Cathédrale Saint-François de Xi'an © Hallelujahgod Commons.wikimedia.org

Rome-Pékin : un accord imminent ?

La rumeur court qu’un accord entre le Saint-Siège et le gouvernement chinois serait signé prochainement pour normaliser les relations entre Rome et Pékin. Cet accord, qui semble loin d’être acquis, interviendrait 60 ans après le « schisme » de 1958. Explication de la situation.

Mais le bruit d’un tel accord circulait il y a un an déjà et d’autres fois dans le passé. Depuis juin 2014, les délégations du Saint-Siège et du gouvernement chinois se sont rencontrées à plusieurs reprises, soit à Pékin soit à Rome. Déjà en septembre 2016 un excellent connaisseur de la question, le P. Bruno Lepeu, en fonction à Hong Kong, remarquait : « On peut se demander si Pékin ne souhaite pas utiliser le Saint-Siège pour affermir son contrôle sur l’ensemble des communautés catholiques, officielles comme clandestines. »
Le gouvernement communiste chinois, dès l’origine, a cherché à contrôler l’Église catholique. Lorsque Mao prend le pouvoir à Pékin en octobre 1949, les catholiques sont quelque 3 millions dans le pays (sur 500 millions d’habitants), répartis en 20 archevêchés, 84 évêchés et 35 préfectures apostoliques. Sous le prétexte de lutter contre « l’impérialisme », tous les évêques, prêtres, religieux et religieuses étrangers – soit quelque 5000 personnes – sont expulsés. Ils représentaient deux tiers du clergé et des consacrés. L’Église catholique en Chine est entrée alors dans une période tourmentée et douloureuse, faite d’arrestations, d’interdictions et d’exils.
Puis en juillet 1957, les autorités communistes suscitent une Association patriotique des Catholiques (APC) qui va regrouper évêques, prêtres et fidèles au régime. Le 18 mars 1958, deux évêques sont « élus » (en fait choisis par les autorités) et consacrés par des évêques membres de l’APC. Dans les mois suivants, vingt-quatre autres évêques seront nommés dans les mêmes conditions, c’est-à-dire sans l’accord de Rome. Pie XII publie le 29 juin 1958 l’encyclique Ad Apostolorum principis pour déplorer ces consécrations épiscopales sans mandat pontifical et avertir que ces nouveaux évêques, excommuniés latae sententiae, n’ont aucun pouvoir de juridiction. Quelques mois plus tard, lors du premier consistoire de son pontificat, le 15 décembre 1958, Jean XXIII emploiera à deux reprises le mot de « schisme » pour qualifier « la calamité qui menace » l’Église de Chine, mais aucun de ses successeurs ne reprendra le terme, tant la situation était et reste complexe.

LA DÉCENNIE NOIRE
À partir de 1966, date à laquelle Mao lance la « révolution culturelle prolétarienne », l’Église « souterraine » ou « clandestine », fidèle à Rome, et l’Église officielle, « patriotique », ont été toutes deux persécutées. Le P. Jean Charbonnier rappelait dans un récent bulletin d’Église d’Asie : « Même les prêtres “patriotiques” connaissent alors les camps de travail forcé. Toutes les églises sont fermées, détruites ou transformées en habitations, ateliers ou dépôts de marchandises. » Ce n’est qu’en 1978 que quelques églises seront rouvertes. Cette année-là aussi plusieurs évêques et prêtres emprisonnés depuis les années 1950 sont libérés.
La situation restait néanmoins délicate et douloureuse. Les dirigeants chinois qui ont succédé à Mao se sont montrés, selon les époques, pragmatiques, plus ou moins tolérants, mais toujours vigilants et idéologiquement attachés à l’athéisme. D’où, pendant tout le pontificat de Jean-Paul II et jusqu’à aujourd’hui, des alternances d’assouplissements et de répressions, d’ouverture et de raidissement. En 1980, le cardinal Etchegaray, archevêque de Marseille, est envoyé en Chine pour renouer un contact officieux. Depuis la fin des années 1980, des prêtres venus de Hong Kong et de Taiwan ont pu venir enseigner dans les séminaires chinois « officiels ». Parallèlement, depuis 1992, de nombreux prêtres et séminaristes ont pu aller poursuivre des études à l’étranger. Mais en 1999 un projet en voyage de Jean-Paul II à Hong Kong est annulé sous la pression de Pékin, et l’année suivante la canonisation de 120 martyrs de Chine par le pape est considérée par une provocation par le gouvernement de Pékin qui demande des excuses officielles.

