Vue d'Orahovac, située au sud du Kosovo © Solidarité Kosovo

Kosovo : le calvaire oublié des chrétiens

Le Kosovo proclamait son indépendance il y a dix ans, en février 2008. Depuis, le sort des chrétiens de l’ex-province serbe n’a cessé de se déteriorer dans une totale indifférence internationale. Petit panorama de la situation sur place.

Avoir 20 ans au Kosovo en 2018, ce n’est pas avoir l’avenir devant soi. Les perspectives sont bien sombres sur ce territoire le plus pauvre d’Europe, gangrené par la corruption, la partition ethnique, les trafics et l’islamisme radical. La gouvernance non plus n’est pas à la hauteur, plusieurs dirigeants étant liés à des crimes commis durant la guerre avec la Serbie. Dix ans après l’indépendance autoproclamée, le compte n’y est pas et le bilan est une faillite. Dans cet environnement hostile, les chrétiens du Kosovo vivent exclus et discriminés dans un univers parallèle.

IL Y A DIX ANS LE KOSOVO PROCLAMAIT SON INDÉPENDANCE
« Depuis aujourd’hui, le Kosovo est fier, indépendant, souverain et libre ! » déclare le 17 février 2008, Hashim Thaci, Premier ministre de l’époque et ancien chef de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK). Dix ans plus tard, c’est un cuisant échec. Pire, le Kosovo de 2018 est tout le contraire des incantions du début, selon le sénateur suisse Dick Marty. « Le Kosovo a une économie inexistante. Il est devenu un centre de criminalité organisée, de trafic de drogue, de trafic d’armes, de trafic d’êtres humains. Il n’y a pas une véritable société civile qui soit à même de faire fonctionner une véritable institution démocratique, et il y a diverses minorités qui vivent protégées par des soldats internationaux. Pendant ces années où le Kosovo était sous protectorat international, des monastères et des églises orthodoxes ont été brûlés dans l’indifférence totale des médias internationaux. Depuis 1999, 250 000 Serbes ont dû quitter le Kosovo. »
Les chrétiens du Kosovo, largement constitués de Serbes orthodoxes, représentent aujourd’hui moins de 7 % de la population totale du Kosovo évaluée à 1,8 million d’habitants. Une minorité discriminée sur ce territoire des Balkans composé à 90 % d’Albanais musulmans. Un renversement démographique vertigineux qui s’est produit au siècle dernier puisqu’autrefois les chrétiens y étaient majoritaires. Historiquement, rappelons-le, le Kosovo est le berceau de la nation serbe et de sa foi. C’est ici que se trouvent ses plus anciens monastères et c’est ici encore que l’on compte la plus forte densité d’édifices religieux chrétiens en Europe.
La paupérisation des chrétiens du Kosovo s’explique par la conjugaison de plusieurs phénomènes. Le principal d’entre eux correspond au déplacement massif des communautés. Durant l’occupation ottomane, prolongée jusqu’en 1912, l’immigration intensive des musulmans originaires de l’Albanie voisine a accompagné l’exil du peuple chrétien. La politique démographique des Ottomans visait à mettre en valeur le territoire occupé en faisant basculer le rapport démographique entre musulmans et chrétiens dans un sens favorable aux premiers.

LES CHRÉTIENS DEVENUS PERSONA NON GRATA AU KOSOVO
Les Serbes se déracinent rarement par choix. Ils y sont souvent contraints, toujours déchirés d’abandonner leur terre natale et celle de leurs ancêtres. Depuis la guerre du Kosovo, en 1999, les persécutions antichrétiennes sont devenues quotidiennes, multiformes et impunies. Les attaques meurtrières des 17 et 18 mars 2004 représentent le point culminant de cette violence toujours à l’œuvre. Au cours de ces deux journées, 19 personnes ont été tuées, 5000 foyers chrétiens ont été chassés et 34 églises ont été détruites, sous les yeux médusés des forces internationales présentes depuis 1999.
120 000 chrétiens ont fait le choix de rester au Kosovo malgré la plus douloureuse des injustices qui leur a été infligée, celle d’être devenus étrangers et malvenus sur leur propre terre. Pour cette poignée de Serbes, l’existence est un véritable enfer. Ils subissent le sort de citoyens de seconde zone : sans emploi, placés hors du système de soins, interdits de transports publics et sans vie sociale. Parqués dans des enclaves, ces villages cernés de fils barbelés, ils vivent dans l’angoisse, traumatisés par les agressions permanentes subies depuis la guerre.
Une situation dramatique dénoncée par Human Rights Watch dans son rapport sur les groupes minoritaires au Kosovo, que l’ONG indique être en proie « aux pires discriminations » et à un « profond dénuement ». Un constat alarmant qui vaut au Kosovo d’être le seul territoire d’Europe à figurer dans l’Atlas de l’intolérance, relatif aux persécutions contre les chrétiens. Une situation délétère confirmée par l’archimandrite Sava Janjic, abbé du monastère de Visoki Decani. « Nous, chrétiens, nous nous sentons vulnérables, […] le Kosovo est le seul territoire d’Europe où des sanctuaires, des moines et des pèlerins chrétiens sont encore menacés. »

