La dernière œuvre de Cheyenne-Marie Carron est comme toujours brûlante : la rencontre d’un jeune garçon issu de milieu aisé, David, désenchanté et à la dérive, avec Henri, un vieux briscard, ancien de la Légion Étrangère.
Henri a su réagir en homme à une attaque crapuleuse de la bande que David fréquente par désœuvrement. Nous plongeons ensuite dans la confrontation de deux mondes, celui d’une jeunesse abandonnée à son mal de vivre et un autre monde, peu connu, qui a gardé ses traditions, ses vertus, le courage ; bref, un monde vieux avant l’âge et un monde très ancien, qui a paradoxalement gardé sa fraîcheur.
Cheyenne-Marie Carron ne se contente pas d’observer le malaise des jeunes en déshérence, comme le font trop de cinéastes, et de s’arrêter là. Non, elle veut voir plus loin : nous montrer que de cette confrontation peut naître un ancrage, pour retrouver un sens à la vie, une quête précisément refondatrice.
Il serait donc dommage de passer à coté de ce dévoilement, de ne pas prêter attention à son histoire, qui reste quand même d’une actualité brûlante.
Maintenant Cheyenne-Marie Carron n’est jamais plus à l’aise que quand elle fait éclater des psychodrames, à la limite de happenings entre ses personnages, qui témoignent de leurs blessures intimes ; mais aussi de leur volonté d’en sortir, de toucher terre. A remarquer aussi de très belles séquences oniriques et poétiques sur ces jeunes à la limite de la délinquance grave, cherchant dans des combats une fraternité qui leur est refusée par une société hyper individualiste.
N’est-il pas naïf que la seule issue qui se dessine, soit de retrouver un autre monde, celui de la Légion, celui d’Henri, qui a gardé intactes ses valeurs, et finalement choisir de s’y retremper ?
Mais faut-il se voiler la face ? A ces jeunes tentés par la violence parfois sans retour – et pour d’autres aujourd’hui, c’est bien le Djihad qui les fascine – quelle autre perspective concrète peut-on leur offrir, sinon un engagement personnel, qui les sortent de cette nasse, où ils sont englués au sens propre et figuré ? Et qui ne connait pas le dévouement d’anciens militaires s’engageant dans les banlieues pour les jeunes en difficultés ?
Ensuite, la caméra de Cheyenne-Marie Carron nous invite toujours à réfléchir dans un foisonnement de scènes, véritables happenings, permettant à chacun de trouver une autre vision sur son histoire et notre histoire, le dernier mot étant laissé à une entente secrète, de celles et de ceux qui se sont affrontés du regard et en parole. Nous découvrons alors que la vérité n’est jamais simple, surtout sur une période aussi douloureuse. N’est ce pas le rôle du cinéma de porter le regard au-delà des idéologies réductrices, et donc de nous faire découvrir notre liberté, la vraie, celle qui répond à une vocation.
Henri Peter
© LA NEF n°301 Mars 2018