La loi naturelle et les droits de l’homme, de Pierre Manent, Puf, Coll. Chaire Étienne Gilson, 2018, 136 pages, 22 €.
Pierre Manent, en reprenant ici ses conférences prononcées à l’Institut catholique de Paris l’année où il occupait la chaire dédiée à la mémoire d’Étienne Gilson, nous offre un essai exigeant mais lumineux et de première importance sur ce qui est sans doute le problème majeur de nos démocraties : l’émancipation des droits de l’homme de tout ancrage dans la loi naturelle, émancipation qui était inscrite dès l’énonciation de l’article Ier de la Déclaration de 1789. En rejetant cette notion de loi naturelle – ensemble de règles que l’homme n’a pas lui-même déterminé et qui s’impose nécessairement à lui pour ordonner la vie humaine –, on ouvre un espace illimité à la liberté humaine qui n’a de bornes que celles de la volonté. Et celle-ci s’exprime par les droits de l’homme, devenus l’unique référence légitime pour orienter la vie sociale : « La loi désormais n’a de validité ou de légitimité que si elle vise à garantir les droits humains et se borne à cette finalité » (p. 8), écrit Pierre Manent. Or, depuis les années 60, coïncidant avec la remise en cause des grandes institutions et la contestation de leur légitimité, et notamment celle de commander (Église, Université, Nation), on assiste une invraisemblable inflation de « droits à… ». « Comment tous ne réclameraient-ils pas leur droit à toutes choses quand toutes choses ont été déclarées matière des droits humains ? » (p. 55).
Pierre Manent montre admirablement les incohérences de cette évolution qui, d’un côté, rejette l’existence d’une nature humaine (conforme à la loi naturelle), puisque chacun doit pouvoir se construire lui-même sans référence à une nature préexistante (théorie du genre) et, d’un autre côté, « naturalise » l’orientation sexuelle pour justifier l’homosexualité : « on exige que cette conduite ou disposition (homosexuelle) soit regardée comme découlant d’une orientation aussi “naturelle” que l’orientation hétérosexuelle, comme un fait de nature sur lequel le sujet n’a pas de pouvoir et qui doit donc être regardé et respecté comme une partie constitutive de l’être même du sujet. […] On ne naît pas femme, mais on naît homosexuel, ou en tout cas on se découvre homosexuel » (p. 15-16).
Ce n’est pas la seule incohérence. Les droits universels sont devenus la fin du politique et l’égalité est le droit qui domine tous les autres. Cette idéologie égalitaire, obsédée par la traque de toute « discrimination », nous oblige à reconnaître toute « culture » et toutes les formes de vie comme égales et respectables, même celles qui violent l’égalité des êtres humains (comme l’islam à l’égard de la femme). L’immigration de masse, en installant une forte minorité musulmane en France et en Europe, révèle les contradictions désormais insoutenables de l’idéologie des droits de l’homme. Et Pierre Manent a le courage, totalement à contre-courant de la pensée dominante, de montrer clairement que l’impasse dans laquelle nous sommes engagés trouve son origine, depuis Machiavel et Luther, dans le rejet de la notion même d’une loi naturelle stable qui s’impose à tous et capable d’informer notre liberté pour notre plus grand bien.
Christophe Geffroy
Niccolo Massimo. Essai sur l’art d’écrire de Machiavel, de Philippe Bénéton, Cerf, 2018, 396 pages, 24 €.
Le « machiavélisme » était jadis synonyme de cynisme, de duplicité. Or, aujourd’hui, Machiavel est devenu un auteur respectable et éclairé. Comment expliquer un tel retournement ? Philippe Bénéton, dans un essai brillant, mène une enquête approfondie sur l’œuvre du Florentin et répond que la clef se trouve dans son art consommé de l’écriture. L’art d’écrire, P. Bénéton nous en donne une belle leçon. Par son style élégant et limpide, et plus encore par sa méthode qui interroge le texte en le serrant d’aussi près que possible. Cela exige certes une attention soutenue, mais l’effort est payé de retour, on comprend enfin le vrai Machiavel.
