Chronique cinéma Juillet-Août 2018

Dark river (11 juillet 2018)
Alice a quitté son Yorkshire natal, au nord de l’Angleterre, il y a quinze ans. Quand son père meurt, elle revient réclamer la ferme familiale qui lui était promise mais son frère Joe estime qu’elle lui revient. Alice, qui a connu d’indicibles blessures à cet endroit, ne veut renoncer ni à la ferme ni à la relation avec son frère.
Ce film campagnard empoigne solidement la vie rurale dont il rend toute la rudesse et qu’il évite de poétiser, en campant des paysans dont la terre et la ferme sont propriétés de la compagnie des eaux, privatisée.
L’auteur du film, Clio Barnard, a, quoique femme, toute la rudesse de l’âpre cinéma réaliste anglais. Sauf la campagne, magnifique, tout est dur dans l’histoire : la détermination d’Alice, le refus de son frère, la propriété anonyme de la terre. Ce système décide que la ferme revient à Joe. Au désespoir d’Alice qui voit remonter avec violences des souvenirs refoulés de son enfance à la ferme, avec un père inavouable. Ces souvenirs font verser le drame campagnard dans la tragédie. Traités par un autre, ils auraient probablement appelé le scandale et suscité la complaisance ; ici, ils sont presque vidés de leur valeur affective et regardés seulement dans leur dimension causale : cause de l’éloignement d’Alice, cause du caractère éteint et désabusé de Joe, et cause de sa décision finale d’endosser un geste d’Alice. Chose devenue rare, le film raconte une histoire, qui ébranle et passionne, et trouve une résolution étrange et sublime, qui postule que le bien est possible.

Tully (27 juin 2018)
Marlo, Américaine, bientôt quarante ans, a un troisième enfant. La multiplication des tâches l’épuise et elle finit par accepter le cadeau de son frère, qu’elle voulait d’abord refuser : une nounou qui vient à domicile s’occuper du bébé pendant la nuit (sauf les tétées). Quand arrive Tully, les problèmes de Marlo disparaissent un à un comme par enchantement. On comprend que Marlo ait accepté sa venue car la première partie nous dresse un tableau de la mère de trois enfants le plus cruellement réaliste que le cinéma n’en a jamais donné. Stress, fatigue, énervement et finalement épuisement absolu qui ne permet plus de rien désirer. Après Juno et Young adult, Tully vient clore une trilogie du duo Diablo Cody (scénariste), et Jason Reitman (réalisateur), trilogie non pas intentionnelle mais de fait, consacrée à la difficulté d’être femme à différents âges de la vie. Grâce au regard très acéré de la scénariste et à l’humour commun aux deux artistes, leurs films sont toujours de salutaires secousses, inattendues et saines. Tully est de cette sorte mais s’en évade aussi dans une certaine mesure parce que le personnage de Tully se révèle à la fin plus complexe qu’on n’avait crue, ouvrant une dimension psycho-onirique dans le film qui est proprement merveilleuse. Et d’une grande intelligence dramatique.

François Maximin

EN DVD

Marie de Nazareth, film de Giacomo Campiotti, Saje, 2018, 116 mn, 19,50 €.
Il est toujours difficile de mettre en scène Marie ou Jésus. Ce téléfilm italo-allemand est d’un bon esprit avec une mise en scène appliquée, mais se présente trop comme une suite de tableaux hiératiques (difficile de faire autrement). De plus, pour nourrir le scénario – on sait si peu de choses de Marie –, l’auteur a inventé des événements étrangers aux Évangiles, dont une amitié d’enfance entre l’héroïne et Marie-Madeleine assez surprenante.

Paul VI. Un pape dans la tourmente, film de Fabrizio Costa, Saje, 2018, 2 x 100 mn, 19,50 €.
Ce téléfilm de la télévision italienne, d’un bon esprit, suit la vie de Paul VI depuis son entrée à la Secrétairerie d’État en 1924 jusqu’à sa mort en 1978. Avec un format de trois heures, les scénaristes ont choisi de ne montrer que de courtes périodes marquantes de sa vie, si bien que le film est une succession de scènes assez brèves et parfois un peu caricaturales. Mais le film montre bien combien Paul VI était tourmenté par la crise post-conciliaire.

Patrick Kervinec

© LA NEF n°305 Juillet-Août 2018