Les États généraux de la bioéthique clôturés, le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) s’apprête à en publier une synthèse, ses recommandations suivront, un mois après. Puis un projet de loi à l’automne. Sur les neuf thématiques proposées, « Procréation et société » a, sans surprise, recueilli le plus de votes et propositions sur le site de consultation. Ces résultats, mais aussi et surtout les nombreuses réunions publiques, ont montré que le souci de protéger les droits de l’enfant prédomine – heureusement – sur le droit à l’enfant revendiqué par les promoteurs du « tout procréatif ». Le président du CCNE l’atteste : « On sent bien qu’il y a une France qui reste divisée. […] Très clairement on n’est pas dans une atmosphère de consensus », un préalable pourtant cher au président Emmanuel Macron pour faire évoluer la loi bioéthique. C’est désormais vers lui que se tourneront les regards : préférera-t-il une prétendue « infertilité sociale » à la paix sociale, dans notre pays déjà si fracturé ? Car c’est bien la paix sociale qui se fragilise lorsqu’il est envisagé une loi injuste, qui priverait délibérément un enfant de père.
Avec ce basculement, vers quelle humanité irions-nous ? La sortie de la PMA du cadre actuel, déjà éthiquement contestée sous certains aspects, entérinerait une rupture majeure : la création d’un droit à l’enfant, accélérant le glissement vers le bébé à tout prix et à la carte. Demandons-nous jusqu’où ira la procréation artificielle. Des recherches sont menées pour modifier génétiquement les embryons ou fabriquer des gamètes artificiels. La science et la technique trient les embryons, combinent les donneurs de gamètes par des algorithmes. Un préoccupant eugénisme technologique se répand. Et des enfants sont déjà nés de FIV-3 Parents… ! Le business de la procréation et de la sélection est en marche dans de nombreux pays. La France saura-t-elle résister ?
Les biotechnologies offrent à l’homme des pouvoirs immenses. En posant son doigt sur l’embryon pour le trier, le chosifier, le modifier, l’homme a pris la vie entre ses mains. Le pape François a très récemment dénoncé « les apparents “droits” humains qui sont totalement orientés vers l’autodestruction de l’homme et qui ont pour unique dénominateur commun une seule et grande négation : la négation de la dépendance à l’amour, la négation que l’homme soit une créature de Dieu, faite amoureusement par Lui à son image pour qu’il le désire […]. Aujourd’hui, de fait, plus que jamais, s’offre à nouveau cette même tentation du refus de toute dépendance à l’amour, à l’exception de l’amour de l’homme pour son propre ego, pour le “moi et ses caprices” ; et, par conséquent, le risque de la “colonisation” des consciences par une idéologie qui nie la certitude fondamentale selon laquelle l’homme existe comme homme et femme et que leur est confiée la tâche de transmettre la vie. Cette idéologie conduit à la production planifiée et rationalisée d’êtres humains et amène – peut-être même dans une finalité considérée comme “bonne” – à estimer logique et licite d’éliminer cela qui n’est pas considéré comme déjà créé, donné, conçu et généré, mais fait par nous-mêmes » (1). L’homme en effet désire dépasser le statut de « procréateur » pour devenir « créateur ». C’est peut-être là que trouve son apogée la tentation de l’homme de se prendre pour Dieu, quitte à « tordre » les lois de la nature pour les plier à ses désirs. La tentation du « bébé sur mesure » conduit l’homme à perdre de vue ce qui est « donné » et que toute personne est une histoire sacrée.
Les prodigieuses mutations des biotechnologies suscitent de nouveaux espoirs mais aussi de nouveaux devoirs, si bien que notre responsabilité doit croître en même temps que nos connaissances et nos capacités techniques. À nous de rappeler à la politique que la loi n’est pas aux ordres du marché, des désirs individualistes ou des délires transhumanistes, mais au service de la protection des personnes, en particulier des plus vulnérables. « L’homme et son espérance vont au-delà de la réalité de l’État et au-delà de la sphère de l’action politique » (1), bienheureux rappel qui soutiendra tous les joyeux et fidèles hommes et femmes de bonne volonté, ouvriers de la cité, serviteurs du bien commun et de la vérité.
Blanche Streb
(1) Préface du pape François à Libérer la liberté. Foi et politique, de Joseph Ratzinger/Benoît XVI, Parole et
Silence, 2018, 232 pages, 22 €.
Blanche Streb, docteur en pharmacie est directrice de la formation et de la recherche à l’Alliance VITA. Elle vient de publier Bébés sur mesure, Artège, 2018, 268 pages, 14 €.
© LA NEF n°304 Juin 2018