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La grande victoire de l’hypocrisie et du pédagogisme

Par contraste avec le discours du gouvernement précédent, le discours ministériel sur l’enseignement a parfaitement su conquérir l’opinion, y compris l’opinion de droite. Or, la vérité de cette situation est terrible. Le grand écart entre le discours apparent et la réalité de la politique mise en œuvre a désormais atteint son comble. En effet, sous nos yeux est en train de s’accomplir ce qui avait été préparé depuis les années 80 sous le titre de pédagogisme, ce dernier n’étant lui-même que la continuation de la création, dans les années 70, du collège unique.

On nous avait annoncé que l’actuel ministre avait rompu avec cette idéologie. Or, c’est exactement le contraire qui est en train de se produire. Le pédagogisme, dont Meirieu fut le sinistre théoricien, a pour but conscient, déclaré et cynique d’accompagner la massification de l’instruction publique en lui substituant le principe d’une éducation individualisée et adaptée à chaque cas particulier. Le principe fondamental, le nœud problématique crucial de la méthode vise ainsi à détruire, par-delà l’essence de l’enseignement ignominieusement qualifiée de frontale, l’entité fondamentale qu’est la classe ainsi que l’intérêt général qui lui correspond. Il ne s’agit ni plus ni moins que de mettre à bas l’essence de ce qui fait l’école républicaine, à savoir l’esprit d’émulation intellectuelle. Ce travail de déconstruction ou plutôt de destruction violente est déjà à l’œuvre dans les classes préparatoires elles-mêmes. On y accepte désormais, exactement comme dans le secondaire, des élèves qui utilisent le système de manière hypocrite et cynique et qui aménagent leur propre parcours en abandonnant leurs obligations d’assiduité et qui font valoir leurs problèmes personnels de santé ou de famille pour ne pas rendre leur devoir. Par bonté d’âme et maternage ou pire par pur cynisme carriériste, les professeurs, exactement comme dans le secondaire, font silence sur la réalité et encouragent même cette attitude d’exploitation du système. Or c’est là le symptôme avant-coureur d’une décadence définitive des classes préparatoires, décadence qui accomplira la mort de l’instruction publique en général.

Les enseignants sont en train de réaliser ce que les socialistes n’avaient pas pu faire par la force et ce que les macroniens accompliront s’ils restent au pouvoir plus de cinq ans, à savoir la casse définitive du système. Les enseignants, pour leur grande majorité macroniens, sont objectivement les alliés de leur ministre pour détruire la spécificité française du système d’instruction. En effet, quel est le but cynique et non avoué d’une individualisation des parcours au lycée, individualisation sanctionnée par un grand oral au baccalauréat ? Parvenir à ce qui avait été le grand rêve des grandes âmes et des grands cyniques à savoir faire obtenir à tous les élèves sans exception le baccalauréat. Le grand oral, comme l’optionalisation individuelle des disciplines, désormais systématisée, ne sera en effet rien d’autre qu’un moyen, analogue à ce qui existe déjà pour les options déjà existantes dans le secondaire, telle par exemple l’option du théâtre en classes littéraires, pour mettre, par généreuse démagogie, des 19 à tous les élèves. L’optionalisation des disciplines est un principe qui existe d’ailleurs déjà dans les classes préparatoires scientifiques. Créant un conflit entre les collègues, lesquels pratiquent la notation démagogique afin d’attirer les élèves dans leur camp, cette optionalisation est le ver dans le fruit, un cancer radical. Si l’on pense par ailleurs que l’optionalisation individuelle et démagogique systématisée de l’enseignement rendra définitivement illisibles les dossiers et rendra impossible l’authentique sélection pour l’entrée en classes préparatoires, on comprend combien le système est destiné à la disparition, sans doute moins lente que certains veulent bien le croire ! Les réseaux puissants des professeurs en classes préparatoires n’endigueront pas longtemps le vent de l’histoire. Par la démagogie et l’hypocrisie, le macronisme va enfin réaliser, sous couvert de discours ambigu, ce que les socialistes et les libéraux eux-mêmes bien sûr voulaient, à savoir détruire toute forme de sélection. C’est toujours le même cynisme, qu’il soit celui des élèves, celui des professeurs, celui des ministres ou celui des théoriciens, qui continue d’accomplir son œuvre de sape et de destruction !

J’annonce ici la mort définitive et programmée de l’instruction publique et républicaine. L’élitisme est destiné à n’être définitivement plus qu’oligarchique et ploutocratique, c’est-à-dire fondée sur la naissance et l’argent. Les enseignants les meilleurs se sont laissés piéger et ils travaillent désormais eux-mêmes, par leur vote comme par leur pratique concrète de l’enseignement, à la corruption et à la destruction perverse de ce qu’ils chérissent le plus. Tout cela est terrible, d’autant plus terrible que le recrutement des jeunes professeurs est aujourd’hui tel que la prise de conscience sera bientôt complètement verrouillée. Les jeunes professeurs – pardon – les jeunes enseignants qui sont les meilleurs savent très bien que, désormais, il ne faut rien dire pour réussir. Quant aux autres, ils n’ont malheureusement même pas conscience de la réalité ! La victoire de l’hypocrisie et de la démagogie caractéristiques du pédagogisme et de sa collaboration éhontée avec le libéralisme est désormais définitive et accomplie ! La victoire du cercle de la raison est, dans la sphère de l’instruction – pardon – de l’éducation nationale, désormais spectaculaire ! Messieurs les démagogues, Messieurs les carriéristes, messieurs les incultes et Messieurs les barbares, bonsoir !

Patrice Guillamaud*

*Agrégé de philosophie, enseignant en classes préparatoires, auteur de Le sens de l’islam. L’apocalypse ou la Trinité (Editions Kimé, 2017).

© LA NEF Mars 2018 (article exclusif internet)