuels dont se sont rendus coupables, pendant plusieurs années, son fondateur et d’autres membres, clercs et laïcs, du mouvement. Alors que la justice péruvienne instruit l’affaire et quelques jours avant la venue du pape dans le pays, la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique a placé le Sodalicio sous tutelle en nommant Mgr Buitrago, évêque de Jerico, en Colombie, commissaire apostolique, chargé d’assainir et de réorganiser le mouvement.
Le pape François, qui a suivi de près toutes ces tristes affaires, les a évoquées dès son premier discours au Chili, le mardi 16 janvier. Il a demandé pardon, au nom de l’Église, aux victimes d’abus sexuels : « Je ne peux m’empêcher de manifester la douleur et la honte que je ressens face au mal irréparable fait à des enfants par des ministres de l’Église. Je voudrais m’unir à mes frères dans l’épiscopat, car s’il est juste de demander pardon et de soutenir avec force les victimes, il nous faut en même temps nous engager pour que cela ne se reproduise pas. »
Plus tard, dans la journée, il a reçu à la nonciature apostolique un groupe de victimes d’abus sexuels. Le communiqué publié après la rencontre précise qu’elle « s’est déroulée de façon strictement privée. Personne d’autre n’était présent : seulement le pape et les victimes. Et cela pour qu’elles puissent raconter leurs souffrances au pape François, qui les a écoutées et a prié et pleuré avec elles ».
LES PEUPLES AUTOCHTONES
Dans son premier discours au Chili, le pape a évoqué aussi « les peuples autochtones, souvent oubliés et dont les droits ont besoin d’être pris en compte et la culture protégée ».
Au Chili, la population indienne représente 10 % de la population totale ; notamment en Auracanie où vivent les quelque 700 000 Indiens mapuches. Le pape François est allé à leur rencontre à 700 kilomètres au sud de Santiago, il a célébré une messe à Temuco puis a déjeuné avec eux.
Deux jours plus tard, lors de son passage au Pérou, il s’est rendu à Puerto Maldonado, dans la partie amazonienne du pays. Les Indiens de l’Amazonie péruvienne sont quelque 333 000, une minorité désormais dans la population très composite de la zone.
Même s’il a remis aux représentants des différents peuples indigènes des traductions de l’encyclique Laudato si dans leur langue respective, le pape François ne les a pas visités en ethnologue ou en curieux des cultures traditionnelles menacées de disparition. Il a conscience des drames économiques, sociaux et écologiques qui se jouent dans ces régions, ce qu’il appelle « la crise de la forêt amazonienne ». Dans une zone qui couvre plusieurs pays, marquée par la déforestation plus ou moins incontrôlée et l’exploitation minière, il s’agit, comme il l’a dit dans Laudato si, d’œuvrer à la « sauvegarde de la maison commune », l’Amazonie étant « un poumon d’une importance capitale pour la planète » selon l’expression qu’il a employée en octobre dernier.
Au-delà des désastres écologiques que connaissent différentes zones amazoniennes, le pape est attentif aussi aux « dévastations sociales » qu’elles connaissent à cause du travail clandestin, de la prostitution et de l’insécurité. L’expression « dévastations sociales » est du Père Xavier Arbex de Morsier, un prêtre suisse, missionnaire en Amazonie depuis quarante ans et fondateur à Puerto Maldonado d’un foyer, le Principito (le Petit Prince), destiné à recueillir les orphelins et les enfants abandonnés. Le pape François a visité le Principito le 19 janvier.
L’Amazonie est un territoire à évangéliser ou à ré-évangéliser. Le Pérou amazonien où s’est rendu le pape François correspond en grande partie au vicariat apostolique San José de Amazonas. Sur ce vaste territoire (150 000 km2), les premiers missionnaires ont œuvré à partir de 1920. Il n’y avait alors que quelques milliers d’Indiens qui vivaient dans la forêt. L’exploitation des ressources naturelles au fil des décennies a provoqué un afflux continuel de populations. Aujourd’hui le vicariat apostolique compte 180 000 habitants et seulement 11 prêtres qui ont en charge un territoire vaste comme un tiers de la France.
De ce point de vue, l’étape amazonienne du voyage au Pérou a été un jalon de plus vers le synode sur l’Amazonie que le pape avait annoncé le 15 octobre dernier et qui aura pour objectif de trouver des nouvelles voies pour l’évangélisation des populations locales. Il se tiendra en octobre 2019.
LA VOCATION MISSIONNAIRE DE L’ÉGLISE
L’évangélisation dans ses différents aspects (première annonce de l’Évangile ou rappel toujours à recommencer des vérités évangéliques) est toujours au cœur des voyages des papes.
Si l’Amérique latine reste le continent qui compte le plus grand nombre de catholiques, la baisse de la pratique religieuse s’ajoute au nombre élevé des personnes qui quittent l’Église catholique. D’un pays à l’autre, il y a des causes communes et des causes spécifiques. Pour le Chili, Mgr Fernando Chomali, évêque de Concepción, a indiqué deux raisons principales : « un processus de sécularisation très rapide et les scandales des abus sexuels perpétrés par des prêtres, qui ont beaucoup frappé la société, générant un sens de profonde récrimination envers l’Église. »
Les catholiques représentent désormais moins de 70 % de la population chilienne, tandis que les Églises évangéliques et pentecôtistes attirent de plus en plus (environ 15 % de la population).
Dans la brève mais percutante allocution que le pape a adressée aux évêques chiliens réunis dans la sacristie de la cathédrale de Santiago, le 16 janvier, il les a exhortés à se soucier d’abord de la « vocation missionnaire de l’Église ». Il les a incités à sortir du « cléricalisme [qui] est l’une des tentations qui font le plus de mal au dynamisme missionnaire ». Dans une formule qui fera date il a dit aussi aux évêques : « Les laïcs ne sont pas nos ouvriers, ni nos employés. Ils ne doivent pas répéter comme des “perroquets” ce que nous leur disons. »
Aux 50 000 jeunes chiliens réunis sur l’esplanade du sanctuaire marial de Maipu, il dira le lendemain : « Il ne suffit pas d’écouter un enseignement religieux ou d’apprendre une doctrine ; ce que nous voulons, c’est vivre comme Jésus a vécu. » Et il leur a donné un conseil : à chaque moment de la journée, en toutes circonstances, se répéter intérieurement la question « Que ferait le Christ à ma place ? », c’est « le mot de passe, la recharge pour allumer notre cœur, rallumer la foi et l’étincelle dans nos yeux. Pour qu’elle ne disparaisse pas ».
Yves Chiron
© LA NEF n°300 Février 2018