UNE SITUATION COMPLEXE
Le 27 mai 2007, Benoît XVI a publié une importante Lettre aux Évêques, aux prêtres, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs de l’Église catholique en République Populaire de Chine, incitant l’ensemble de l’Église catholique en Chine à retrouver l’unité en même temps que la communion avec le Saint-Siège. Il décrivait la situation complexe de l’épiscopat chinois.
D’une part, des évêques qui, « ne voulant pas être soumis à un contrôle indu exercé sur la vie de l’Église et désireux de maintenir une pleine fidélité au Successeur de Pierre et à la doctrine catholique, se sont vus contraints de se faire consacrer clandestinement ». Ces évêques héroïques sont pleinement légitimes, mais le pape estimait le temps venu de cesser ces consécrations épiscopales clandestines : « La clandestinité ne rentre pas dans la normalité de la vie de l’Église, et l’histoire montre que Pasteurs et fidèles y ont recours uniquement avec le désir tourmenté de maintenir intègre leur propre foi et de ne pas accepter l’ingérence d’organismes d’État dans ce qui touche l’intime de la vie de l’Église. » Aussi, continuait le pape, « le Saint-Siège souhaite que ces Pasteurs légitimes puissent être reconnus comme tels par les Autorités gouvernementales ».
Inversement « d’autres pasteurs, poussés par les circonstances particulières, ont consenti à recevoir l’ordination épiscopale sans mandat pontifical ». Certains ont demandé ensuite de « pouvoir être accueillis dans la communion avec le Successeur de Pierre et avec leurs autres Frères dans l’Épiscopat » et ils ont obtenu du pape « le plein et légitime exercice de la juridiction épiscopale ». D’autres évêques encore « ont été ordonnés sans mandat pontifical et n’ont pas demandé, ou n’ont pas encore obtenu, la légitimation nécessaire ». Ces évêques, validement ordonnés, « exercent validement leur ministère dans l’administration des sacrements, même si c’est de manière illégitime ».
Aujourd’hui, les catholiques chinois seraient entre 9 et 12 millions ; à peu près pour moitié dans l’Église « officielle » et à peu près pour moitié dans l’Église « clandestine ». La situation de l’épiscopat est encore plus complexe : environ 70 évêques « officiels » ont été reconnus par le Saint-Siège, 17 évêques « clandestins » ne sont pas reconnus par les autorités politiques et 7 évêques « officiels », nommés illégitimement par les autorités, ne sont pas reconnus par le Saint-Siège. Auxquels il faut ajouter les évêques arrêtés et dont on reste aujourd’hui sans aucune nouvelle.
Dans les discussions en cours entre Rome et Pékin en vue de la normalisation de l’Église en Chine, la délégation du Saint-Siège a demandé à deux évêques « clandestins » de renoncer à leur siège au profit de l’évêque « officiel » de leur diocèse. Cette demande a scandalisé les évêques concernés. Le cardinal Zen, évêque émérite de Hong Kong, a obtenu le 12 janvier dernier une audience du pape François pour plaider leur cause.
Le cardinal Zen, comme il l’avait déjà exprimé il y a dix ans dans un livre très courageux (1), a réaffirmé récemment que la « réconciliation » entre catholiques chinois « est possible parce qu’elle ne dépend que de notre bonne volonté ». En revanche le « dialogue » avec le gouvernement chinois est beaucoup plus difficile et périlleux : « Cela a-t-il le moindre sens dans la situation actuelle alors que le Parti communiste chinois est plus puissant et dominateur que jamais ? Quand aussi bien ses actions que ses déclarations vont dans la direction d’un contrôle plus strict de toutes les religions et plus particulièrement des religions soi-disant “étrangères” ? »
On rappellera que Wang Zuoan, qui dirige depuis 2009 l’Administration pour les affaires religieuses, est depuis 2014 membre du Comité central du Parti communiste chinois. Il évoque régulièrement les deux conditions à un accord avec Rome : que le Saint-Siège rompe ses relations diplomatiques avec Taïwan et s’engage à ne pas intervenir dans les « affaires internes » de la Chine.
D’un côté le Saint-Siège cherche à obtenir la liberté religieuse pour les catholiques et la non-ingérence du pouvoir politique dans la vie et le gouvernement de l’Église en Chine, de l’autre les autorités chinoises entendent maintenir un contrôle politique et administratif sur les catholiques chinois.

Yves Chiron

(1) Mgr Zen, un homme en colère, entretiens avec Dorian Malovic, Bayard, 2007.

© LA NEF n°301 Mars 2018