Il en ressort que Machiavel est un maître incomparable de l’ambiguïté et que s’il donne une apparence de rigueur et même de gravité qui fait croire à une grande franchise, il avance en réalité à couvert, avec une ironie masquée et un sens incroyable de l’affabulation et du mensonge, obligeant le lecteur à un travail d’exégèse très poussé, ce que fait P. Bénéton pour nous avec maestria. Le cœur de sa cible est le christianisme ; parce qu’il entrave l’action humaine en raison des obligations morales qu’il enseigne et des craintes et illusions « qu’engendre la crédulité religieuse » (p. 320). L’Église corrompt les hommes en les rendant « faibles », en glorifiant davantage les humbles que les forts ; les vertus sont en effet un obstacle à l’action. « Ainsi, écrit P. Bénéton, il apparaît que l’intention fondamentale de l’écrivain Machiavel est celle-ci : à ceux qui méritent d’être trompés, il s’efforce d’inculquer le sentiment de la puissance de la nécessité et par là de forcer leur acceptation quant aux moyens immoraux qui en sont le tribut ; à ceux qui méritent d’être initiés, il enseigne entre les lignes le règne de la volonté et la liberté extraordinaire qui en est le butin. Il incite les premiers à s’accommoder du mal, il invite les seconds à se débarrasser du bien » (p. 368).
Un essai incontournable sur Machiavel qui montre combien, en ouvrant la porte à un monde sans boussole régi par la seule volonté, il est vraiment un penseur moderne.
Christophe Geffroy
Le miroir sans retour, de Reynald Secher, Éditions du Rocher, 2018, 326 pages, 21,90 €.
Historien bien connu des guerres de Vendée, Reynald Secher est aussi celui qui ne cesse de combattre, pour la reconnaissance du caractère génocidaire de la répression républicaine. À l’origine du concept de « mémoricide », l’homme brûle également d’un véritable feu intérieur. Il a donc également entrepris une œuvre de reconquête culturelle et de réenracinement, à travers la publication de bandes dessinées historiques destinées à la jeunesse.
En fait, quand on l’imagine occupé par une idée, Reynald Secher vous surprend en vous en proposant une deuxième, puis une troisième… jusqu’à ce qu’il faille crier stop. Il sourit, alors, mais n’en continue pas moins sur sa lancée. Celle-ci nous vaut de pouvoir lire désormais son dernier roman, un genre qu’il a déjà goûté, en 1989, avec la parution des Vire-couettes. Il récidive aujourd’hui et l’on imagine facilement que la période révolutionnaire n’est pas loin. On croit cependant partir en Vendée ou en Bretagne et nous voici transportés dès la première page à Orly, en 1832, à l’époque de Louis-Philippe.
Va-t-on, à nouveau chouanner ? Pendant l’hiver de cette année-là, Madame la duchesse de Berry a nommé Chateaubriand et le célèbre avocat Berryer au « gouvernement secret ». Du côté des légitimistes, on s’agite alors beaucoup pendant que la monarchie de Louis-Philippe condamne, en avril, les membres de la famille de Charles X au bannissement perpétuel. En mai, la duchesse de Berry tente, en vain, de soulever la Vendée. Mais l’histoire repasse rarement les plats.
Dans ce contexte général, un homme se meurt. Ancien maire d’Orly, médecin de son état, Valentin Chévetel s’est décidé à ouvrir son âme au prêtre de la paroisse. Sa vie défile et avec elle l’histoire mouvementée et ensanglantée de la Révolution. Du marquis de La Rouërie à Robespierre, les âmes nobles côtoient les pires crapules et les double-faces. Reynald Secher parvient à nous entraîner à leur découverte en nous tenant en haleine à travers ce thriller historique haletant qui ne manque pas par ailleurs de clins d’yeux amicaux. Un miroir qui vaut le détour.