LE STATUT DU KOSOVO TOUJOURS CONTROVERSÉ
Dévasté par la corruption et le chômage – chez les moins de 25 ans il atteint 57,7 % –, le Kosovo se vide également de sa population albanaise. L’euphorie « newborn », qui signifie « nouveau-né », des débuts a été réduite à néant, et ce depuis longtemps. Rien qu’au cours des dix dernières années, 200 000 Albanais sont partis s’installer dans les pays occidentaux, là où la reconnaissance du Kosovo continue de diviser.
Après un actif lobbying albanais « réputé pour être particulièrement efficace », le Kosovo est reconnu par 110 pays sur les 193 États membres des Nations Unis dont 23 des 28 États membres de l’UE. Ils sont ainsi 82 pays membres de l’ONU dont notamment la Serbie, la Chine, l’Inde, la Russie, l’Espagne, la Grèce et la Roumanie à refuser la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo.

L’ISLAMISME AU CŒUR DE L’EUROPE
Le Kosovo a fourni plus de 300 djihadistes au groupe État islamique, soit le plus grand nombre de combattants par habitant en Europe. Un record alarmant qui lui vaut d’être considéré comme la citadelle du djihadisme en Europe.
Une enquête de Courrier International révèle que la montée de l’extrémisme musulman au Kosovo s’est accomplie par le biais d’imams instruits au Proche-Orient. Ces derniers propagent les normes du wahhabisme, c’est-à-dire du salafisme originaire d’Arabie Saoudite. Rien qu’au cours de ces deux dernières années, 14 imams, dont celui de Pristina, ont été arrêtés pour activités contraires à la Constitution, incitation à la haine et recrutement de terroristes.

LES DIRIGEANTS DU KOSOVO INQUIÉTÉS PAR LE NOUVEAU TRIBUNAL SPÉCIAL DE LA HAYE
Le Kosovo vit aujourd’hui dans l’attente des inculpations du nouveau Tribunal spécial pour les crimes commis entre 1998 et 2000, lesquelles pourraient viser les plus hauts responsables politiques de Pristina. Cette nouvelle « Chambre spécialisée », de son nom officiel, a été créée sur la base du retentissant rapport présenté en 2011 par Dick Marty devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui dénonçait les agissements criminels de membres de l’UÇK. Placée sous l’autorité du système judiciaire du Kosovo mais délocalisée à La Haye, la nouvelle juridiction représente une redoutable épée de Damoclès au-dessus des dirigeants actuels du Kosovo.
Selon le rapport de Dick Marty, une partie des Serbes enlevés n’auraient pas été tués au Kosovo, mais transférés en Albanie. Certains auraient même pu alimenter un trafic d’organes qui se serait déroulé non loin de Tirana.
Entamé au printemps 2011 sous l’égide de l’Union Européenne, le « dialogue » entre Belgrade et Pristina est au point mort. Certains dénoncent un dialogue de façade, uniquement destiné à faire avancer l’intégration européenne des deux voisins, sans régler les différends sur le terrain.
Mardi 16 janvier 2018, la réunion du dialogue Belgrade-Pristina prévue entre Aleksandar Vucic et Hashim Thaçi à Bruxelles a été annulée. L’homme politique serbe Oliver Ivanovic venait d’être assassiné de cinq balles dans le dos à Kosovska Mitrovica. Désolation, tristesse, peur, révolte sont, entre autres, les mots qui traduisent le sentiment des Serbes, en particulier ceux du Kosovo, après ce meurtre.
Originaire de Decani, Oliver Ivanovic a grandi auprès du fameux monastère de Visoki Decani avant d’en être chassé brutalement. La famille Ivanovic se réfugie à Kosovska Mitrovica où Oliver termine ses études d’ingénieur et enseigne le karaté. Il s’engage très tôt en politique pour défendre la cause serbe et mène une action modérée en faveur d’un dialogue avec les Albanais dont il parle couramment la langue. Ancien secrétaire d’État, il était un exemple de professionnalisme, d’intégrité, d’honnêteté et de courage. L’enquête menée sur son assassinat est au point mort. Pas un auteur n’a été confondu, pas un commanditaire identifié. Sans espoir et abandonnés, les Serbes n’en attendent pas plus. L’impunité est une caractéristique des délits et des crimes commis à l’encontre de la communauté chrétienne du Kosovo.
Malgré l’ambition de la Bulgarie de faire réapparaître l’avenir des Balkans occidentaux à l’agenda européen dont elle préside le Conseil depuis le 1er janvier dernier, la Serbie ne se détourne pas de son principal enjeu, celui de protéger son peuple et sa souveraineté au Kosovo. Un défi d’autant plus difficile à relever au regard des nouvelles menaces islamistes qui planent sur la minorité chrétienne. Résilients, les Serbes s’accrochent à la lueur d’espoir que représente la nouvelle Cour spéciale. Vingt ans après la guerre, les crimes impunis demandent justice, et la mémoire collective réparation.
Un pas décisif afin d’envisager un avenir meilleur pour la minorité chrétienne du Kosovo pourra-t-il être franchi ? À cette seule condition que la nouvelle juridiction se montre « efficace » là où le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et d’autres instances internationales ont échoué.

