Le débat préalable à la loi de bioéthique a eu lieu. Le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) a rendu son rapport de synthèse de la consultation citoyenne des états généraux de la bioéthique.
Il s’agit d’une étape avant le vote des lois de bioéthique mais elle n’est pas la dernière et elle démontre, s’il en était besoin, une aggravation programmée des dérives.
La Fondation Jérôme Lejeune a relevé que le débat très médiatisé sur la « PMA pour toutes » a caché trois transgressions majeures portées par des groupes d’intérêts puissants qui ont eu largement la parole :
– La recherche sur l’embryon et sur les cellules-souches embryonnaires. Il apparaît évident que le cadre législatif va continuer à dériver. La consultation citoyenne a permis à des scientifiques de formuler des revendications inquiétantes comme celle qui consiste à créer des embryons dédiés à la recherche.
– La fin de vie. Les deux tiers du « Comité citoyen » sont pour une légalisation de l’euthanasie.
– La génomique en pré-conceptionnel. Aucun des membres du « Comité citoyen » n’est opposé au diagnostic pré-conceptionnel et 2/3 d’entre eux sont pour un accès à tous les futurs parents.
Le « Comité citoyen » est le paravent des recommandations du CCNE : c’est lui qui, sous couvert d’être un « échantillon reflétant la diversité de la population française », avance les propositions les plus transgressives, sur la fin de vie et sur la génomique en pré-conceptionnel.
Le triomphe de la modernité
Mais au-delà de ces transgressions, c’est autre chose qui se trame parce que le monde a changé. L’homme a concrétisé le projet de se définir, de se construire, de se modifier et de se détruire. Chaque matin, il décide d’être ou de ne pas être. Repousser la nature est le défi à relever. C’est le triomphe de la modernité au sens historique du terme. « C’est l’autonomie humaniste qui proclame et réalise l’autonomie humaine par rapport à toute force placée au-dessus de lui » (1). Plus aucune « grandeur d’établissement » en France, plus aucune institution publique ou privée, ne conteste désormais cet acquis de l’autonomie philosophique même si de rares voix isolées s’époumonent encore.
Faut-il aller dialoguer dans des purgatoires éthiques, pinailler sur la rédaction d’un article de loi ou glisser des amendements ? À qui d’ailleurs ? Les amarres aux rives de la sagesse ont été larguées depuis trop longtemps et la vague est trop puissante. Nous avons déjà les réponses à tous les problèmes, toutes les questions, tous les doutes. Avant même l’organisation de tout débat, un ministre avait annoncé que la PMA sans père, partie émergée de l’iceberg bioéthique, serait votée. Sans parler du reste. Les citoyens discutent mais la loi est déjà pensée.
La procréation est-elle un marché comme les autres ? Pourquoi pas si ça peut aider. L’embryon humain est-il respectable ? Pas plus qu’un matériau de laboratoire. L’avortement de tous les handicapés est-il légitime ? C’est un « ordre établi » compatible avec la prohibition de l’eugénisme. Mais les lois ne sont-elles pas respectées ? Pour être en règle, on change la règle. Etc. À cela s’ajoutent les débandades, comme le fait de brandir les soins palliatifs en guise de talisman, pour ne pas avoir à articuler un « non » à l’euthanasie. Hélas ! les soins palliatifs n’empêchent pas plus l’euthanasie que la médecine périnatale n’empêche l’avortement.
Le problème est bien plus profond que l’écume de ces controverses, c’est celui de la légitimité de l’humain. L’humain jouit-il encore d’une quelconque prééminence dans le grand foisonnement du vivant ou l’étalage de la technique ? Si c’est oui, alors il faut le dire vite parce que le marché a ciblé son nouvel eldorado, le corps humain, une énergie renouvelable qui n’a pas de prix, qui n’a même plus aucun prix. La phase de la déconstruction de l’humanisme est achevée. La reconstruction transhumaniste est à l’œuvre. Irons-nous, la corde au cou, en négocier les modalités ? Comme l’écrit le philosophe Rémi Brague, l’enjeu n’est plus celui du Bien comme au XIXe siècle, ni celui du Vrai comme au XXe siècle, mais celui de l’Être.
Jean-Marie Le Méné
(1) Alexandre Soljénitsyne, Le déclin du Courage. Discours de Harvard, Fayard, 1978.
Jean-Marie Le Méné, est le président de la Fondation Jérôme Lejeune et a notamment publié : Les premières victimes du transhumanisme, Pierre-Guillaume de Roux, 2016.
© LA NEF n°305 Juillet-Août 2018