Philippe Maxence
Dieu est jeune, du pape François, conversation avec Thomas Leoncini, Robert Laffont/Presses de la Renaissance, 2018, 150 pages, 16 €.
Un synode sur le thème de la jeunesse, de la foi et du discernement des vocations aura lieu à Rome du 3 au 28 octobre 2018. Le pape François prépare le terrain dans ce nouveau livre d’entretien avec un jeune journaliste italien, chercheur en psychologie sociale et disciple de Zygmunt Bauman, l’auteur de La vie liquide (2005). Aucun « scoop » spectaculaire dans ce texte qui s’adresse aux jeunes, où François évoque nombre de souvenirs personnels, si bien que les médias s’y sont peu arrêtés. Beaucoup de propos du pape relèvent du bon sens et l’horizon très sociologique de l’interviewer ne contribue pas à élever le débat à de hauts niveaux spirituels. Quelques belles réparties, néanmoins, ici ou là, comme celle où François défend l’enracinement : « une des premières choses auxquelles nous devons penser en tant que parents, en tant que famille, en tant que pasteurs, ce sont les paysages où s’enraciner, où générer des liens, où faire grandir ce réseau vital qui nous permet de nous sentir chez nous. C’est une terrible aliénation pour quelqu’un de constater qu’il n’a pas de racines, cela signifie n’appartenir à personne » (p. 36).
Patrick Kervinec
Les chrétiens d’Orient en France, de Vincent Aucante, Salvator, 2017, 192 pages, 20 €.
À l’heure où des chrétiens orientaux de plus en plus nombreux vivent en France, il est nécessaire de les connaître. Telle est la conviction qui a présidé à la rédaction de ce petit livre. Son auteur nous les présente donc dans la variété de leurs histoires, de leurs traditions et de leurs liturgies. Il raconte les circonstances, souvent douloureuses, qui les ont amenés à s’exiler : les guerres et les violences islamistes pour ceux qui viennent du Levant (Arméniens, maronites, melkites, chaldéens, syriaques, coptes), le joug communiste pour les Européens de l’Est (Ukraine, Roumanie, Russie). Aucante décrit aussi les étapes de leur organisation ecclésiale, notamment la création d’éparchies (trois Églises catholiques orientales en disposent : les Arméniens, les Ukrainiens et les maronites), de paroisses, voire de monastères pour certains. Car les fidèles de ces communautés qui tiennent à préserver leur identité sont confrontés à un défi culturel : accorder leurs racines orientales à la culture occidentale. D’où le regard parfois réservé que plusieurs de leurs responsables portent sur la laïcité. Pour l’auteur, la plus belle leçon que nous donnent ces catholiques orientaux vivant en France est leur fierté d’être chrétiens, quelles que soient les tribulations et les épreuves.
Annie Laurent
Éric Zemmour. Itinéraire d’un insoumis, de Danièle Masson, Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 264 pages, 23 €.
Après la sortie retentissante en octobre 2014 du Suicide français, après les empoignades auxquelles il donna lieu entre ceux qui portaient l’auteur au pinacle et ceux qui tiraient à vue, Alain de Benoist, engageant le débat, dans la revue Éléments, avec Éric Zemmour, disait le connaître assez « pour savoir qu’au-delà du polémiste toujours prêt à en découdre », on trouvait chez lui « une vraie réflexion de fond ». Eh bien ! résultat de la studieuse randonnée accomplie par Danièle Masson dans le « maquis touffu de ses écrits », et dont le but essentiel a été de « saisir la cohérence d’une pensée », voilà affermi le jugement d’Alain de Benoist. Intelligent, calé, talentueux, Zemmour, à l’évidence, défend une vision du monde et des rapports sociaux que nourrit son très solide bagage historique et littéraire. C’est une pointure.