Ivana Gajic

 

L’action de Solidarité Kosovo

C’est en déclarant l’urgence humanitaire au secours des 120 000 chrétiens du Kosovo-Métochie que Solidarité Kosovo est née en 2004.

14 ANS D’ACTION, DE LÉGITIMITÉ SUR LE TERRAIN ET DE RECONNAISSANCE D’ÉTAT
Secourir les foyers serbes en détresse en leur apportant un réconfort moral et un soutien matériel, la volonté des débuts s’est inscrite dans le temps. Elle s’est traduite au travers de 43 convois humanitaires d’urgence apportant plus de 400 tonnes d’aliments et d’équipements divers dont la valeur totale dépasse les 3,5 millions d’euros. Certains convois sont même devenus traditionnels comme ceux de Noël. Chaque année depuis 2004, à la veille du jour de la Nativité, l’équipe de bénévoles prend la route depuis la France en direction des enclaves chrétiennes les plus reculées du Kosovo-Métochie pour apporter un secours de première nécessité.
Grâce à la générosité de ses 12 000 donateurs, l’engagement de Solidarité Kosovo s’est prolongé au travers de programmes de développement. Ainsi en complément aux aides d’urgence, 30 projets d’envergure ont été mis en œuvre dans les domaines de l’éducation, l’aide à l’enfance, la sécurité et l’autonomie alimentaire des enclaves. Dernier chantier humanitaire en date, la création d’un complexe agricole composé d’une ferme alpine, de deux fermes bovines, une laiterie et une conserverie. Son objectif est d’assurer une autonomie alimentaire aux 3000 foyers serbes de la région qui dépendent de la soupe populaire diocésaine, grâce aux activités d’élevage, de production et de transformation laitière qui y sont développées.

DE L’HUMANITAIRE SUR MESURE
Soucieuse de proximité, Solidarité Kosovo a ouvert un bureau humanitaire à Gračanica en 2011. C’est à partir de cette base opérationnelle que les projets humanitaires sont pilotés de A à Z. « Nous élaborons nos actions en concertation avec le diocèse local avec qui nous avons scellé un partenariat exclusif. Grâce à cette confiance que l’Église nous a accordée, nous avons acquis une légitimité sur le terrain indispensable à la réussite de nos réalisations », confie Arnaud Gouillon, fondateur et président de Solidarité Kosovo.

PLÉBISCITE INSTITUTIONNEL ET RELIGIEUX
Le travail inlassable accompli par l’ONG française est régulièrement récompensé par les plus hautes instances serbes. C’est ainsi qu’au mois de janvier dernier, Arnaud Gouillon a été distingué par le patriarche Irénée qui l’a décoré du premier degré de l’ordre de saint Sava. Cette distinction, la plus haute de l’Église orthodoxe serbe, lui a été remise à Belgrade sur proposition de l’évêque du Kosovo-Métochie, Mgr Théodose, avec lequel il œuvre de concert. Deux ans plus tôt, c’était le président de la République de Serbie, Tomislav Nikolic, qui avait remis la médaille d’Or dans l’ordre national du Mérite à Arnaud Gouillon après qu’il eut été consacré citoyen d’honneur de Serbie par le ministre de l’Intérieur, Nebojsa Stefanovic.
Pour agir auprès de ceux qui, la foi chevillée au corps, vivent dans la détresse et le dénuement le plus total en plein cœur de l’Europe, vous pouvez soutenir et entrer à contact avec l’association (1).

Pierre Louis

(1) Solidarité Kosovo, BP 1777, 38220 Vizille. Site : www.solidarite-kosovo.org (Solidarité Kosovo est une association loi 1901 habilitée à faire des déductions fiscales à hauteur de 66 % de vos dons)

© LA NEF n°302 Avril 2018