Guerrier indien Moennitarri © Commons.wikimedia.org

Indiens, mon frère !

Les Français eurent soin en Amérique du Nord de s’appuyer sur les tribus amérindiennes, et d’établir une relation d’égal à égal.

«La civilisation hispanique a écrasé l’Indien ; la civilisation britannique l’a méprisé et négligé ; la civilisation française l’a adopté et a veillé sur lui. » Ce constat de l’historien américain Francis Parkman se vérifie dans l’histoire de l’Amérique du Nord française. Samuel de Champlain s’allia très vite aux puissantes tribus des Hurons, des Outaouais et des Algonquins. En échange de leur précieuse aide militaire et de leur approvisionnement en fourrures, les Indiens recevaient des marchandises. Les Français respectaient les institutions indiennes, et assistaient à leurs cérémonies.
Bercé par l’humanisme de son temps, Champlain imaginait un modèle de société mêlant assimilation et métissage. En 1627, les Indiens convertis au catholicisme devinrent juridiquement des « naturels Français », jouissant des mêmes droits que les sujets du roi en métropole. « Alors, nos garçons se marieront avec vos filles et nous ne ferons plus qu’un peuple », déclara Champlain aux chefs algonquins. La réalité fut plus complexe : dans la Vallée du Saint-Laurent (la région de Québec et Montréal), la population française était majoritaire, et les mariages mixtes furent peu nombreux. En revanche, c’était l’inverse dans le « Pays-d’en-Haut » (la région des Grands-Lacs, la vallée de l’Ohio et les rives du Mississippi), et en Acadie (les îles Royale et Saint-Jean, et l’embouchure du Saint-Laurent). Les Français se marièrent à des Indiennes et devinrent parfois chefs de tribus. Les métis nés de ces unions formèrent l’élite de la milice coloniale. Sur le plan religieux, les jésuites apprirent les croyances indiennes pour identifier les passerelles qui pouvaient exister avec la foi chrétienne.

LE ROI ENCOURAGE LES MARIAGES MIXTES
Cette bienveillance était partagée au sommet de l’État. En 1681, Louis XIV écrivit à l’intendant (gouverneur) de la Nouvelle-France Jacques Duchesneau : « Il est très important de traiter les Sauvages avec douceur, d’empêcher que les gouverneurs n’exigent d’eux aucun présent, de tenir la main à ce que les juges punissent sévèrement les habitants qui auront commis quelque violence contre eux. » Plus tard, le monarque donna officiellement sa bénédiction pour les mariages mixtes. Aux yeux des Indiens, le roi de France était leur « père », portant le nom de Grand Onontio (« la plus haute montagne de la terre », en langue huronne). Toutefois, les tribus conservaient une large indépendance : elles n’étaient pas concernées par la justice française, ni par les taxes.
La politique française à l’égard des Indiens ne fut pas exempte d’erreurs. En s’unissant aux Algonquins et aux Hurons, Champlain s’attira l’hostilité de leurs rivaux mortels, les Iroquois, qui s’en prirent aux colons pendant plus d’un siècle. N’admettant pas la torture qu’ils réservaient à leurs captifs, les Français ne fournirent que tardivement des armes à leurs alliés indiens. Un traité de paix fut finalement signé à Montréal, en 1701, entre les Iroquois et les Indiens pro-français. La Nouvelle-France pouvait respirer : en ce début du XVIIIe siècle, sur 45 « nations » indiennes présentes dans l’Amérique du Nord explorée, 23 étaient unies aux Français, 15 étaient neutres et seulement 7 étaient pro-anglaises.
Hélas, la guerre de Sept Ans, significativement appelée aux États-Unis la « French and Indian War » (guerre contre les Français et les Indiens), sonna le glas du rêve de Champlain. Malgré la défaite de 1763, les Indiens poursuivirent la lutte au nom du roi de France jusqu’en 1766, avec le chef outaouais Pontiac. Assassiné trois ans plus tard, il fut enterré avec les honneurs militaires par la dernière garnison française du « Pays-d’en-Haut », repliée à Saint-Louis, dans le Missouri actuel. Les Britanniques, puis les Américains – dont les élites avaient combattu sous uniforme anglais les Indiens et les Français – créèrent vite des réserves pour parquer les autochtones, méprisés dans leurs coutumes, et laisser la terre libre aux spéculateurs. La conquête de l’Ouest pouvait commencer.

Arthur Maertens

© LA NEF n°297 Novembre 2017