Français de branche et non de souche, comme il le rappelle volontiers, en tout cas passionnément français, et ensemble de tradition juive et de culture chrétienne, cet écrivain, ce chroniqueur de journal et de radio, cet as des plateaux télé, capable d’utiliser à contre-emploi un système dédié au formatage des esprits, nul n’ignore sa marque de fabrique : le refus de tout accommodement raisonnable avec la doxa, parfois, note Danièle Masson, « jusqu’à la provocation ». Mais, songeons-y, lorsqu’on tente d’interdire les mots pour interdire les idées ou les assujettir à un contrôle policier, lorsque des bandes agréées, estampillées, peuvent « alerter » le parquet de toute parole publique qu’elles déclarent « incorrecte », lorsque l’épreuve de la stigmatisation et du confinement dans l’opprobre pend au nez des colporteurs d’opinions malvenues, pareil refus, clair et net, met du baume au cœur.
À notre époque où la communauté de destin qui tisse la nation court le risque de se changer en agglomérat de cent peuples disparates, Éric Zemmour, combattant de première ligne, méritait un amical salut. Merci à Danièle Masson de le lui donner.
Michel Toda
Le Vatican. Vérités et Légendes, de Christophe Dickès, Perrin, 2018, 270 pages, 13 €.
Dans la petite collection bien connue « Vérités et légendes », Christophe Dickès, auteur notamment d’un Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège, publie en vingt-trois courts chapitres un ouvrage clair et bien informé. Les titres des chapitres sont tous sous forme de questions auxquelles l’auteur répond à partir de sources bien maîtrisées. Il s’agit de questions générales (sur le conclave, sur l’infaillibilité ou encore sur les Archives secrètes vaticanes) ou des réponses à des accusations récurrentes (le Vatican est-il riche ? Le Vatican est-il misogyne ?, etc.).
Les réponses aux controverses historiques, bien sûr, ne sont pas absentes (les rapports entre Pie XI et Mussolini ou le supposé silence de Pie XII face à la Shoah). Parfois la référence donnée est bien vague, ainsi ce « Rapport interne au Vatican, novembre 1931 » cité page 119. Aucun document du Saint-Siège ne s’intitule « Rapport interne » et aucune source n’est indiquée pour l’identifier davantage. Mais, de façon générale, l’auteur a su recourir aux bonnes sources, même s’il ne les indique pas systématiquement.
Au chapitre 20, C. Dickès répond à la question : « Jean-Paul II a-t-il provoqué la chute du communisme ? » Après avoir rappelé, notamment, l’importance des voyages en Pologne, la conclusion est équilibrée : « Seul un pape slave, qui connaissait de l’intérieur le système, pouvait agir de la sorte et porter des valeurs capables de répondre à la nécessité du moment. A-t-il été la cause unique de la fin du régime soviétique ? Naturellement, non. Le régime est aussi mort de ses propres contradictions, de son pourrissement intérieur, par la volonté des peuples eux-mêmes et enfin grâce à l’action américaine. Mais Jean-Paul II fut un des seuls à avoir compris que c’était la fin alors même que de nombreux “experts” assuraient que le régime avait de beaux jours devant lui. Même au sein du Vatican la vision de Jean-Paul II faisait figure d’exception ! »
Yves Chiron
La brocante de Mai 68, d’Olivier Germain-Thomas, Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 186 pages, 18 €
On peut trouver de tout dans une brocante. Cela offre des horizons qu’Olivier Germain-Thomas appelle « ouvertures » dans un curieux et beau livre intitulé La brocante de Mai 68. De 68, l’écrivain fut témoin et acteur, les événements démarrant alors qu’il préparait un doctorat de philosophie à la Sorbonne. La brocante de Mai 68 est une promenade très actuelle dans le mois de mai, ce que l’auteur a vu, fait, pensé. O. Germain-Thomas n’est pas demeuré les bras croisés, il a pris la parole dans les amphithéâtres, une prise de parole courageuse car en opposition au gauchisme alors ambiant. Il s’est engagé derrière le général de Gaulle. Un jeune homme décalé : avoir 25 ans en 68 et être « du côté de l’ordre », une réelle marginalité. O. Germain-Thomas s’interroge sur les origines « souterraines » de Mai 68, ce qui se joue de manière discrète derrière tout événement, sans complotisme : s’appuyant sur les travaux d’Éric Branca (L’ami américain, Perrin, 2017), il montre que les États-Unis avaient intérêt à déstabiliser le Général, et que Dany le Rouge avait des accointances du côté du Centre américain de Paris. Il est bon de replonger dans le mois de Mai à travers ce regard ; d’autant que ce livre vertical prend encore plus de hauteur quand O. Germain-Thomas revivifie le gaullisme, traçant des pistes pour aujourd’hui au sujet de la participation, de l’indépendance de la France, d’un retour à un septennat pensé autrement, du refus de la dissolution de la France dans la supranationalité, du combat contre les oligarchies, de l’importance des racines, de retrouvailles nécessaires avec la Russie… Il y a un esprit chevaleresque du gaullisme, esprit que ce livre remet au goût du jour. Bienvenu.
Matthieu Baumier
La révélation chrétienne ou l’éternité dans le temps, de Pierre de Lauzun, Artège-Lethielleux, 2018, 336 pages, 20 €.
Le thème de ce livre est la foi de l’Église. Peut-elle évoluer, progresser ? L’originalité de cet ouvrage est de se pencher sur cette question d’un point de vue rationnel. Ce faisant, l’auteur fait œuvre d’apologétique : son exposé s’avère être une défense de la Révélation, de la Tradition et du Magistère de l’Église. Un plaidoyer pour le « désenveloppement » du contenu de la Révélation (cf. Newman) sans changement substantiel, mais dans un enrichissement de son expression sous l’action de l’Esprit-Saint.
Les fidèles de l’Église n’ont pas tous, toujours et partout cru explicitement en la préservation du péché originel de la Vierge Marie dès sa conception, par exemple. Un approfondissement de la compréhension et une explicitation du contenu de la foi sont possibles. Et ils ont lieu dans l’histoire de l’Église. En outre, un certain nombre de réponses peuvent aussi être données au gré des problématiques de l’humanité au cours de son cheminement terrestre, comme, par exemple, la question du salut des infidèles qui n’ont pas pu recevoir le baptême et être incorporés à l’Église de façon visible (après la découverte des Amériques), ou la défense de la vie et de la dignité de la personne humaine dès sa conception (face à l’avortement, grâce aux progrès scientifiques qui permettent de montrer la présence d’un ADN humain dès la fécondation), ou encore le droit à l’immunité de contrainte en matière religieuse à cause de la volonté divine qu’un acte de foi soit un acte humain pleinement libre. En effet, l’interprète authentique de la Tradition et de l’Écriture c’est le Magistère de l’Église (cf. Dei Verbum 10 ; Lumen Fidei 48-49).
Pour finir, j’attire l’attention du lecteur sur ce que l’auteur appelle « l’herméneutisme » (à distinguer de l’herméneutique qui, elle, est juste, si elle est « de continuité » selon l’explication lumineuse donnée par Benoît XVI). Cet « herméneutisme » est une erreur d’interprétation : « on ne comprendrait un texte, ou une tradition, qu’en les réinterprétant activement à chaque génération, en fonction des conditions nouvelles de la société. » Un danger bien actuel dont il faut effectivement se prémunir. Si nous entrons dans cette fausse doctrine, il ne restera plus rien des dogmes, et nous resterons encore longtemps dans le relativisme absolu.
Abbé Laurent Spriet
Madame Élisabeth de France, de Dominique Sabourdin-Perrin, Salvator, 2017, 96 pages, 10 €.
En novembre dernier, les évêques de France réunis à Lourdes ont relancé à nouveau la cause de béatification d’Élisabeth Philippine de France (1764-1794), plus connue sous le nom de « Madame Élisabeth », sœur du roi Louis XVI. C’est une émouvante biographie de cette grande chrétienne que Dominique Sabourin-Perrin nous offre ici. Dès son plus jeune âge, le souci d’Élisabeth était de faire des sacrifices, de faire du bien autour d’elle. Elle avait déjà une profonde vie intérieure. Plus tard, dans la tourmente révolutionnaire, son sens du devoir lui interdit de quitter la France. Elle n’abandonnera jamais sa famille, soutenant le roi, aidant la reine, distrayant les enfants dans leur prison, se débrouillant pour communiquer avec l’extérieur. La prière et la confiance en Dieu étaient son soutien. Sa foi en la Providence était sans faille. Ceux qui ne connaissent pas la belle prière dite « d’abandon de Madame Élisabeth » (qu’elle n’a pas composée mais qu’elle utilisait beaucoup et vivait à merveille) feraient bien de se la procurer au plus vite… Ayant fait le don complet de sa personne à Dieu, consacrée au Sacré-Cœur et au Cœur Immaculée de Marie, elle monta sereine sur l’échafaud, la dernière, après avoir consolé tous ses compagnons d’infortune, leur disant : « nous allons tous nous retrouver au ciel. » On peut dire que Madame Élisabeth était vraiment imprégnée des vertus de foi, d’espérance et de charité. Son lumineux exemple ne peut que nous aider à accepter les épreuves qui jalonnent nos vies. Puisse le Seigneur faire le don d’une prochaine béatification de « Madame Élisabeth » à l’Église et à la France.
Abbé Laurent Spriet
1917 à Petrograd, de François Antoniazzi, Éditions des Syrtes, 2017, 766 pages, 25 €.
Doit-on nommer la puissance européenne dans laquelle, au début du XXe siècle, la volonté du monarque demeurait la loi de l’État ? Chacun, bien sûr, a reconnu la Russie. Appuyé par l’armature administrative et par l’Église orthodoxe, elle-même soumise aux directives d’un Saint-Synode que conduit un fonctionnaire civil, le tsar, chef temporel et spirituel de la nation, est encore omnipotent. Mais celui-ci, nous voulons dire Nicolas II depuis 1894, dont les principaux traits de caractère sont l’entêtement et une religiosité peu éclairée, va chanceler en 1905 devant une secousse de grande ampleur d’où sortirait, urgente nécessité, le Manifeste du 17 octobre octroyant une forme (étroite) de représentation populaire. Enfin jugulée avec la IIIe Douma ouverte au bout de 1907 (les deux précédentes ayant été dissoutes), suivie en 1912 d’une IVe Douma, la crise, cependant, trouve un achèvement ambigu, et le souverain, toujours imbu d’idées absolutistes, et resté au cœur du système, quoique de jure l’autocratie soit devenue obsolète, peut se rassasier des célébrations fastueuses du tricentenaire de la maison Romanov en 1913. D’ailleurs, l’année d’après, quand survint la déclaration de guerre de l’Allemagne, une immense vague de hourras, et le drapeau impérial brandi, allait saluer Nicolas, apparu au balcon du palais d’Hiver ; une quinzaine plus tard, dans Moscou pavoisé à son effigie, l’accueil sera triomphal.
Malgré cela, répétition des grèves de 1905-1907, celles de 1912-1914 ont montré la permanence du mécontentement ouvrier. Et comme, sur le plan militaire, s’accumulent les défaites, comme, à partir d’août 1915, date où le tsar prend les rênes de l’armée, c’est Alexandra Fiodorovna, son épouse, avec le ministre Protopopov, qui, de concert, gouvernent et déraisonnent, comme éclate en février 1917, fruit d’extrêmes souffrances, le soulèvement du prolétariat de Petrograd, bientôt aggravé de mutineries dans la garnison, il aurait fallu, chez Nicolas, pour échapper au naufrage, quelques solides qualités dont manquait cruellement cette pâle figure, esclave, à l’heure décisive, de sa cécité, de son incapacité, bref, d’une absence d’énergie suicidaire. Résultat : cinq jours de combats de rue clos par l’acte d’abdication du 2 mars que lui imposent généraux et membres de la Douma.
Une brutale fin de règne, on le voit, marquée, au sein de toutes les classes sociales, d’un profond désamour étendu d’instinct à la dynastie et au régime. Un drame aussi, qu’embrasse l’ouvrage irremplaçable de notre historien.
Michel Toda
Contempler l’au-delà pour vivre pleinement l’ici-bas, du Père Joël Guibert, Téqui, 2017, 272 pages, 18 €.
Si la première partie de ce livre se résume à un constat concernant l’indifférence aux fins dernières, les deuxième et troisième parties valent à elles seules le détour, non pas qu’elles apportent quelque chose de nouveau en ce qui concerne les fins dernières, mais nous avons là une belle, profonde et roborative méditation sur le sujet qui s’appuie solidement sur la doctrine de l’Église en la matière et sur le témoignage des saints, en particulier saint Augustin, sainte Thérèse et sainte Faustine. Ce qu’est la mort, Dieu juste juge et miséricordieux, le purgatoire, l’enfer et même le ciel ; tout est envisagé, expliqué, approfondi. On peut s’étonner cependant que ce panorama a priori très complet fasse aussi peu de place au sacrement des malades et à celui de la réconciliation. Le Père Guibert s’adresse à des jeunes et essaye avec succès de rendre abordable ces graves sujets en ne boudant ni l’anecdote ni l’exemple concret. Un beau livre dont la lecture attentive et priante ne peut qu’enrichir notre vie spirituelle.
Marie-Dominique Germain
La disparition de Stéphanie Mailer, de Joël Dicker, Éditions de Fallois, 2018, 640 pages, 23 €.
Après Le livre des Baltimore (2015), Joël Dicker renoue ici avec le roman policier qui a fait son succès, La vérité sur l’affaire Harry Quebert, publié en 2012, l’ayant propulsé au sommet du box-office. La construction de ce nouveau roman est la même que celui de 2012 : une enquête qui se déroule en deux temps à 20 ans d’écart. Un quadruple meurtre perpétré dans les Hamptons en 1994 et qui semblait résolu revient à la surface à l’occasion de la disparition d’une journaliste en 2014 qui enquêtait sur cette affaire. Les deux policiers qui croyaient avoir trouvé le coupable reprennent du service vingt ans plus tard…
On ne peut nier que Joël Dicker a une imagination incroyable pour monter des histoires complexes à plusieurs niveaux, bien ficelées, avec une bonne dose de rebondissements ; et son art de la narration rend son livre rapidement addictif. Si vous avez aimé Harry Quebert, précipitez-vous sur ce nouveau roman, vous ne serez pas déçu. Une petite réserve néanmoins : l’auteur nous semble abuser des allers-retours dans le passé et développe trop des épisodes touchant des personnages secondaires, ce qui finit pas casser quelque peu le rythme de l’enquête… et rallonge trop ce polar par ailleurs excellent qui gagnerait pourtant à être plus court.
Patrick Kervinec
Tout autre nom, de Craig Johnson, Gallmeister, 2018, 350 pages, 21,50 €.
Voici de retour le shérif Walt Longmire pour lequel nous avons une affection particulière. Pour son dixième opus, Craig Johnson éloigne son héros du Wyoming pour enquêter dans le Dakota sur le suicide suspect d’un shérif qui était sur la piste de jeunes femmes récemment disparues. Comme toujours avec Craig Johnson, l’atmosphère est particulièrement bien rendue et nous vivons le rude hiver de ces régions du nord avec une magistrale poursuite en pleine tempête de neige. Et Walt Longmire ne doit pas traîner, car il est censé assister à l’accouchement de sa fille Cady, ce qui ne lui laisse que quelques jours…
Patrick Kervinec
© LA NEF n°303 Mai 2018